Recrutement 2.0 : mieux comprendre le passé pour mieux envisager l’avenir
Dans le cadre de notre semaine consacrée au recrutement 2.0 et à la marque employeur, nous avons le plaisir d’accueillir Arnaud Pottier Rossi, fondateur de l’agence Kalaapa. En marge de la RMS conférence qui se tiendra le 24 novembre à Paris, et pour laquelle nous faisons gagner une place en ce moment même, Arnaud PR co-organisateur revient sur l’histoire récente du changement de méthodes dans le recrutement, de la montée en puissance des jobboards à l’arrivée des médias sociaux. Que penser de ces derniers dans le cadre du recrutement ?
Après 10 années passées à la fois en agence de communication RH & Corporate (The Link Factory puis HR Gardens – groupe Euro RSCG), dans la Presse (Publications Métro) et en Jobboards (Sourcea puis Stepstone) il s’associe en 2010 à Cécile Ponchel, experte en Relations Publiques et Médias, pour fonder l’agence de communication Kalaapa (Signifie en sanskrit : « Qui lie les choses entre elles – qui crée du lien »).Agrégateur de Talents, Kalaapa propose ses services en Communication RH et marque employeur (Général d’Optique, Mondial Assistance, UCPA…), en Communication de Marque BtoB/BtoC (Expectra, Syntec Etudes et Conseil…) et en Relations Publiques et Médias (UHU, Crayola, BVA, Téléressources, Corporama…).
Lundi 19 septembre, je reçois un coup de fil de Flavien Chantrel qui me propose de collaborer à un dossier » Les Réseaux Sociaux dans le recrutement « . Passé l’effet de surprise, l’honneur et la reconnaissance, arriva tout de suite le poids de la responsabilité. Mais par où allais-je commencer tant le sujet est vaste et déjà traité par un grand nombre « d’Experts » ?
Il était peut-être là l’axe de mon article : dans le positionnement des « Experts » qui disent tout et son contraire sur l’utilisation des Réseaux sociaux dans le recrutement. Lorsque j’anime des formations ou conférences, j’aime faire un parallèle historique… car on oublie souvent que l’histoire a tendance à se répéter. Les clés de l’avenir sont dans le passé.
Aussi je vous propose un voyage dans le temps.
» Retour vers le futur «
Septembre 2000, j’intègre l’agence de communication corporate et RH : The Link Factory. La France est en pleine croissance, les start-up se multiplient aussi vite que des petits pains. Les diplômés des grandes écoles sont plus attirés par les SSII, les sociétés d’audit et de conseil ou autres start-up prometteuses que par les banques ou les entreprises de l' »ancienne économie ». C’est le temps des appels entrants où les clients souhaitaient diffuser leurs annonces, promouvoir leur marque employeur dans le Figaro, Le Monde Informatique, Les Echos… à coups de quart, demi et pleine page. L’argent coule à flot…
Et pourtant nous sommes en train de vivre un changement très fort dans la communication de recrutement : l’avènement d’Internet et des jobboards.
Quand ils arrivent sur le marché, beaucoup de consultants y croient (généralement les plus jeunes), portés par l’idée qu’ils allaient révolutionner le marché du recrutement, et nous avons tous essayé de pousser ce nouveau média.
Mais si on regarde les jobboards en détail, leur pénétration du marché dans les années 2000 est très faible, pour deux raisons principales.
D’un côté, le modèle d’agence de recrutement qui favorise la presse, et ce en dépit des combats internes entre les consultants early adopters et les autres. La presse est source de confort financier mais aussi de satisfaction client : elle garantit aux agences que leurs clients recevront un maximum de candidatures ciblées. Et ces agences auront également la garantie de ne pas être remises en cause dans leurs conseils.
Et d’un autre côté, les professionnels des RH très frileux et très attentistes sur ce nouveau mode de recrutement, peut-être pas encore rassurés par le taux d’équipement d’Internet, privilégiant ce nouveau média pour quelques postes cadres uniquement.
Mais nous avions raison à cette époque, puisqu’à ce jour la part des offres d’emploi sur Internet (sites entreprise et jobboards) dans les recrutements… représente le premier canal avec 90% des recruteurs qui les utilisent (Etude RegionsJob) Je pense que nous sommes tous d’accord pour avouer que le RH 1.0 est aujourd’hui la pierre angulaire des stratégies de communication RH.
Pourquoi cette réussite des jobboards et des sites RH ?
L’expansion des jobboards est le résultat de plusieurs avantages pour les recruteurs et candidats.
Commençons par les avantages pour les recruteurs :
- une réduction importante des coûts de diffusion sur un jobboard est sans comparaison avec une diffusion dans la presse.
- Un espace d’expression non limité : il bénéficie de tout l’espace nécessaire pour décrire le poste, mais aussi pour valoriser au mieux la présentation de sa société, de sa marque employeur.
- Une diffusion plus longue, 30 jours en moyenne sur Internet contre 1 jour (+ taux de reprise en main) pour une annonce presse, donc une chance plus grande de toucher un plus grand nombre de personnes dans le temps.
- Une rapidité et une souplesse de diffusion : l’annonce peut paraître quand le client le souhaite avec un délai de 24h à 48h, en comparaison en presse il est nécessaire d’attendre le jour de diffusion, de respecter les dates de bouclage.
- Une facilité de création : plus besoin de faire appel à un graphiste pour monter les annonces, il suffit d’utiliser le masque de saisie proposé par les jobboards.
- Une numérisation des candidatures qui permet de se constituer des cvthèques numériques, et qui ont donné lieu aux SIRH.
- L’accès à des cvthèques.
- L’utilisation de campagnes d’emailing pour toucher exclusivement sa cible selon des critères variés tels que la localisation, les années d’expérience, les diplômes…
- Un retour sur investissement mesurable grâce au tracking des outils de communication.
Du côté des candidats, les avantages sont également nombreux :
- l’accès gratuit à toutes les annonces.
- La rapidité de réponse par mail, et donc un plus grand nombre de candidatures possibles.
- La mise en place d’alertes mail
- La possibilité pour tous de laisser son CV consultable dans les cvthèques et donc d’augmenter ses chances de trouver un emploi en mode actif et passif.
- Trouver les informations sur les entreprises via leur site Internet ou site rédactionnel permet de savoir si la société est intéressante et de se préparer pour les entretiens.
Quand nous faisons le bilan, nous nous apercevons que ces avantages sont aujourd’hui ancrés dans notre quotidien et nous ne pourrions plus nous en passer ! Cette démocratisation a été aussi grandement portée par la crise des années 2002, 2003 et 2004, offrant ainsi un formidable outil pour diminuer les coûts de recrutement au regard de la presse.
Etait-ce une révolution ? Selon Wikipédia, on appelle révolution tout changement ou innovation qui bouleverse l’ordre établi de façon radicale dans un domaine quelconque. Oui, le RH 1.0 a bouleversé les ressources humaines, mais peut-être plus encore les outils que la philosophie ou les usages eux-mêmes.
Médias sociaux… Vous avez dits « médias sociaux » ?
Qu’en est-il du RH 2.0 et des médias sociaux ? S’agit-il d’une véritable révolution ? Une tornade dans les RH ?
Web 2.0, médias sociaux, réseaux sociaux : il est peut être nécessaire de revenir tout d’abord à une clarification de ces termes trop souvent vulgarisés ou amalgamés. Le web 2.0, en opposition au web classique (1.0), est régi par plusieurs principes dont la dissociation du contenu et du contenant qui offre la possibilité à l’internaute de choisir uniquement ce qui l’intéresse, la création par soi-même des canaux de contacts, et enfin le passage d’un web « one to many », le web des experts, des autorités, à un web « many to many », c’est-à-dire le web de tous. De ce dernier modèle sont issus les médias sociaux. Ils constituent un ensemble de services permettant de développer des conversations et interactions sociales sur Internet ou une situation de mobilité (Définition de Fred Cavazza) Ces médias sociaux répondent à 5 principes :
- Ouverture :
Finis les « experts « , l’autorité, le web appartient à tous et chacun peut y prendre part. On fait sauter la barrière entre public et média.
- Participation :
Puisque les médias sont ouverts, il faut qu’un maximum de monde y prenne part. Tout est donc fait pour que les internautes donnent leurs avis, apportent leurs contributions…
- Conversation :
Si tout le monde participe, il va donc y avoir des échanges et des conversations, les médias sociaux sont dans le dialogue, et chose nouvelle, cela implique une écoute attentive.
- Communauté :
Les médias sociaux permettent de constituer rapidement des communautés de personnes partageant les mêmes intérêts.
- Interconnexion :
Interconnexion de personnes, de services, les médias sociaux tirent leur croissance et leur déploiement des interconnexions des liens avec les autres sites, ressources ou personnes.
Enfin, les réseaux sociaux se laissent eux aussi dicter par ces principes car ils sont tout bonnement des médias sociaux centrés sur le « Moi » de chacun : Ma vie (Facebook), Mon métier (Linkedin, Viadeo), Ce que je fais et à quel endroit (Foursquare)…
Une fois ce point éclairci, nous pouvons donc nous poser la question : qu’apportent les médias sociaux aux recruteurs et aux candidats ? Regardons dans un premier temps du côté des candidats.
La première application est le » Personal Branding » : faire de ma personne une marque, avec ses points forts et sa valeur. Faire en sorte que les recruteurs s’intéressent à moi spontanément. D’autres personnes ont largement traité de ces sujets, je ne vais donc pas la développer ici. La deuxième application, ou devrais je dire implication, est le changement de la relation Recruteur-Candidat au bénéfice du candidat. Auparavant, le recruteur connaissait tout du candidat via son CV, alors que le candidat ne pouvait avoir accès qu’aux informations relatives à l’entreprise ou à la politique RH de celle-ci. Ce n’est plus le cas, et si les recruteurs googlisent les candidats, les candidats font de même sur les recruteurs.
Lors des formations ou conférences, il est assez courant que les professionnels des RH s’en offusquent. Sans compter que si un professionnel RH a son profil sur Viadeo ou Linkedin, le candidat qui le contactera ne comprendra pas, ou n’acceptera pas le délai voire l’absence totale de réponse à sa demande. Et alors, me direz-vous ? Et bien c’est justement là le souci, c’est que désormais, le candidat ou le salarié peut, au travers des outils 2.0, nuire à l’e-réputation de l’entreprise. Notamment sur Linkedin, Viadeo, mais aussi sur les forums (trop souvent oubliés) sur des blogs, sur l’espace Facebook de l’entreprise… C’est une sorte de nouvel équilibre Entreprise-Candidat qui se crée au travers du web 2.0.
Du côté des recruteurs, les avantages sont certains et ce, quelle que soit la taille de l’entreprise. Les recruteurs ont la possibilité de travailler leur marque employeur en utilisant les outils mis à leur disposition gratuitement par le web 2.0 : les blogs, les réseaux sociaux professionnels, Twitter, Facebook… Etant donné que nous ne sommes plus sur une dimension d’achat d’espace, est-ce que le RH 2.0 offrirait l’égalité du recrutement ? Dans la théorie oui… Dans la pratique non, car s’ils ne présentent pas de frais réels et directs (excepté pour Viadeo et Linkedin), les réseaux sociaux sont friands de temps, beaucoup de temps, et comme dit le dicton : « Le temps c’est de l’argent ! » Donc oui, le DG d’une TPE ou PME peut essayer de recruter un de ses employés via ces canaux, l’approche ne changera pas de celle d’un RRH du CAC40, mais a-t-il le temps d’organiser des recherches sur Google, d’essayer de rentrer en contact avec les profils ciblés sur Linkedin ou Viadeo, de créer sa communauté sur Twitter ? Je n’en suis pas sûr.
A ceci, les détracteurs des réseaux sociaux diront qu’en plus tous les candidats ne sont pas présents sur ces outils, qu’ils concernent des catégories de métiers ou de secteurs. Peut-être oui, mais en 2000 les jobboards ne concernaient que les cadres dans les services… Viadeo a démarré sa démocratisation en 2008, Facebook est en version française depuis 2008, Twitter en version française depuis 2009… Laissons du temps pour ne pas reproduire les erreurs du passé. Vous avez certainement vu ces derniers temps des articles aux titres accrocheurs : La mort du CV, la fin des jobboards… Personne ne peut prédire l’avenir, mais j’ai des très forts doutes à ce sujet. En regardant en arrière, les jobboards ont pris une place centrale et inévitable par rapport à la presse car ils répondent mieux aux besoins des candidats et des recruteurs : économie, ROI facilement calculable, réactivité, ciblage. Est-ce que les réseaux sociaux peuvent donner plus aux recruteurs et aux candidats que les jobboards ? Non, ils sont complémentaires ! Et je ne vois pas les réseaux sociaux être dans quelques années, loin devant les jobboards ou les sites RH, le canal principal de recrutement.
La révolution est en marche…
Les réseaux sociaux s’appuyant sur la conversation, ils modifient intrinsèquement la relation recruteur-candidat. Lorsque l’on choisit de venir sur les médias sociaux pour recruter, cela oblige à abandonner la philosophie du « Stop and Go » (je ne communique que quand j’ai des recrutements), et donc la philosophie d’achat d’espace (annonce, mailing, communication) pour entrer dans le conversationnel. Ce conversationnel oblige les recruteurs à fournir un travail d’écoute personnalisée et de la réactivité. Le temps sur les médias sociaux est à une échelle plus courte que sur les autres médias. C’est le temps de l’instantanéité, de la rapidité des flux d’informations et donc de l’impatience. De plus, étant donné qu’ils prônent l’égalité (le web de tous), les candidats se retrouvent sur la même marche que les recruteurs, effet renforcé par la perception des digital natives (Etude Genetic – BVA) de leur rapport au travail et à l’autorité : « Prouve ton titre de manager ».
L’horizontalité des rapports, le candidat-consommateur-citoyen, la transparence sont autant d’évolutions qui poussent les professionnels des RH à révolutionner leur appréhension du recrutement et des talents.
Je pense qu’elle est là, la révolution !
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Arnaud,
Un excellent article et une réflexion que je partage sur l’horizontalité des rapports qui est la véritable révolution des Réseaux Sociaux.
Par ailleurs, ce qui est plus inquiétant et me « perturbe » le plus c’est la rapidité, l’instantanéité et notamment cette notion de conversationnel, qui me fait très rapidement penser à la « discussion de bistrot » avec pour conséquence « peut-être » une perte de qualité dans l’échange (même si celui-ci passe par l’écrit)… Par ailleurs et pour rebondir sur vos guillemets entourant le terme « expert », ne pensez-vous pas que un trop grand nombre d’experts autoproclamés sont accoudés au zinc de ce bistrot du web 2.0 😉
Au plaisir d’échanger avec vous
Sur l’horizontalité des rapports c’est vrai que c’est une révolution dont on entend beaucoup parler, mais je pense que ça reste un privilège des profils pénuriques. Pour les autres, c’est-à-dire la majorité des chercheurs d’emploi, ils ne sont malheureusement pas en position pour inverser les rapports de force. Au final, c’est quand même toujours le recruteur qui décide, ce pouvoir-là ne changera pas de camp.
@FmR,
Très bonne remarque pour un candidat qui fait parti du « commun », sans être péjoratif, à l’exemple du jeune diplômé par exemple qui n’a encore d’expériences ou de réelles compétences à proposer sur le marché… Rappelons qu’il n’y a pas d’égalité entre les candidats sur le marché de l’emploi, comme pour les entreprises d’ailleurs (à l’instar des classements des entreprises les plus prisées) et que se soit sur un marché en mode 1.0, 2.0 ou 3.0 !
D’ailleurs, le recruteur qui va sur les RS, concentre bien souvent ses recherches sur des candidats « pénuriques », c’est donc dans cette situation que l’horizontalité des rapports est la plus réelle… Ce rapport horizontal existait (et existe toujours) d’ailleurs dans une approche de « chasse », les RS n’ont fait que démocratiser et l’étendre à un plus grand, les candidats « pénuriques » étant plus visibles qu’auparavant !
Sur la décision, je suis moins d’accord, c’est le candidat qui choisit au final et l’entreprise qui fait une proposition d’embauche, le lien de subordination n’existe pas à ce moment là… Le rapport de force dans le recrutement est donc du côté du candidat (d’autant plus si le marché est en tension)… En effet, au final c’est le candidat qui décide et pour arriver à cette position de décideur. Il n’a qu’une chose à faire : être le meilleur des candidats !
Au plaisir d’échanger sur ces propos
C’est surtout les candidats en poste qui ont le pouvoir d’accepter ou non une proposition d’embauche. Mais ça implique quand même une démarche proactive au préalable, un processus classique avec CV, entretien suite à une chasse sur les RS ou ailleurs. Et là effectivement il doit montrer son meilleur profil. Après cette phase de séduction, il y a forcément négociation, même si le candidat correspond aux attentes, c’est au final l’entreprise qui dicte les conditions d’embauche, de rémunération, les avantages, etc.
@FmR,
Mais au final, séduction ou pas, méthode avec Cv ou sans, web 2.0 ou 15.0 :))) Et dans le cadre d’un candidat avec un profil très recherché… Il s’agit toujours d’une négociation…
Personne n’oblige personne ! Arrêtons avec l’idée de l’entreprise toute puissante qui dicte ses conditions… Un candidat avec des compétences, des expériences et notamment une personnalité, des comportements et des motivations en phase avec le besoin de l’entreprise est bien souvent en position de force…
C’est le capital humain, la matière crise et le potentiel qui sont importants aujourd’hui ! Et de mon expérience de plus de 10 ans sur le recrutement de postes de Direction et de middle management, je retiens que bien souvent les entreprises sont prêtes à de nombreuses concessions pour recruter la perle rare !
« La matière crise », lapsus révélateur ? Au plaisir d’échanger avec vous Laurent comme d’habitude 😉
Oups !!! Je me suis fais attraper… Effectivement très révélateur, mais il me sied bien tant à la situation qu’au moment 😉
Superbe article avec des faits réellement intéressants! Voici un lien vers une vidéo qui présente une entreprise de recrutement qui a su tirer profit des médias sociaux! Bonne écoute : http://www.youtube.com/watch?v=EjAP06oLCJM
Voilà un article qui défini clairement les bases du système. Très enrichissant ma foi, il ouvre de multiples questionnements à poursuivre ultérieurement.