Les Notes de la communauté sur X (Twitter) : utiles, futiles ou militantes ?
Outil collaboratif censé « créer un monde mieux informé », les notes de la communauté sont déjà détournées de leur vocation première.
Depuis plusieurs semaines, les utilisateurs de X, anciennement Twitter, ont pu voir apparaître des notes sous certaines publications. Elles viennent, le plus souvent, apporter un contexte, une précision ou une rectification aux propos rédigés dans la publication concernée, et sont rédigées de manière collaborative. Ces Notes de la communauté ont pris en visibilité sur le réseau social racheté par Elon Musk, mais ne sont pas nouvelles. Mises en place pour lutter contre la désinformation, leur fonctionnement reste néanmoins opaque et, de plus en plus, elles sont détournées de leur objectif premier.
Les Notes de la communauté inspirées du Birdwatch de l’ancien Twitter
Dès 2021, avant le rachat du réseau social par Elon Musk, Twitter avait déployé Birdwatch, un outil permettant aux utilisateurs de signaler des contenus liés à la désinformation. Les twittos américains avaient alors la possibilité d’ajouter des notes de contexte à certains tweets. Puis, toujours sur le territoire des États-Unis, ce sont les Community Notes qui ont fait leur apparition en novembre 2022, reprenant le principe de Birdwatch. Présentées par Elon Musk comme « une révolution pour combattre les informations erronées », les Notes de la communauté ont fait leur arrivée en France à l’été 2023 et sont maintenant disponibles dans plus de 40 pays sur X. Des comptes officiels ont d’ailleurs été créés pour les répertorier.
Comment fonctionnent les Notes de la communauté sur X
Le principe est simple. Les utilisateurs peuvent s’inscrire volontairement au programme des notes, sans être abonné à X Premium, anciennement Twitter Blue, au sein duquel ils disposent d’outils pour proposer des notes, afin d’ajouter un contexte au post, faire remarquer une erreur, une formulation trompeuse ou un mensonge. Ils doivent au préalable signifier pourquoi un message doit faire l’objet d’une note parmi une liste proposée par X, où figurent par exemple des mentions comme « contient une erreur factuelle », « présente une déclaration non vérifiée comme un fait établi », ou encore « donne une représentation biaisée ou omet de fournir des informations contextuelles importantes ». Puis, ils auront à rédiger leur note en y joignant une source qui se veut, en théorie, fiable.
Dans un second temps, les « noteurs » ont la possibilité de voter pour les notes de leurs camarades, afin d’évaluer leur utilité et leur sincérité, avant la mise en ligne de façon bien visible sous le post initial. Un rôle endossé par Damien Leloup, du Monde, qui a rejoint le programme « plusieurs mois après [s’y] être inscrit ». Le journaliste décrypte : « Pour qu’une note soit affichée, il faut que plusieurs utilisateurs, « qui ont été en désaccord par le passé », soient d’accord sur le fait de publier ou non une note. » C’est ce que X appelle la « diversité des perspectives ». Mais il s’étonne de ne trouver aucune autre forme de précision. « Qui sont les autres utilisateurs ? Comment sont-ils choisis ? Combien de « noteurs » doivent être d’accord pour qu’une note soit validée ? Que signifie « avoir été en désaccord » ? Quelles données Twitter conserve-t-il pour savoir si j’ai été d’accord ou non avec d’autres ? Tout cela, je l’ignore », écrit-il.
Transparent sur ses principes, le service ne l’est pas du tout sur les critères utilisés, constate Damien Leloup, journaliste au Monde.
Une fois une note publiée après ce fameux consensus, les utilisateurs peuvent évaluer son utilité. Considérée inutile, elle pourra être retirée. Par ailleurs, l’auteur du post annoté peut quant à lui demander une révision de celle-ci, s’il estime qu’elle est erronée.
Sur X, à quoi servent les Notes de la communauté ?
« Les Notes de la Communauté visent à créer un monde mieux informé », grâce à ce « moyen collaboratif de contextualiser les posts », peut-on lire sur la page officielle dédiée. L’idée semble donc noble, a priori. De nombreuses Notes de la communauté ont en effet une certaine utilité sur la plateforme.
Des déclarations trompeuses…
On voit par exemple des déclarations de politiciens remises en question, rétablissant la vérité sur certains faits. Comme avec Eric Ciotti, président du parti Les Républicains : évoquant le port de l’uniforme dans les établissements scolaires, il affirmait, dans un post relayant son interview au JDD, souhaiter le « retour » de cette pratique. Une note est venue le contredire, expliquant que l’uniforme n’avait jamais été obligatoire en France, s’appuyant sur un article publié par le quotidien La Croix. Autre exemple, celui de cet utilisateur affirmant que les nouvelles CGU de X permettraient au réseau social d’utiliser, de modifier et de reprendre votre contenu comme il l’entend. Ici, les « noteurs » ont expliqué que cette clause était déjà présente dans les CGU de Twitter en 2018, lien web archive à l’appui.
…aux annonces publicitaires malhonnêtes…
Autre utilité des notes particulièrement appréciée par les utilisateurs : la dénonciation de publicités mensongères, malhonnêtes ou anéthiques. Les contenus sponsorisés ont, en effet, envahi les timelines de X, avec de nombreuses plateformes e-commerce y faisant la promotion payante de leurs produits. Mais les « noteurs » prennent un malin plaisir à préciser aux autres utilisateurs le caractère trompeur de certaines annonces.
Ainsi, sous des posts regroupant des millions d’impressions, on peut, de plus en plus souvent, lire une note démontrant que telle ou telle boutique pratique le dropshipping sur des produits qu’il est possible de trouver à moindre coût sur des sites de discount massif. Les exemples ci-dessous le prouvent, avec des t-shirts reprenant les codes de Star Wars sans que la marque soit affiliée à Disney, détenteur des droits de la licence, ou avec ces dents de vampires, qu’il est possible de trouver sur Amazon à un prix bien moins important que ce propose le site dans son post sponsorisé.
…en passant par le « pinaillage »
Les deux usages des Notes de la communauté évoqués ci-dessus représentent la vocation première de la fonctionnalité : rétablir un fait, apporter une précision importante sur une information trompeuse. Mais le journaliste du Monde a fait un constat, alors qu’il étudiait les notes soumises à son appréciation. Pour Damien Leloup, les notes sont « l’arme ultime du pinailleur », qui rédigera une précision « pour une erreur de 0,3 % sur un chiffre » ou reprendra un post « d’une personnalité populaire contenant une légère exagération ». S’il reconnaissait en juin que « peu de notes de pinaillage [étaient] finalement publiées », les deux exemples ci-dessous pourraient presque entrer dans cette catégorie.
À l’image des frasques Kanye West et de sa compagne dans un bateau à Venise, qui auraient conduit le couple à être « interdit à vie de monter à bord des bateaux » de la cité italienne. Les « noteurs » ont ici précisé que le rappeur était banni uniquement des activités de la compagnie au sein de laquelle il s’était livré à « un acte indécent ». Autre précision apportée à un post d’un aficionado du Youtubeur Inoxtag, le félicitant d’avoir gravi « le plus haut sommet d’Europe » après son ascension du Mont Blanc. Ici, des « noteurs » tatillons ont jugé utile d’ajouter qu’il s’agissait là du plus haut sommet de l’Union européenne et non du continent européen.
Des Notes détournées de leur vocation première
Cependant, pour tout usage, il y a mésusage. Et les Notes de la communauté n’y échappent pas. L’aspect collaboratif, sur une plateforme où les avis sont aussi tranchés, présente des risques. Déjà, sur Twitter à l’époque de Birdwatch, les équipes étaient conscientes des problèmes que cette nouvelle fonctionnalité pouvait apporter. « Nous savons que construire un système comme celui-ci, fondé sur la communauté, va poser de nombreux défis : il faut qu’il soit résistant aux tentatives de manipulation pour qu’il ne soit pas dominé par une majorité simple de contributeurs ou des préjugés », expliquait Keith Coleman, VP Product, lors du déploiement en 2021.
Des cas d’école ont déjà été constatés. Par exemple, Nahel Belgherze, utilisateur de X connu pour ses analyses du climat, a partagé une vidéo des importantes inondations qui ont touché la région de Tolède, en Espagne. Sous son post, une note a été ajoutée : « Bien que les images sont vraies, elles ne sont pas actuelles, il s’agit d’inondations survenues à Tolède en 2021. » Nahel Bergherze a dû se justifier, expliquant que la vidéo a été prise et postée la veille sur Instagram, et indiquant que la note est fausse et que les liens qu’elle contient ne prouvent absolument rien. Quelques heures plus tard, la note était retirée. « Ils laissent les trolls prendre le contrôle des Notes de la communauté », s’est-il désespéré, habitué à devoir gérer les nombreux climato-sceptiques et climato-négationnistes présents dans les commentaires de ses publications.
Les notes, un « outil de joute idéologique » ?
Pour certains utilisateurs, les Notes de la communauté commencent donc à poser problème. Pour le député écologiste Julien Bayou, cité par l’AFP, elles sont devenues « un outil de joute idéologique qui ne dit pas son nom et qui, malheureusement, peut être faussé ». Julien Pain, présentateur de Vrai ou Fake sur France Info, observe de son côté des communautés « très engagées ». Et ce, au sein d’un « environnement de plus en plus partisan » sur X, estime Alex Mahadevan, directeur du programme MediaWise, spécialisé dans la désinformation en ligne.
Cela aurait peut-être fonctionné il y a quatre ans. Mais ça ne marche plus car 100 personnes de gauche et 100 personnes de droite ne vont plus se mettre d’accord sur l’efficacité des vaccins, juge Alex Mahadevan.
D’autres se sentent de plus en plus visés par des notes qui apparaissent sous la plupart de leurs posts, à la manière d’un « raid » presque organisé. Pour la députée Sandrine Rousseau, qui fait face à des détracteurs virulents et dont les posts font maintenant l’objet de notes régulières, c’est « une nouvelle forme de harcèlement », dénonce-t-elle sur X. Un message qui… a fait l’objet d’une note pendant quelques heures, expliquant qu’elles n’ont aucune vocation à harceler un utilisateur, avant d’être retirée. Cependant, les statistiques (open source) prouvent que la députée écologiste est particulièrement visée.
La question de la désinformation et de la modération toujours centrale sur X
La tension ne semble donc pas prête de retomber sur X, malgré l’arrivée des Notes de la communauté. Vantant les mérites de Birdwatch en novembre 2022, Elon Musk, chantre d’une liberté d’expression à la vision très personnelle, semble loin du but qu’il avait alors énoncé : « Faire de Twitter la source d’information la plus fiable sur Terre, quelle que soit l’affiliation politique. » Un objectif difficile à tenir, surtout après être sorti du code des bonnes pratiques de l’Union européenne quant à la désinformation au printemps 2023, et avoir, selon le média spécialisé Protocol cité par Le Monde, supprimé une grande partie des capacités de modération de la plateforme en mettant fin aux contrats de milliers de prestataires.
Pourtant, interrogé au même moment par Anne-Sophie Lapix sur France 2, Elon Musk assurait que les équipes de modération n’avaient pas été touchées par la vague de licenciement : « Nous n’avons pas réduit l’activité de modération à proprement parler. La modération est effectuée par environ 4000 collaborateurs. Les discours de haine ont diminué de 20 à 40 % depuis l’acquisition. » Pourtant, comme le pointe les équipes de France 2, selon l’ISD (Institute for Strategic Dialogue), le volume de messages antisémites a plus que doublé dans les trois mois qui ont suivi le rachat par Elon Musk par rapport aux trois mois précédents. Constat similaire du Center of Countering Digital Hate avec les insultes racistes.
En attendant et comme souvent sur X, il faudra désormais faire le tri entre les Notes de la communauté. Car chaque innovation sur le réseau social semble rapidement détournée à des fins partisanes, malveillantes ou de désinformation.
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