Wespr : comment la blockchain peut révolutionner le monde de l’édition
Suite de notre dossier sur la blockchain avec un nouvel exemple d’application concrète. Nous avons le plaisir d’interviewer aujourd’hui Olivier Sarrouy, Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Rennes 2 et co-fondateur du projet Wespr, qui a pour but de révolutionner le monde de l’édition. Cette plateforme communautaire souhaite mettre en relation les différents acteurs de l’univers du livre, des lecteurs aux écrivains en passant par les illustrateurs ou les éditeurs, en simplifiant la gestion des droits d’auteurs et la redistribution de la rémunération. Il nous explique plus en détail son projet et l’intérêt de la blockchain pour le mener. Olivier Sarrouy interviendra de 10h à 12h30 jeudi prochain à la French Tech Rennes-Saint-Malo sur le thème « Les organisations autonomes décentralisées : de la théorie à la pratique » dans le cadre de la Digital Tech Conférence, dont nous sommes partenaires.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis ingénieur de formation, formé à Supélec. Je me suis ensuite orienté vers les sciences sociales et la philosophie. J’enseigne actuellement ces disciplines dans le département Communication de la Faculté de Rennes 2, tout en continuant de développer sur divers projets open source pour le plaisir.
Vous travaillez actuellement sur le projet Wespr, qui s’appuie sur la blockchain. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il a été lancé par 4 personnes : Alexandre Rouxel (doctorant en communication à Rennes 2), Nolwenn Jollivet (issue du monde culturel et artistique avant de s’orienter vers l’édition), Thibault Boixière (journaliste culturel à Rennes) et moi-même. Le projet est centré sur le monde du livre, ce sera sa première application. Nous sommes tout de même en train d’étendre le champ d’application de Wespr (prononcer whisper) à d’autres contenus : musique, vidéo, etc. Pour cela, nous souhaitons concevoir dès le début nos protocoles, nos smart contracts, nos logiques de fonctionnement, notamment pour le token, de manière à pouvoir le faire.
A quelles problématiques le projet répond-il ?
Nous sommes tous familiers avec le milieu littéraire et donc avec les problèmes du secteur de l’édition. Ils sont liés à plusieurs choses : la difficulté des structures à faire face à l’afflux de manuscrits. Depuis une dizaine d’années et l’explosion du web, leur nombre a été multiplié car ils sont plus simples à transmettre et que le web a donné envie aux gens d’écrire. Les éditeurs doivent donc choisir entre des centaines voire des milliers de livres chaque année alors que ces structures sont souvent petites, avec une poignée de salariés, et n’ont donc ni le temps ni la capacité matérielle de faire face à ces demandes. Le deuxième problème vient des moyens : disposant d’un capital souvent faible, les éditeurs ne peuvent pas prendre le risque de parier sur des livres qui ne se vendront pas, car ils mettraient leur pérennité en danger.
Concrètement, que va faire Wespr ?
Dans le cadre de ma thèse, j’ai beaucoup étudié les logiques des organisations décentralisées, les logiques de foules, de contributions ouvertes… Nous avons cherché à voir comment nous pouvions appliquer ces logiques pour redéfinir les mécanismes de l’édition et comment nous pouvions utiliser les technologies blockchain pour le faire. Notre réponse a pris la forme d’une plateforme d’auto-édition sur laquelle on pourrait mettre son livre, protéger sa propriété intellectuelle, faire un choix de licence… Le but est également de pouvoir collaborer avec d’autres personnes sur la plateforme, sur l’écriture, sur des illustrations, des corrections, des traductions… Le système lierait ces contributions à une redistribution automatique des droits d’auteurs en fonction du deal passé entre les contributeurs. Des pouvoirs de décision seraient également partagés, et les différents co-auteurs décideraient de l’avenir du livre en votant à hauteur des parts de chacun. Nous nous appuyons sur le protocole GIT. Selon la licence choisie pour protéger l’œuvre, il sera possible de la « forker », d’autres pourront ainsi écrire des suites, des fins alternatives, … Le monde de l’édition est un village, Wespr va essayer de le transformer en ville où les gens peuvent se rencontrer par le hasard de leurs lectures et de leurs contributions. Nous souhaitons proposer des outils qui permettront aux gens de se faire confiance, notamment dans le partage des droits d’auteur qui est un élément décisif.
Un autre axe de développement consiste à donner la possibilité aux lecteurs d’investir dans les livres. Si on apprécie un livre, on peut investir une petite somme qui nous donnera une part des droits du livre. Cela permettra au livre de disposer d’un petit capital de départ pour rentrer dans les circuits de l’édition plus traditionnelle. Plus largement, nous souhaitons inventer une nouvelle manière de rémunérer les auteurs et les producteurs de contenu de manière générale avec une cryptomonnaie que nous avons créé, l’Echo. L’objectif est que, dès qu’une attention est dirigée vers une œuvre (un livre pour le moment) parce qu’il est lu, liké, partagé, des tokens soient émis pour rémunérer les auteurs à hauteur de leur pourcentage d’autorité. Les personnes à la base des œuvres seront également rémunérées, dans le cas des forks cités plus haut : toutes les dépendances seront automatiquement rétribuées.
Plus précisément, comment va fonctionner le token, qu’est-ce qui va déterminer sa valeur et ses fluctuations ?
Nous souhaitons essayer de faire en sorte que la politique d’émission du token soit indexée sur la quantité d’attention dépensée sur le site en direction des différentes œuvres. Le token permettra d’acquérir des œuvres, sa valeur dépendra donc aussi fortement de la demande. Notre algorithme de minage des tokens va être conçue de sorte à mieux rémunérer les attentions longues et régulières plutôt que les buzzs ponctuels. Nous souhaitons donner une prime à la régularité, et une attention de qualité.
Un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est celui de la stabilité de la monnaie. Nous sommes en train de travailler avec des mathématiciens pour limiter l’émission de token et donc éviter une politique inflationniste qui nuirait à leur valeur. Mais il faut aussi limiter les effets d’une politique déflationniste et donc les mouvements strictement spéculatifs. Il est nécessaire de trouver un équilibre pour que les auteurs puissent avoir confiance dans les rémunérations qu’ils obtiendront.
Où en êtes-vous dans la construction du projet ? Avez-vous déjà une projection sur la date de sortie ?
Nous avons un prototype qui tourne en interne, un MVP (produit minimum viable) qui est construit de manière auto-suffisante. La première étape est de réécrire ce prototype en développant une approche plus modulaire et plus extensible pour que les protocoles que nous utilisons soient utilisables pour d’autres types de produits. Il devrait y avoir une première pre-sale privée au premier trimestre 2018 pour lever des fonds et accélérer le développement afin de sortir un prototype plus abouti l’été prochain. Nous visons une ICO pour l’automne 2018, et donc l’émission du token à ce moment-là.
Pour conclure, si vous deviez donner votre définition personnelle de la blockchain en quelques phrases, quelle serait-elle ?
Je vois la blockchain comme un nouveau dispositif de gouvernementalité. On essaie d’orienter les conduites des uns et des autres dans un sens qui nous semble aller dans le sens du bien commun. Il y a une manière très libérale de faire, c’est du gouvernement par intérêt avec des mécanismes d’incentivisation. Mais on peut programmer la manière dont on organise ces intérêts, dont on les articule. Ce qui va être vraiment décisif, c’est de pouvoir inventer de nouvelles manières de diriger les grandes organisations, d’organiser les choses. On est très loin encore d’imaginer les choses vers lesquelles cela va nous conduire.