« Le web ouvert décline rapidement » : à qui ment Google ?
En public, Google jure que l’intervention de l’IA dans ses résultats de recherche ne nuit pas aux éditeurs de contenu. Au tribunal, son discours est bien différent…

Google n’a jamais autant parlé du web ouvert qu’en ce moment. Le moteur de recherche au monopole mondial se présente comme son grand défenseur, promettant aux éditeurs et créateurs de contenus qu’ils continueront à recevoir un trafic stable et de qualité, malgré l’arrivée des AI Overviews et de l’AI Mode.
Pourtant, un document issu du procès antitrust en cours aux États-Unis raconte une tout autre histoire. On y lit que « le web ouvert est déjà en rapide déclin » et que toute mesure visant à séparer les activités publicitaires de Google ne ferait qu’accélérer cette dynamique. Une affirmation qui va directement à l’encontre des discours tenus publiquement par Sundar Pichai, CEO de Google, et ses équipes ces derniers mois.
Un discours toujours rassurant en façade
Au printemps, le PDG de Google affirmait que l’édition en ligne se portait bien, avec une hausse de 45 % du nombre de pages indexées en deux ans. Nick Fox, vice-président en charge de la recherche, allait dans le même sens en déclarant que le web était « florissant » ou « prospère » (« thriving » en anglais). Liz Reid, responsable de Google Search, insistait de son côté sur la « relative stabilité » du volume de clics envoyés aux sites, assurant que Google générait encore « des milliards de visites » chaque jour.
Ce discours vise bien sûr à apaiser les inquiétudes des éditeurs, nombreux à observer un recul de leur audience depuis l’arrivée des fonctionnalités d’IA générative dans les résultats de recherche, qui permettent d’obtenir des réponses synthétiques sans avoir à naviguer sur les sites sur lesquelles elles sont basées. Mais il contraste fortement avec la stratégie juridique de Google, qui veut à tout prix éviter le démantèlement de ses services, à l’instar du récent procès dont l’issue lui a permis de conserver le navigateur Chrome dans son giron.
Un constat plus sombre devant la justice
Dans un document déposé au tribunal, les avocats de Google dressent un tableau beaucoup plus pessimiste. Selon eux, les investissements publicitaires se déplacent vers d’autres formats, comme la télévision connectée, le retail media et les dispositifs dopés à l’IA. La part du display sur le web ouvert serait ainsi passée de 40 % en 2019 à seulement 11 % début 2025, selon Search Engine Land.
L’IA est en train de transformer la publicité à tous les niveaux ; les formats display hors web ouvert, comme la télévision connectée et le retail media, connaissent un essor fulgurant (…) La réalité est qu’aujourd’hui, le web ouvert est déjà en rapide déclin et que la proposition de cession des plaignants ne ferait qu’accélérer ce déclin, au détriment des éditeurs qui dépendent encore des revenus issus de la publicité display sur le web ouvert (…) La dernière chose qu’un tribunal devrait faire est d’intervenir pour remodeler une industrie qui est déjà en train d’être profondément transformée par les forces du marché.
Si ce discours est une plaidoirie pour convaincre la justice américaine de ne pas forcer Google à céder une partie de ses activités publicitaires, il tranche avec les messages optimistes véhiculés par les dirigeants. Il donne aussi du crédit aux alertes répétées des éditeurs, qui constatent un recul massif du trafic organique et redoutent que les nouvelles habitudes de recherche, façonnées par l’IA, ne fassent qu’amplifier cette tendance.
Face à ces contradictions, Dan Taylor, vice-président Global Ads chez Google, a voulu éteindre l’incendie sur X : « Il est clair que Google fait référence à la « publicité display sur le web ouvert », et non pas au web ouvert dans son ensemble. » Le journaliste de Search Engine Roundtable, premier à avoir publié le document issu du procès, lui a simplement répondu : « Je ne vois absolument aucune différence. »
La bataille des clics
La question des clics illustre parfaitement ce décalage. Plusieurs enquêtes, dont celles du Pew Research Center, de Similarweb ou encore GrowthSRC, montrent que les utilisateurs cliquent beaucoup moins sur les liens lorsqu’un aperçu IA est affiché. Seuls 8 % d’entre eux poursuivraient leur navigation vers un site et à peine 1 % cliquerait sur les sources mentionnées dans les résumés IA. Dans le même temps, la proportion de recherches sans clic a explosé, passant de 56 % à 69 % en un an selon Similarweb. Quant aux taux de clics des premières positions sur les résultats de recherche, il aurait chuté de plus de 30 %.
Google réfute ces résultats et répète donc que les clics restent stables. Mais l’entreprise n’a, comme à son habitude, jamais publié de données précises permettant d’isoler le trafic réellement généré par les résultats IA. Les éditeurs doivent donc se contenter de constater les effets dans leurs propres outils d’analyse, souvent marqués par une baisse sensible de leur audience. Et d’avaler les couleuvres de Google ?
Google sait-il encore à qui il ment ?
La stratégie de Google est donc à géométrie variable. Dans l’espace public, Google se présente comme un rempart contre l’effondrement du web ouvert, en assurant que ses avancées en matière d’IA ne nuiront à personne. Dans l’arène judiciaire, il dépeint un écosystème déjà affaibli pour éviter un démantèlement de ses activités publicitaires. Dans les deux cas, la firme reste la seule à disposer des chiffres qui permettraient de trancher le débat. Mais ce qu’il se passe au tribunal n’y reste pas forcément, surtout quand les enjeux sont à ce point importants.
Entre promesses de stabilité et aveux de déclin, Google joue sur deux tableaux, selon l’interlocuteur à qui il fait face. Les éditeurs, eux, voient surtout une tendance lourde se dessiner : un trafic qui s’érode, des clics qui disparaissent et un web ouvert dont l’avenir paraît de plus en plus fragile. Surtout, plus personne ne sait où se trouve la vérité de Google. Elle se situe sans doute plus probablement dans les tribunaux que dans l’espace public. À moins que, finalement, Google ne mente à tout le monde…