Le web est-il en train de devenir entièrement synthétique ?

Loin des prévisions les plus alarmistes, le web n’est pas encore dominé par les contenus générés par l’IA. Et c’est tant mieux, puisqu’il doit impérativement conserver une part d’humanité, plaide Sane Lebrun dans une tribune pour BDM.

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"Il est vital que le web reste en partie humain", estime Sane Lebrun. © AddMeshCube - stock.adobe.com

Sane Lebrun est l’auteur de la newsletter IA Upmynt, devenue une référence avec plus de 5 000 abonnés. Il est également l’auteur de l’ouvrage Boostez votre business avec l’intelligence artificielle (Vuibert, 2024). Précédemment, il a travaillé plus de quinze ans dans la tech (jeux vidéo, apps smartphone, blockchain), en tant que manager, consultant, directeur marketing ou CMO. 

En 2022, une obscure étude d’Europol prédit que « 90 % du web sera généré par l’IA d’ici 2026 ». Cette statistique spectaculaire continue aujourd’hui de circuler. Fin 2025, les données et la pratique disent pourtant autre chose : le web devient avant tout hybride, fruit d’une collaboration croissante entre humains et machines.

Cela étant, la part croissante de contenu IA-généré n’est pas sans risque, et met potentiellement en péril l’existence même du web. Voyons pourquoi.

90 % du web IA-généré, un mythe… pour l’instant

Un web presque entièrement synthétique, voilà une projection à horizon 2026 qui ne devrait pas se réaliser de sitôt. D’ailleurs, il ne s’agissait pas d’une mesure, mais d’un scénario fondé sur l’accélération de la production automatisée. Or, trois ans plus tard, la réalité observable est plus nuancée, et surtout très dépendante des méthodologies de détection.

Alors, où en est‑on vraiment en 2025 ?

Les estimations sérieuses divergent, mais elles positionnent toutes la part de contenu IA bien en deçà de 90 % :

  • Le tracker d’Originality.ai détecte environ 18 % de contenus IA dans le top 20 des résultats de recherche Google en septembre 2025.
  • Selon une étude d’Ahrefs, datant d’avril dernier, la majorité du contenu nouvellement publié est hybride : 2,5 % pure IA, 25,8 % pur humain, et 71,7 % en mix humain + IA.
  • Enfin, l’étude la plus récente, publiée par l’agence Graphite, annonce pour sa part une prévalence des articles IA sur les contenus humainement générés. L’étude porte cependant uniquement sur le web anglophone.

La frontière « humain vs IA » semble donc de moins en moins pertinente : le web est désormais avant tout hybride… Ce qui rend la mesure d’autant plus difficile.

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Selon une étude de Graphite, les articles rédigés par l’IA seraient désormais plus nombreux que ceux produits par des humains. © Graphite

Détecter le contenu synthétique : pas si simple

Toute estimation de l’origine actuelle du web repose ici sur des détecteurs d’IA… qui ne sont pas totalement fiables :

Bref, les détecteurs peinent à repérer le contenu synthétique, et sont largués dès lors que le contenu est d’origine hybride.

L’AI slop s’accélère sur les réseaux et la vidéo

Une autre zone du web est actuellement inondée de contenu généré par l’IA, sous forme de AI slop : les plateformes sociales et vidéo.

Par « AI slop », on entend des contenus générés ou assistés par IA, produits à la chaîne : volumineux, standardisés, peu contextualisés et rarement vérifiés.

Et cette bouillie synthétique a un effet mesuré sur l’authenticité perçue et la qualité des interactions : l’usage de l’IA augmente certes la production, mais dilue sévèrement la qualité des discussions.

YouTube voit ainsi proliférer les chaînes 100 % IA (histoires absurdes, compilations, voix synthétiques) : 9 des 100 chaînes à la croissance la plus rapide en juillet 2025 n’étaient que de l’IA, poussant la plateforme à préciser ses règles de monétisation contre le contenu « inauthentique » et « produit en masse ».

Oui, les plateformes réagissent (démonétisation, labels, retraits) mais, de toute évidence, l’offre artificielle croît plus vite que les garde-fous, provoquant la lassitude des utilisateurs.

Cette invasion d’AI slop, qui dégrade déjà l’expérience sur les médias sociaux, montre qu’un web entièrement synthétique n’est ni souhaitable ni soutenable : il érode la confiance, appauvrit la conversation et fatigue l’audience — d’où la nécessité de préserver un socle majoritaire de contenu humain.

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En 2024, Facebook a été submergé d’images générées par IA, représentant Jésus en crevette. © Wikimedia Commons

Il est vital pour l’IA que le web reste en partie humain

La prolifération de l’IA-généré est paradoxalement toxique pour l’intelligence artificielle elle-même.

En effet, les modèles IA ont besoin de données d’entraînement authentiques, diverses et récentes. Si l’écosystème bascule vers un web majoritairement « recyclé » par des modèles, on court un risque d’appauvrissement de l’IA : c’est le « model collapse ».

Lorsqu’un modèle est entraîné de façon récursive sur des données synthétiques issues d’autres modèles, on observe une perte de diversité et une dégradation des performances de l’IA, ce qui fait courir un risque d’écroulement du modèle.

Conséquence directe : préserver des voix humaines fiables (journalisme, documentation, expertise métier, témoignages) devient un intérêt commun : pour les internautes, mais aussi pour l’IA elle-même. Un comble.

Un enjeu aussi civilisationnel

Un web entièrement synthétique serait un web amnésique. La connaissance, la nuance, la contradiction, l’humour — bref, la culture — naissent d’expériences humaines vécues et signées.

Les modèles apprennent et recrachent, mais ils ne vivent pas : sans témoignages, enquêtes, créations et controverses humaines, ils finissent par recycler leur propre écho. Et ça, ça risque de sonner rapidement de plus en plus creux.

Garder une part substantielle de contenu humain, c’est préserver notre mémoire collective, notre capacité de désaccord et notre sens du vrai.

En clair : écrivons, documentons, assumons nos voix, pour que le web reste un bien commun vivant, et que les machines continuent d’y puiser autre chose que du bruit.

Picture of Sane Lebrun

Sane Lebrun, Créateur d'Upmynt

Depuis novembre 2022, Sane Lebrun conçoit et édite la newsletter Upmynt, dédiée à l’intelligence artificielle et suivie par plus de 5 000 abonnés. Titulaire d’un master obtenu à l’ESCP, Sane Lebrun a précédemment travaillé dans plusieurs entreprises tech comme Gameloft, Decrypt ou plus récemment Ignite, où il a occupé le poste de Chief Growth Officer.

Retrouvez Sane sur sa newsletter Upmynt ainsi que sur LinkedIn.

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