Jean-François Nogier, Usabilis : « l’UX design est une démarche scientifique »
Jean-François Nogier est président d’Usabilis, société de conseil UX et d’ergonomie digitale. Il nous présente sa vision du métier et ses conseils pour évoluer dans cette branche.
Pourriez-vous nous expliquer en quelques mots ce qu’est la démarche UX ?
L’UX est un terme très galvaudé actuellement. Nombreux sont ceux qui en parlent. Certains connaissent véritablement la méthode, d’autres la réduisent à coller des post-its sur les murs et dessiner des wireframes.
Je pense que la meilleure définition, reste le terme original à savoir Usability Engineering : comment prendre en compte les exigences d’utilisabilité tout au long du processus de conception d’un produit qu’il soit digital ou non.
Concrètement, la démarche UX se décline en trois étapes : Analyse, Conception et Évaluation.
L’étape d’analyse consiste à observer, interviewer, analyser le comportement des véritables utilisateurs du produit. Cette étape est également appelée User Research. L’étape de conception, c’est la définition des interfaces de l’expérience digitale, on parle d’UX/UI design. Dans cette seconde étape, on maquette des solutions pour répondre aux besoins des utilisateurs identifiés dans la première phase.
Toutefois, on a tendance à oublier que ces maquettes ne sont pas le résultat final. Ce sont des hypothèses de conception qu’il convient de vérifier auprès des véritables utilisateurs. C’est le rôle de la troisième étape : l’évaluation des interfaces, généralement, un test utilisateur qui permet de valider concrètement auprès des véritables utilisateurs du produit les hypothèses de la seconde étape.
Vous le comprenez : l’UX est une démarche scientifique, s’appuyant sur les travaux en ergonomie, psychologie cognitive et psychologie expérimentale. Faire de l’UX, c’est mettre en œuvre les trois phases présentées au-dessus, en particulier la démarche itérative de maquettage/test utilisateur qui permet d’améliorer concrètement l’UX sur des bases objectives et précises.
Lorsque vous déployez cette démarche, quels sont les freins que vous rencontrez généralement ?
La résistance au changement, ou plutôt la peur du changement, est le principal frein que nous rencontrons. Pourquoi refondre, changer, quelque chose qui marche ? Pourquoi essayer d’améliorer un logiciel dont on sait que les utilisateurs se sont habitués à ses défauts ? Ce sont souvent les réactions que nous entendons. Il faut être courageux pour conduire une refonte UX.
Parmi les freins, il y a aussi la crainte de rencontrer les utilisateurs car ils pourraient faire des demandes auxquelles l’application ne répondra pas. Mais, dans ce cas, pensez-vous qu’il soit préférable de ne pas les écouter ?
La crainte aussi de montrer quelque chose qui ne soit pas parfait : une maquette en noir et blanc, plutôt qu’une belle interface en couleur qui fonctionne parfaitement, est une peur que j’observe fréquemment. Alors qu’on sait que les utilisateurs se projettent très bien sur une interface noir et blanc, même si elle n’est pas parfaite. Les études ont d’ailleurs montré que les utilisateurs étaient plus enclins à critiquer une interface qui semble avoir été réalisée rapidement, qu’une interface proche du produit final réalisée avec soin.
Quelle est la question que l’on vous pose le plus souvent ?
« Que faire pour optimiser l’expérience utilisateur sur mon application ? » est assurément la question que j’entends le plus souvent. Cette question est amusante, car elle présuppose que je possède une réponse toute faite. C’est un mythe ; celui de l’UX designer qui d’un simple regard pourrait améliorer l’ergonomie d’une application.
Mais cette question est aussi celle que tout le monde se pose. Aussi, pour essayer d’y répondre, je dirais qu’il n’y a pas de recette miracle, ni de martingale pour construire la meilleure expérience utilisateur. Lorsque nous travaillons sur l’UX, nous travaillons sur l’humain, il n’y a donc pas de règle ou de recette qui nous permettrait à coup sûr d’améliorer l’expérience utilisateur.
Néanmoins, quel que soit le device (mobile, desktop, montre, etc.), la démarche va être la même. Il s’agit de prendre en compte l’utilisateur tout au long de la conception du produit. Cette démarche c’est la démarche de conception UX (UX design) qui, lorsqu’elle bien conduite, permet d’optimiser l’expérience utilisateur pour une application donnée et les utilisateurs visés.
Quels conseils donneriez-vous aux futurs UX designers ?
L’UX, actuellement, est en vogue. Je rencontre beaucoup de jeunes designers persuadés qu’ils font et savent faire de l’UX, alors qu’ils ne connaissent pas les bases de la psychologie cognitive, ni les méthodes de psychologie expérimentale. Ils vont parfois demander leur avis aux utilisateurs, mais jamais ils ne vont chercher à confronter cet avis avec la réalité du terrain. C’est le risque de se découvrir un talent en UX sans avoir suivi une formation adaptée. Le risque pour l’équipe projet est de développer un service ou une application sur des hypothèses erronées. C’est ainsi qu’on met en ligne des applications qui semblent réussies, qui généralement ressemblent à d’autres applications en vogue, mais qui ne répondent pas à la demande des utilisateurs.
L’UX, c’est avant tout une question de sensibilité. C’est faire preuve d’empathie, oublier ses préjugés pour n’écouter que les utilisateurs. Peu importe ses propres goûts, ou encore les tendances du moment, pour être UX designer, il faut savoir écouter et comprendre les utilisateurs. C’est ainsi qu’on conçoit une interface durable au-delà des effets de mode.
Certains pensent que l’UX est une question de talent, qu’ils ont la chance (puisqu’ils sont UX) de mieux savoir que les autres ce dont les utilisateurs ont besoin. Mais l’UX ce n’est pas une question de talent, c’est avant tout une démarche méthodologique rigoureuse qui permet de concevoir un service adapté au besoin des utilisateurs et à leur contexte d’utilisation.
Quelle est la principale erreur à ne pas commettre en UX design ?
La principale erreur que je rencontre est de penser que, après tout, l’UX c’est du bon sens ou bien encore une question de tendance, qu’une interface performante, c’est l’interface que l’UX designer souhaite.
Lorsqu’on fait de l’UX, qu’on conçoit pour des êtres humains, il n’y a ni vérité absolue, ni certitude, et surtout pas d’a priori. Nous ne pouvons pas aborder un design avec des idées préconçues, car le propre de la démarche UX c’est que le design résulte de l’étude des utilisateurs, de leur activité et du contexte dans lequel ils la réalisent.
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Ne pas oublier en effet que les plus grands UX Designer, ou fondateurs de l’UX design sont tous diplômés en psychologie et science cognitive. Ce qui signifie bien que le design en expérience utilisateur est avant tout une histoire de comportement humain