De TikTok à ReelShorts : l’essor du streaming en vertical est-il inévitable ?
Alors que des contenus protégés sont visionnés des millions de fois sur TikTok, une poignée d’acteurs de l’industrie du divertissement s’efforce de convertir cette tendance en modèle économique viable.
« Dès son lancement, il nous est apparu que les boucles vidéo de six secondes, éditées sur un téléphone et publiées en temps réel, représentaient et représenteront l’avenir de la distribution cinématographique. Mais nous avions tort. Nous avions vraiment, vraiment tort. » C’est en ces termes que le studio indépendant Oscilloscope Laboratories décrivait, dans un communiqué publié en février 2013, les possibilités offertes par Vine pour l’industrie cinématographique. Avec une pointe d’ironie à peine voilée.
Vingt-quatre heures plus tôt, ce studio américain fondé par Adam Yauch, regretté membre fondateur des Beastie Boys, menait une expérience inédite sur Vine, plateforme réputée pour ses courtes vidéos humoristiques et alors détenue par Twitter. L’idée était la suivante : diffuser intégralement, en avant-première et gratuitement le film It’s a Disaster sur l’application, mais en le fragmentant préalablement en extraits de six secondes afin d’en respecter ses standards.
C’est donc plus d’une centaine de séquences, soigneusement découpées et adaptées en format vertical, qui sont alors diffusées sur Vine, lors d’un happening qui s’apparente autant à une blague qu’un coup marketing pour un studio aux ressources financières limitées. Dix ans plus tard, cette initiative « précurseuse et révolutionnaire », pour reprendre les termes exacts du communiqué, n’étonnerait plus. Elle serait d’autant moins perçue comme une plaisanterie, tant cette pratique de visionnage se normalise sur les plateformes, et notamment sur TikTok.
Des extraits diffusés illicitement et qui génèrent des millions de vues
Depuis plusieurs mois, un nombre considérable de films, séries et émissions sont diffusés en morceaux sur la plateforme détenue par l’entreprise chinoise ByteDance, qui revendique plus d’un milliard d’utilisateurs actifs. Ces clips, d’une durée comprise entre 1 et 10 minutes, peuvent générer plusieurs centaines de milliers de vues et, surtout, être régulièrement valorisés par l’algorithme, notamment via le fil d’actualité Pour Toi. En effectuant une recherche par nom ou en utilisant les hashtags #movie (912 milliards de vues) ou #movieclip (22 milliards de vues), il n’est pas rare de tomber sur des comptes entièrement dédiés au partage illicite de contenus protégés, et qui cumulent plusieurs millions d’abonnés grâce à la diffusion de clips de Forrest Gump, de la série After Life ou de L’incroyable Famille Kardashian. Et on peut aisément le comprendre, tant cette méthode de visionnage présente des avantages évidents : elle permet de commenter ou de rebondir sur les extraits, mais également de sauter les parties les moins captivantes pour atteindre directement le cliffhanger ou la scène culte.
@dani.movie PART1 ☑️ Trying to take my money?You’re gonna regret this! #movie #movieclip #fyp ♬ Love You So – The King Khan & BBQ Show
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Une stratégie rodée pour perdurer sur la plateforme
Pour passer sous les radars et se glisser entre les vidéos d’animaux mignons, les contenus oddly satisfying ou les recommandations de bouquins, ces comptes ont une méthode bien rodée. Par exemple, ils peuvent modifier les voix des personnages, appliquer un filtre, recadrer le contenu ou simplement ajouter un extrait musical, observe le New York Times. Mais sont-ils pour autant à l’abri ? Dans un email adressé au média américain, un porte-parole de TikTok assurait que la plateforme collaborait « avec les studios pour supprimer les œuvres protégées par le droit d’auteur et pour bannir les comptes qui enfreignent de manière répétée les politiques relatives à la propriété intellectuelle », sans donner plus de précisions sur les modalités de cette chasse aux pirates.
Une pratique tolérée par TikTok et les ayants droit ?
Comme souligné par Pauline Croquet et Pierre Trouvé, journalistes au Monde, la pratique n’a rien d’inédit. Dans les années 2000, à l’ère du téléchargement illégal, de The PirateBay, eMule ou LimeWire, les contenus protégés par le droit d’auteur proliféraient de la même manière sur des plateformes d’hébergements de vidéos comme YouTube, mais étaient rapidement signalés par les ayants droit puis supprimés. Mais sur TikTok, la pratique semble davantage tolérée, en raison, notamment, de la « doctrine du fair use aux États-Unis et des exceptions et limitations au droit d’auteur au sein de l’Union européenne », peut-on lire dans les Conditions Générales d’Utilisation de la plateforme.
Ainsi, selon les cas, la diffusion d’extraits ne constituerait pas une violation stricte du droit d’auteur, car elle « ne nuit pas à la valeur marchande de l’œuvre protégée, et pourrait même la renforcer », décrypte Lindsay Hahn auprès du média américain Rolling Stone. Selon cette professeure au département communication de l’Université d’État de New York à Buffalo, la diffusion d’extraits s’avère être une méthode particulièrement efficace pour faire la promotion de films ou de séries TV, puisqu’elle « parvient à attirer un public plus large vers le contenu original ».
De Paramount à NBCUniversal, les studios surfent sur la tendance
La tendance n’a, d’ailleurs, pas échappé à l’attention des producteurs, qui cherchent désormais à en profiter. Pour preuve, Paramount Pictures a créé l’événement, le 3 octobre dernier, en diffusant intégralement Mean Girls, ou Lolita Malgré Moi dans sa version française, sur TikTok. Découpé en vingt-trois extraits d’une durée comprise entre 1 et 10 minutes, le film culte des années 2000, déjà largement diffusé illégalement sur la plateforme et mettant en scène Lindsay Lohan, a été rendu disponible pendant une durée de 24h, avant d’être retiré.
@meangirls It’s #October3rd. #MeanGirlsDay ♬ Mean Girls is available on Digital – Mean Girls
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L’objectif ? Faire la promotion de l’ajout du teenage movie au catalogue de Paramount + auprès d’une nouvelle audience, alors qu’il venait d’être retiré de Netflix aux États-Unis. Mais aussi capitaliser sur une tendance qu’il est difficile de contrôler ? « Quelqu’un au studio a estimé qu’il était plus avantageux que des millions de personnes visionnent des extraits de leur film, plutôt que de chercher à interdire [sa diffusion] », estime Alex Alben, professeur en droit à UCLA, auprès du New York Times. Cette stratégie avait déjà été expérimentée par d’autres studios ou diffuseurs, à l’instar de NBCUniversal, qui avait dévoilé le premier épisode de la deuxième saison de Killing It sur TikTok.
Le naufrage Quibi et le prometteur ReelShort
Le streaming haché en format vertical a-t-il pour autant un avenir ? Difficile de l’affirmer, à ce stade, mais quelques acteurs se sont déjà positionnés ces derniers mois, avec plus ou moins de succès. En avril 2020 était par exemple lancé Quibi : un service de streaming payant, bâti autour de programmes fragmentés en extraits d’une durée maximale de 10 minutes, et consultables exclusivement sur smartphones. Fondé par Jeffrey Katzenberg, un ancien cadre dirigeant de Disney et DreamWorks, le service était parvenu à éveiller l’intérêt des investisseurs en étant financé à hauteur de 1,6 milliard de dollars, soit l’équivalent du budget annuel de TF1, note Le Monde. Mais déployé en plein confinement aux États-Unis, Quibi n’a pas trouvé la bonne formule. En octobre 2020, soit seulement six mois après son ouverture, le service de streaming annonçait sa fermeture dans une lettre ouverte publiée sur Medium, ainsi que la cession imminente de ses actifs et de son catalogue.
Plus récemment, un nouvel acteur a émergé aux États-Unis en accouchant d’une offre similaire. Nommée ReelShort, cette application d’origine chinoise s’est construite autour d’un modèle simple, mais addictif : la diffusion de programmes découpés en plusieurs épisodes, filmés en format vertical, et qui reprennent les codes de la fiction à petit budget ou du soap opera. Tournés avec des comédiens amateurs d’après Stratégies, ces programmes, pour perdurer, misent sur des scénarios loufoques, où le protagoniste doit, par exemple « faire semblant d’épouser un milliardaire pour sauver sa sœur mourante » ou « élucider un mystère en découvrant l’identité cachée du seigneur des faucons », détaille la page de présentation sur l’App Store. L’application adopte un modèle freemium, en offrant la possibilité à ses utilisateurs de visionner quelques contenus gratuitement. Avant de passer à la caisse, sous peine d’être submergés par les publicités.
Et visiblement, ça fonctionne : selon le média spécialisé TechCrunch, qui s’appuie sur les données de Appfigures, ReelShort a été téléchargée plus de 11 millions de fois et généré 22 millions de dollars de revenus aux États-Unis, entre août et novembre. Fraîchement lancée en France, l’application disponible sur iOS et Android peut-elle, comme annoncé sur sa page de présentation, changer « la façon dont [on] regarde et [apprécie] les contenus en format court », ou connaîtra-t-elle le même sort que Quibi ? Dans sa lettre ouverte, Meg Whitman, désormais ex-directrice générale de Quibi, regrettait que « le concept ne soit pas suffisamment solide pour justifier un service de streaming ». Peut-être car son application, qui avait produit une cinquantaine de programmes originaux à son lancement, n’avait pas, comme ReelShorts, la mirifique œuvre « Grand méchant mari, s’il te plaît réveille-toi » au sein de son catalogue.
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