Une taxe de 50 centimes par kilomètre pour les livraisons des sites e-commerce ?
Une disposition de la « Proposition de loi (N°460) portant sur le pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs », examinée la semaine dernière par le Sénat, fait bondir les acteurs du e-commerce. En effet, son adoption aurait pour conséquence une nouvelle taxe indexée sur le nombre de kilomètres parcourus par les colis, entre les entrepôts et le domicile des clients.
Pourquoi taxer les livraisons des sites e-commerce ?
L’article 27 de la proposition de loi prévoit « d’introduire une taxe sur les livraisons liées au commerce électronique, assise sur le nombre de kilomètres parcourus entre le dernier lieu de stockage et le lieu de livraison ». Le Sénat rappelle que « la livraison de biens commandés par voie électronique ne fait l’objet d’aucune taxation spécifique » et que seule l’interdiction de la gratuité de la livraison pour la vente à distance de livres a été adoptée (avec pour conséquence une livraison à 1 centime sur Amazon…).
Au niveau des taxes sur la valeur ajoutée (TVA), on peut distinguer les échanges nationaux, intracommunautaires et internationaux. Le régime de TVA de droit commun s’applique pour les ventes nationales. Des règles spécifiques s’appliquent pour les ventes dans l’Union européenne : statut de l’acquéreur, localisation de la vente, chiffre d’affaires… Objectif : « garantir que, au-delà d’un certain volume de chiffre d’affaires, la TVA ne soit pas source de distorsions de concurrence ». Pour les importations de produits qui proviennent d’un pays extérieur à l’Union européenne, une TVA à l’importation est dûe par le client, ainsi que des droits de douane. Des exonérations existent, notamment selon la valeur des biens importés.
Le Sénat rappelle également que « la directive du 5 décembre 2017 procède à une réforme du système européen de TVA appliqué aux entreprises de vente à distance ». Les entreprises e-commerce seront soumises au taux de TVA du pays acheteur (à partir du 1er janvier 2019) et elles devront effectuer l’ensemble de leurs déclarations de TVA avec un identifiant unique permettant de reverser à chaque État membre les montants des taxes prélevées. La franchise de TVA sur les importations des petits envois à valeur négligeable sera supprimée (ces deux règles devront être transposées dans les droits nationaux d’ici le 31 décembre 2020).
Ces dispositions ne sont visiblement pas suffisantes aux yeux du groupe de travail sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, qui propose une nouvelle taxe sur les livraisons issues des sites e-commerce.
Une taxe de 50 centimes par kilomètre ?
La proposition est la suivante : il s’agit d’une « taxe […] qui repose sur le nombre de kilomètres parcourus par le bien entre son dernier lieu de stockage et l’adresse de livraison définitive de l’acheteur ». Si le bien provient de l’étranger, « la comptabilisation […] s’entend du point d’entrée en France ». Le taux est fixé à « 0,5 euro du kilomètre, avec un minimum forfaitaire de 3 euros par livraison ».
Plusieurs exonérations sont prévues en fonction des transports utilisés (si non consommateurs d’énergie fossile) et du CA des entreprises (la taxe serait appliquée aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel excède 50 millions d’euros). Les producteurs qui commercialisent leurs produits en circuit court bénéficieraient également d’une exonération.
Cette taxe serait acquittée « par le commerçant, sur le site internet duquel le bien a été commandé ». Elle serait perçue « par l’État » puis « répartie entre les collectivités territoriales et les EPCI à fiscalité propre, éligibles à la dotation d’équipement des territoires ruraux et signataires d’une convention relative à une « opération de sauvegarde économique et de redynamisation » (OSER). Concernant cette répartition, le texte précise qu’elle « s’effectue au prorata des superficies concernées par les opérations de sauvegarde économique et de redynamisation. »
L’avis de la commission des finances du Sénat
La commission des finances du Sénat partage le constat du groupe de travail à l’origine de cette proposition. Elle estime qu' »assurer une juste concurrence entre commerce en ligne et commerce de détail est une nécessité ». Mais elle indique que « la solution proposée n’appréhende pas l’ensemble du commerce en ligne et pose des problèmes pratiques » :
- La taxe serait répercutée aisément sur les consommateurs.
- Elle est susceptible d’entraîner une inégalité entre les territoires.
- L’identification du « dernier lieu de stockage » pourrait se révéler complexe.
Le Sénat cite un exemple intéressant, qui montre les inégalités qu’entraînerait une telle taxe : « pour une clé USB commandée en ligne et importée de Chine, arrivant en France par avion à l’aéroport de Roissy, la montant de taxe varierait de 15 à 350 euros selon que le consommateur habite à Paris ou à Toulouse ». Au-delà de l’inégalité, peut-on sérieusement envisager une taxe de 350€ pour une clé USB ?
Les autres remarques du Sénat concerne la difficile mise en œuvre d’une telle taxe :
- Comment calculer les kilomètres parcourus : à vol d’oiseau ou selon le trajet effectivement réalisé par l’ensemble du processus de livraison ?
- L’exonération des entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 50 millions d’euros « [laisserait] de côté une part considérable du commerce en ligne ».
- Le modèle commercial des grands acteurs du e-commerce ne serait que partiellement appréhendé alors qu’ils sont visés en priorité.
Le Sénat rappelle qu’Amazon est à la fois vendeur et marketplace, que la taxe ne s’appliquerait qu’à son activité de vendeur et que la seconde activité ne serait taxée qu’au niveau du vendeur si son chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros.
D’autres mesures pour taxer les sites e-commerce
Étant donné ces constats, le rapporteur « considère que d’autres solutions doivent être recherchées pour corriger les distorsions fiscales ». Il conseille de se focaliser sur « les interstices du système fiscal utilisés par les acteurs du numérique [afin d’] assurer un recouvrement effectif des impôts dus ». Il rappelle également que les dispositions de la directive du 5 décembre 2017 n’ont toujours pas été transposées dans le droit français alors que 5 milliards d’euros de surcroît de recettes de TVA sont attendues (à l’échelle européenne) et qu’elles permettront de renforcer la concurrence.
Enfin, il estime que d’autres mesures « adaptées aux spécificités du modèle des acteurs de l’économie numérique » peuvent être élaborées. Une taxe sur le chiffre d’affaires associée à une évolution des critères de qualification d’un établissement stable est envisagée (proposition du 21 mars de la Commission européenne), ainsi qu’une qualification des établissements du e-commerce en surfaces commerciales. Le Sénat propose de remplacer cette « taxe du kilomètre » par une taxation spécifique « à laquelle seraient assujettis les drives et les entrepôts de stockage ».
Les acteurs du e-commerce devraient donc échapper à la taxe au kilomètre (la FEVAD était évidemment opposée à l’application d’une telle mesure) mais pourraient prochainement être taxés davantage… La commission propose en effet d’adopter l’article 27 de la proposition de loi avec les modifications apportées.