Réduire son empreinte carbone numérique : les bonnes pratiques à adopter

Nicholas Mouret, CEO et cofondateur de Greenmetrics

Nicholas Mouret est investisseur pour Time for the planet, et CEO et cofondateur de Greenmetrics, logiciel SaaS éco-conçu spécialisé dans la mesure, l’analyse et le pilotage stratégique des émissions numériques en entreprise. Lancée en 2021, l’entreprise est membre de Tech for Good, labellisée French Tech, et a été récompensé parmi les startups les plus innovantes sur le salon ChangeNow. Elle remportait cette année le prix iNOV organisé par BPI France et le ministère de la transition écologique, dans la catégorie « décarboniser l’industrie ».

Aujourd’hui, quels sont nos usages sur le web qui polluent le plus ?

Même si nos activités sur Internet ont moins d’impact que les équipements (principalement la phase de fabrication), elles ne doivent pas être oubliées puisqu’elles participent au développement des datacenters et du réseau.

Aujourd’hui, sur le web, c’est le streaming qui pollue le plus. Il représente à lui seul 60 % des flux de données sur Internet, en raison du poids des fichiers vidéos.

La consommation de streaming vidéo émettrait près de 1 % des émissions mondiales de CO2. Concrètement, ce sont 300 millions de tonnes de CO2 qui sont générées par la consommation mondiale de streaming vidéo, ce qui représente la pollution numérique d’un pays comme l’Espagne.

Concernant les emails : nous comptons 4 milliards de boîtes mail en service dans le monde et 281 milliards d’emails sont envoyés chaque jour. En France, 4 635 newsletters ont été reçues en moyenne par français en 2020 alors que ⅔ des newsletters ne sont jamais ouvertes…

Côté entreprise, le recours à un site web est devenu incontournable. Les sites e-commerce ont particulièrement la cote. Par conséquent, il y a de plus en plus de sites web à héberger et d’informations à faire transiter. Chaque année, ce sont 47 zettaoctets de données qui sont générées dans le monde. Et il est prévu une multiplication par 46 d’ici 2035 (Source : L’enfer du numérique, Guillaume Pitron). Nous devons donc agir pour tendre vers un numérique raisonné et responsable ; la sobriété numérique.

Chacun peut individuellement réduire son empreinte carbone numérique. Quelles sont les bonnes pratiques à adopter au quotidien sur le web ?

1. L’accès à Internet

Tout d’abord, le moyen d’accéder à Internet ! Privilégiez une connexion en Wi-Fi plutôt que par la 4G ou 5G. En effet, regarder une vidéo en utilisant le signal Wi-Fi, permet de consommer 23 fois moins d’énergie qu’en passant par la 4G.

2. Les emails

Débarrassez-vous de tous les emails dont vous n’avez plus besoin : emails de plusieurs années, publicitaires, spams, corbeilles…, désabonnez-vous des newsletters inutiles. Rendez-vous en bas de la newsletter et cliquez sur « se désinscrire ».

De plus, pensez à alléger vos emails : allégez votre signature électronique en enlevant tout ce qui est non essentiel, pensez aux bons interlocuteurs : mettez seulement les personnes réellement utiles dans la boucle, réfléchissez à votre contenu : il vaut mieux 1 email avec toutes les informations que plusieurs emails,
préférez un lien de téléchargement pour vos pièces jointes lourdes ; utilisez un outil de transfert de fichiers pour le faire.

3. Le streaming

Pour les contenus streaming, privilégiez leur téléchargement plutôt que de les regarder sur les plateformes de visionnage. Et surtout abaissez la qualité si possible. Si 70 millions d’internautes abaissaient la qualité de diffusion des vidéos qu’ils regardent, 3,5 millions de tonnes de CO2 ne seraient pas relâchées, chaque mois, dans l’atmosphère, soit l’équivalent de 6 % de la production de charbon des États-Unis ! Prenons l’exemple de Netflix, il est possible d’abaisser la qualité : rendez-vous dans vos paramètres et choisissez votre qualité. Vous pouvez en profiter pour bloquer la lecture automatique de l’épisode suivant. Vous gagnerez des heures de sommeil.

4. Les sites web

L’éco-conception pour allier numérique responsable et performance !

Vous préconisez l’éco-conception des sites web. Qu’est-ce que c’est ? Quels sont les avantages ?

L’éco-conception d’un site web est une technique permettant de réduire l’impact environnemental d’un site Internet tout au long de son cycle de vie, de sa fabrication à son utilisation.

Rappelons que l’impact environnemental d’un site web provient de son hébergeur, de sa conception et de son contenu (poids des éléments).

Gardons à l’esprit que les maîtres-mots de l’éco-conception sont : simplicité et sobriété, qui vont de pair avec le référencement du site, sa rapidité et l’expérience utilisateur. Donc au-delà d’un bénéfice réduction de l’impact, nous optimisons également la performance du site web. En effet, pour qu’un site soit performant il doit être rapide à charger (inférieur à 2,5 secondes), favoriser l’interaction (ne doit pas dépasser 100 millisecondes) et délivrer une stabilité visuelle (CLS inférieur à 0,1).

En d’autres termes, plus il y a d’informations, plus un site Internet s’alourdit et pollue. Et plus le parcours client d’un visiteur sur votre site est long, plus il génère une pollution numérique.

Conclusion, votre site éco-conçu permettra d’avoir un(e) :

• Meilleur référencement sur les moteurs de recherche,
• Meilleure expérience pour vos visiteurs,
• Réduction de vos taux de rebond,
• Amélioration de vos ventes et de vos conversions,
• Réduction de l’empreinte carbone de votre site web.

Comment est né le projet « Greenmetrics » ? Quels sont les objectifs de votre greentech ?

En 2009, j’ai créé Privacia Recyclage, une société spécialisée dans la collecte et le recyclage des déchets, que j’ai revendu au groupe Paprec en 2020. Suite à la collecte de nombreux DEEE, Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques, nous nous sommes rendus compte qu’il manquait de l’information et des outils de pilotage sur le sujet. C’est dans ce sens, que nous avons commencé à travailler sur ce projet avec Baptiste Thomas, ex CTO Kidizz et Daniel Lahyani, ex data analytics consultant pour Datawords Group.

Avec Greenmetrics nous permettons aux entreprises de prendre conscience de leur pollution et d’agir pour la réduire. Pour les aider, nous avons développé deux outils : Greenmetrics Enterprise dédié à l’impact environnemental interne (parc informatique et usages des collaborateurs) et Greenmetrics Analytics dédié à l’empreinte carbone des sites web et des campagnes marketing.

Face aux difficultés d’évaluations de ces impacts, nous avons conçu un comité scientifique expert et indépendant composé de Romain Rouvoy, chercheur à l’INRIA et professeur en informatique à l’Université de Lille, et Olivier Corradi, entrepreneur, data scientist et ex-Google. Il valide l’impartialité de la démarche et assure une amélioration continue des outils.

Vous disposez d’un outil qui s’appelle Greenmetrics Analytics pour aider les entreprises à réduire la pollution numérique de leurs interfaces web. Comment cela fonctionne-t-il ?

Greenmetrics Analytics a pour objectif de réduire l’impact environnemental des sites web. Concrètement, l’outil permet de :

• Mesurer automatiquement et simplement la performance et les impacts environnementaux et sociaux d’un site web.
• Piloter une stratégie durable via des recommandations intégrées au tableau de bord.
• Réduire l’impact environnemental du site et booster ses performances web (meilleur SEO, UX amélioré, meilleures conversions, réduction du taux de rebond…).

La mesure et l’analyse permettent d’obtenir un score. Ce score est une note comprise entre A et E et est attribué selon l’impact environnemental. Grâce au dashboard intuitif, vous retrouverez ce score ainsi que tous les indicateurs et les recommandations pour optimiser les éléments mal conçus ou non-performants de votre site web. Le score évoluera au fur et à mesure de vos actions.

De plus, nous permettons à chaque site d’afficher une jauge pour sensibiliser et informer ses visiteurs de son impact environnemental tout au long de sa visite. Notre plateforme SaaS est incubée à l’Atomics Lab, l’incubateur de Contentsquare, leader de l’expérience utilisateur.

Concrètement, quelles actions les entreprises peuvent-elles mettre en place pour réduire l’empreinte carbone de leur site web ?

Les entreprises doivent tout d’abord comprendre afin d’agir sur les sources les plus polluantes de leur site web. Pour cela, elles doivent mesurer l’impact environnemental de chacune des pages qui compose le site web et déterminer les actions à réaliser pour réduire son empreinte carbone, et piloter le plan d’actions.

Voici quelques exemples :

• Opter pour un hébergeur éco-responsable. Évitons de faire transiter ses informations à l’autre bout du monde et misons sur un hébergeur qui utilise des énergies renouvelables.
• Diminuer son nombre de requêtes HTTP, afin de maîtriser la communication avec le serveur, et de proposer un meilleur temps de chargement.
• Dimensionner ses contenus au bon format pour garantir un affichage optimal sur desktop et mobile, afin que le navigateur ne les redimensionne pas lui-même.
• Sans oublier de valoriser leur engagement et leur résultat en le communiquant à leurs équipes, leurs clients et leurs partenaires.

Selon vous, les entreprises sont-elles en train de réellement prendre conscience des enjeux autour de la pollution numérique ou y-a-t-il encore un manque de maturité à ce sujet ?

Les entreprises prennent de plus en plus conscience des enjeux autour de la pollution numérique mais il y a encore un gros travail de sensibilisation à faire.

Pour le moment, ce n’est pas une de leur priorité mais rappelons que le numérique génère 4 % des gaz à effet de serre dans le monde (plus important que l’aviation civile), et que ce chiffre devrait doubler d’ici 2025.