L’ambition de Qwant : concilier respect de la vie privée, rentabilité et personnalisation des services

La majorité des plateformes que nous utilisons sont basées sur l’exploitation des données. Sans données, Google, Facebook et consorts auraient du mal à gagner de l’argent en proposant des services gratuits. Et pourtant, certains essayent : c’est notamment le cas de Qwant, dont toute la problématique consiste à réconcilier des éléments qui paraissent antinomiques à première vue : la rentabilité, le respect de la vie privée et la personnalisation des services. Lors de l’événement GEN 2018, Tristan Nitot est venu rappeler la philosophie du moteur de recherche français avant d’évoquer les projets des équipes de Qwant.

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“Vous êtes des cochons du numérique”

Le parcours professionnel de Tristan Nitot, de Netscape à Qwant en passant par Mozilla et Cozy Cloud, est guidé par la volonté de développer des projets en pensant d’abord aux utilisateurs. Pour comprendre sa vision et celle de Qwant, il est intéressant de revenir sur l’évolution du web et ses dérives. À l’origine, pour monétiser les contenus, on a opté pour des bannières de publicité ; un peu comme à la TV. Patrick Le Lay, ex-PDG de TF1, évoquait de manière terriblement honnête la vente du “temps de cerveau disponible”, le web s’est clairement inspiré de ces principes. Pour aller plus loin et proposer des publicités plus efficaces qu’à la TV, on s’est ensuite attelé à la personnalisation des annonces.

C’est le modèle commercial des plateformes d’aujourd’hui. Ces dernières organisent un troc particulièrement lucratif avec leurs utilisateurs, qui acceptent de fournir des données pour utiliser des services. Ces entreprises créent des coquilles vides, alimentées “gratuitement” par des utilisateurs qui y trouvent leur compte sur le moment. Plus la palette de services est grande, plus la captation des données est riche : il suffit de lister tous les services Google pour imaginer la puissance des données dont il dispose, du Search à Chrome en passant par Gmail et bien sûr Android. “Les plateformes sont des fermiers, les utilisateurs sont leur bétail.”

“Cela ne me concerne pas, je n’ai rien à cacher”

Pour comprendre les dangers liés à cette agrégation de données, il faut remonter aux révélations d’Edward Snowden sur la surveillance généralisée des individus par la NSA, rendue possible grâce aux quantités de données que nous transmettons. On peut également se référer aux conférences de Glenn Greenwald qui évoque l’incidence de cette surveillance sur le comportement des individus. Si vous pensez que vous n’avez rien à cacher et que vous n’êtes pas concerné (ou si vous entendez souvent cette phrase), cette démonstration pourrait vous faire changer d’avis.

En avril 2016, des chercheurs se sont intéressés au trafic des pages Wikipédia évoquant le terrorisme (étude publiée ici : Chilling Effects: Online Surveillance and Wikipedia Use). Hypothèse : la NSA pourrait considérer que ceux qui consultent ces pages aspirent à devenir des terroristes ; les individus ont peut-être pris peur, suite aux révélations de Snowden, et arrêté de consulter ces pages afin de ne pas être inquiétés par la NSA. Les résultats sont sans appel.

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Ce graphique montre clairement que le comportement des individus “change du tout au tout quand il sont surveillés”. C’est particulièrement néfaste pour une société. Consulter ces pages permet de s’informer. S’informer est essentiel pour construire un état d’esprit critique. La surveillance bride les individus, les cloisonne, limite les réflexions et donne des résultats que nous qualifierons “d’inattendus” lors des élections. Certains choix politiques, pour ne pas dire populistes tels que l’adoption de la Loi relative au renseignement, pourraient très bien mettre notre pays sur des voies similaires à celles que suivent aujourd’hui les États-Unis.

“Ne pas se résigner au capitalisme de surveillance”

Pour éviter cette dystopie, des entreprises imaginent des modèles économiques nouveaux. C’est notamment le cas de Qwant, pour qui le respect de la vie privée n’est pas négociable : pas de cookie, adresse IP hashed/salted, pas d’historique de recherche, navigation sécurisée, serveurs en Europe, algorithmes et index propriétaires (et c’est suffisamment rare pour être souligné). L’entreprise intègre ces principes by design dans l’ensemble de ses services qu’elle décline en verticales : Qwant (search), Qwant Junior, Qwant Musique, Qwant Maps…

Peut-on gagner de l’argent sans aspirer les données des utilisateurs ? Selon Tristan Nitot, c’est possible : “jusqu’en 2008, les publicités Google étaient en fonction des requêtes uniquement. L’entreprise a réussi à s’imposer en se contentant de publicités contextualisées”. C’est cette stratégie qu’adopte Qwant aujourd’hui : quel que soit l’utilisateur, les publicités affichées sont similaires si la requête est similaire. Et pour protéger les plus jeunes, seul son moteur principal est concerné par les encarts publicitaires ; la déclinaison Junior est dépourvue d’annonces, une stratégie intéressante pour interpeller et convaincre les parents.

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“La personnalisation déportée côté client”

Autre problématique liée au respect de la vie privée : peut-on vraiment proposer des services adaptés sans se baser sur ces données ? Le fait que Google Maps affiche nos rendez-vous, lieu de travail et bars préférés dès son lancement est un point fort apprécié des utilisateurs. Pour proposer un niveau de service proche de ceux de Google, l’entreprise française déploiera bientôt Qwant Masq sur ses services. Le principe est relativement simple et déporte la personnalisation côté client. Concrètement, si vous faites appel à une carte sur Qwant Maps, les serveurs de Qwant se contenteront de vous fournir cette carte. Un masque sera ajouté localement, grâce aux données stockées sur votre ordinateur ou votre mobile, pour vous proposer des services personnalisés. Masq sera d’abord intégré à Qwant Maps et Search, avant de s’étendre à l’ensemble des services. Une stratégie intéressante qui permet à l’utilisateur d’accéder à des services personnalisés sans transmettre ses données à Qwant. Vous pourrez bien-sûr choisir d’activer ou non Masq, service par service. Une belle manière de concilier personnalisation et anonymat.

L’état d’esprit de Qwant mérite d’être souligné. Ce doit également être un formidable moteur de la marque employeur. Pour attirer davantage d’utilisateurs et accroître sa rentabilité, Qwant continuera de communiquer pour expliquer sa philosophie aux utilisateurs potentiels. Pour les fidéliser, l’entreprise devra proposer à la fois des algorithmes efficaces et une galaxie de services suffisamment riche. Pour juger de la qualité technologique et de la pertinence des résultats de recherche, vous ne pouvez que tester Qwant pour voir par vous même. Outre la version navigateur Qwant.com, vous pouvez télécharger les applications mobiles ; sous le capot, il s’agit d’un navigateur mobile basé sur Firefox avec Qwant en moteur de recherche par défaut.

Pour le moment, Qwant communique sur 70 millions de connexions par mois. Sur un site comme le BDM, pourtant consulté par des utilisateurs sensibilisés aux problématiques de vie privée, Qwant est une source de trafic 200 fois plus petite que Google. Preuve que la route sera longue… mais la voie est libre.

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1 commentaire
Commentaire (1)
  • Nomnomnomnomnom

    « Sur un site comme le BDM, pourtant consulté par des utilisateurs sensibilisés au problématiques de vie privée, Qwant est une source de trafic 200 fois plus petite que Google. »

    Je suis effectivement « sensibilisé au problématiques de vie privée », je n’utilise donc pas Google Search (et rarement ses autres services)… Mais je n’utilise pas non plus Qwant (ou très peu). J’utilise Ixquick et l’instance Searx de Disroot.org pour mes recherches. Enfin, pour venir ici, je passe généralement par mon agrégateur de flux RSS et mon navigateur web brouille le pas mal le pistage (Facebook et GoogleTagManager sont bloqués par uMatrix, par exemple).

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