Publicité : comment les marques s’adaptent à la fin du tracking traditionnel
La publicité en ligne connaît de profonds bouleversements réglementaires et technologiques. Kelli Parkja revient pour BDM sur leurs enjeux, leurs impacts sur la mesure des performances et les réponses possibles.
Dernièrement, nous avons assisté à de nombreux changements réglementaires et techniques (RGPD, cookies tiers, ATT…). Quels impacts cela a-t-il eu sur l’écosystème marketing et publicitaire, et comment les marques s’y sont-elles adaptées ?
La succession de bouleversements réglementaires et technologiques des dernières années a fortement impacté l’écosystème du marketing (digital), et profondément changé la manière dont les acteurs collectent, partagent et exploitent la donnée.
L’impact le plus direct : des revenus non perçus, et une visibilité réduite sur la performance. Dès la fin 2021, la mise en place de l’App Tracking Transparency (ATT) aurait coûté près de 10 milliards de dollars à Facebook, Snapchat, Twitter et YouTube. Pour le dire simplement : sans ciblage précis, les campagnes sont devenues plus chères et moins efficaces pour tout l’écosystème. L’histoire continue, d’ailleurs — cette année, Apple lui-même en subit les conséquences, avec la sanction de son système ATT au printemps, jugé anticoncurrentiel par les autorités.

Face à cette perte de visibilité, les équipes marketing ont dû faire évoluer leurs pratiques. Les marques se sont recentrées sur la valorisation de leurs données propriétaires (first-party data), tandis que leurs partenaires réclament davantage de transparence et d’accès à cette donnée. On observe également un retour du ciblage contextuel, souvent combiné à des signaux propriétaires, pour maintenir la pertinence du suivi sans dépendre d’identifiants personnels.
Les agences, experts marketing et partenaires technologiques ont accompagné ce virage : ils ont guidé les marques vers des solutions telles que les data clean rooms, permettant un partage de données sécurisé, ou vers des communications data via API, pour contourner les limites imposées par les navigateurs tout en respectant la vie privée des consommateurs.
Aujourd’hui, le tracking n’est plus seulement une brique technique, mais un levier stratégique, essentiel pour valoriser la donnée, justifier les investissements et orienter les budgets dans un contexte économique incertain. C’est l’ambition d’Awin avec la CPI (Conversion Protection Initiative) : renforcer la fiabilité et la transparence de la mesure publicitaire.
En somme, ces mutations ont rendu le marketing plus complexe, mais aussi plus responsable et collaboratif.
Dans un environnement où les données sont de plus en plus fragmentées, comment les marques peuvent-elles encore mesurer efficacement leurs performances publicitaires ?
Mesurer la performance reste possible, mais cela demande une lecture nouvelle. Le parcours client n’a jamais été aussi éclaté : les points de contact se multiplient, les signaux se dédoublent, et les contraintes de confidentialité resserrent la vue d’ensemble.
L’enjeu n’est plus forcément de tout tracer, mais de connecter intelligemment les signaux existants. Il s’agit de combiner différentes sources – données propriétaires, données partenaires, indicateurs externes – pour construire une vision cohérente et comparable. Mesurer n’est donc plus une question de volume, mais de pertinence.
La fiabilité du suivi n’est en outre pas seulement une question de moyens : même les marques les plus avancées restent dépendantes des choix techniques et des intégrations de leurs partenaires, d’où l’importance d’une collaboration transparente entre annonceurs, plateformes et éditeurs. Le partage des données devient clé pour détecter les écarts, identifier les pertes et mieux comprendre les points aveugles.
Nos tests en ont apporté la preuve : une configuration de tracking incomplète peut faire disparaître plus de 20 % des ventes réelles (dans les reportings). Ce manque à gagner, invisible pour beaucoup, ne peut être compensé qu’avec des leviers comme le server-to-server et l’app tracking.
Mesurer aujourd’hui, ce n’est plus chercher à tout voir, mais à mieux comprendre ce qu’on voit – et, surtout, à partager cette lecture commune avec l’ensemble de ses partenaires. Il faut aussi accepter l’imperfection.
La confiance et la transparence prennent une place centrale dans les échanges numériques. Comment voyez-vous évoluer la relation entre annonceurs, plateformes et consommateurs dans ce contexte ?
La confiance repose sur l’alignement et la compréhension mutuelle entre les acteurs. Aujourd’hui, les consommateurs exigent une transparence quasi totale des marques. Ils recherchent avant tout de l’authenticité, ce qui explique la popularité croissante du levier influence, surtout des micro-influenceurs avec des audiences très ciblées, perçus comme plus proches et plus crédibles que la publicité traditionnelle.
Pour les marques, le défi est d‘offrir cette transparence sans perdre la part d’émotion et de storytelling qui nourrit le lien avec leurs publics, et qui fait toute la différence sur le court et sur le long terme. Mais la transparence ne concerne pas que la communication : elle s’étend aujourd’hui obligatoirement aussi à la data. Entre les annonceurs, les agences et les plateformes, la transparence de la data peut être présente, mais la manière dont les performances sont mesurées, partagées et interprétées n’est pas toujours alignée.
Dans un environnement fragmenté, les chiffres peuvent raconter plusieurs histoires selon qui les lit.
C’est là que le rôle des partenaires technologiques comme les plateformes et les agences devient essentiel, particulièrement dans l’affiliation et le marketing à la performance, car ils partagent les learnings des clients et du secteur. Grâce à cette expérience, ils prennent la position de véritables tiers de confiance, garants de la clarté, de la pédagogie et de la fiabilité des données – et, a fortiori, de la croissance des entreprises.
Awin a lancé l’initiative de protection des conversions (CPI). Pouvez-vous nous expliquer en quoi elle consiste et quelles problématiques elle cherche à résoudre ?
La CPI (Conversion Protection Initiative) d’Awin vise à garantir la fiabilité et la rentabilité du modèle d’affiliation dans un contexte où le tracking traditionnel, basé uniquement sur les cookies, perd en efficacité et devient très incomplet. Son ambition : protéger la valeur réelle des ventes générées, renforcer la transparence entre marques et éditeurs, et démontrer à chaque acteur la valeur qu’il a réellement générée.
Depuis plusieurs années, la disparition progressive des cookies tiers, les blocages de scripts ou les restrictions de confidentialité ont fragilisé le tracking. Résultat : des ventes qui existent, mais ne sont plus comptabilisées. Nos analyses ont révélé que 12,6 % des conversions ne remontent pas via le tracking cookie, et 20 % via app tracking. Autrement dit, une marque peut perdre environ un cinquième de ses performances réelles.
Face à ce constat, Awin a décidé de rendre la mise en place du S2S et de l’app tracking obligatoire pour ses clients. Ce changement n’est pas un simple ajustement technique, mais une évolution structurelle du marché : établir un standard plus fiable, plus durable et économiquement transparent pour tous les acteurs. Nous poursuivons ce travail avec notre nouvel outil de reporting, qui offrira une vision beaucoup plus granulaire des méthodes de tracking activées lors des transactions.
En somme, la CPI illustre la volonté d’Awin d’élever les standards du marché et d’agir en moteur de changement dans l’industrie. L’enjeu est de permettre aux marques et éditeurs de reprendre la maîtrise de leurs données, tout en valorisant chaque vente à sa juste mesure – car la performance n’a de valeur que si elle est correctement mesurée et comprise.
Le secteur pourra-t-il se doter de standards communs en matière de suivi publicitaire ? Avec quelles conditions ?
Oui, le secteur doit évoluer vers des standards communs — c’est une condition essentielle pour la santé de tout l’écosystème. Aujourd’hui, ce n’est pas évident : chaque acteur (marque, agence ou outil de mesure) a sa propre philosophie, son cadre et ses priorités, ce qui influence la donnée et sa lecture. Sans langage commun, la « data story » devient difficile à partager.
Prenons l’exemple historique de l’IAB : à l’époque, les marques ont elles-mêmes exigé une clarification du marché avant d’investir massivement. Le moteur était avant tout économique : rendre la publicité digitale comparable et scalable. Aujourd’hui, le même besoin se manifeste sur le terrain du tracking. La différence, c’est que les investissements sont déjà faits, mais les résultats restent partiellement visibles. Les marques ne peuvent pas réclamer ce qu’elles ne savent pas qu’elles perdent.
Nos tests menés depuis l’an dernier dans le cadre de la démarche CPI ont révélé des écarts significatifs entre un tracking setup partiel et un setup complet intégrant le server-side et l’app tracking. Sans ces leviers complémentaires, une part importante des ventes n’est tout simplement pas comptabilisée.
Pour y parvenir, il faudra une volonté collective, un socle technique solide et un véritable effort d’éducation du marché. La standardisation ne se décrète pas : elle se construit.
Dans un contexte économique tendu, quels conseils donneriez-vous aux marques pour continuer à investir efficacement dans la publicité digitale ?
Dans un contexte incertain, le réflexe naturel est souvent de ralentir les investissements.
Il faut certes être plus prudent, mais surtout chercher à investir plus intelligemment. Cela implique de potentiellement challenger les KPI mesurés : reconfirmer leur pertinence, resserrer le cercle de ce qu’on a vraiment besoin de mesurer.
Pour s’assurer que les euros investis peuvent être justifiés par la donnée, il faut revoir ses outils de mesure : certaines marques choisissent de développer leurs propres solutions internes, d’autres s’appuient sur des partenaires technologiques pour bénéficier d’une vision plus fiable et plus neutre. Il ne faut pas hésiter à croiser plusieurs sources — même si cela peut sembler complexe — car confronter différentes lectures permet souvent d’approcher la vérité des performances. Soyez réalistes avec vos investissements et coûts. Il existe des manières d’optimiser la visibilité des performances du site avec des partenaires tiers (nous les appelons « tech partners ») – qui peuvent plugger leur technologie aux sites pour une lisibilité plus granulaire des données menant à de meilleures opportunités de vente en toute sécurité pour les marques.
Il faut s’appuyer sur ses partenaires — plateformes, agences, éditeurs — non plus comme de simples prestataires, mais comme des copilotes de performance.
Si l’on se projette en 2030, à quoi ressemblera selon vous le suivi publicitaire ?
En 2030, le suivi publicitaire sera (on l’espère) globalement plus respectueux, plus collaboratif, mais aussi plus exigeant ! Avec la réduction ou la disparition des cookies tiers, les marques ne se contenteront plus d’un modèle d’attribution simpliste de last click ou black-box, car cela ne suffira plus. Dans la « réglementation », le cas de l’ATT d’Apple ci-dessus montre que les implémentations jugées abusives ou disproportionnées sont sanctionnées, un signal fort pour l’ensemble du marché.
La mesure, notamment dans le marketing d’affiliation, reposera sur des fondations solides : server-side tracking, app tracking, API et clean rooms, permettant un échange de données maîtrisé entre marques et éditeurs. Cela sera moins une révolution qu’une transition vers un modèle de données maîtrisé, où chaque partenaire apporte une part de clarté.
La vraie transformation sera culturelle. Le tracking ne sera plus une mécanique technique, mais un levier stratégique, traité avec respect et responsabilité. Et n’oublions pas l’aspect environnemental : la mesure de l’empreinte du marketing et de la publicité évolue en parallèle et finira par imposer ses propres exigences au marché.
En somme, d’ici 2030, la mesure publicitaire ne cherchera plus à tout capturer, mais à tout comprendre pour rendre l’écosystème moins intrusif, plus intelligent, et fondé sur un équilibre entre performance, responsabilité et confiance – ce qui paraît plutôt positif !
Kelli Parkja, Directrice service client France
Avec plus de 20 ans d’expérience dans le marketing, la publicité et les médias, Kelli-Carolin Parkja, qui est passée par Publicis et Havas, est désormais Country Client Services Director chez Awin en France où elle œuvre à renforcer la performance et le niveau de service pour les clients, en alliant la rigueur des grands groupes à l’agilité des startups. Elle est également membre du conseil d’administration du Collectif Pour les Acteurs du Marketing Digital (CPA).
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