La pré-compétition, une tendance tech qui va accélérer en 2020
Laurent Curny dirige l’Entité Enterprise Services de Microsoft France, qui est en charge de l’accompagnement et du développement de projets innovants et stratégiques liés à la transformation digitale de clients grands comptes. Il est donc particulièrement bien placé pour connaître les tendances tech actuelles. Dans cette interview, il nous explique la montée en puissance de la pré-compétition.
Quelle est l’activité de Microsoft Services, et en quoi cela lui permet-elle de repérer les tendances tech du moment ?
Mon équipe comporte notamment des consultants en stratégie digitale. Leur objectif est d’accompagner nos clients sur des cas concrets de projets ou d’idées. Leur profil est très orienté techno, ce qui leur permet de travailler avec toutes typologies de clients sur des idées innovantes de leur émergence à la réalisation de POC (Proof Of Concept) ou de MVP (Minimum Viable Product). Microsoft Services compté également des développeurs, des architectes et des profils tech qui nous permettent de réaliser ces idées jusqu’à leur déploiement, parfois industriel. Cet accompagnement nous permet d’être au plus proche des tendances et de comprendre les technologies émergentes sur lesquelles des projets aboutissent vraiment.
Parmi les tendances fortes identifiées par votre structure pour 2020, il y a la pré-compétition. De quoi s’agit-il ?
Le terme date des années 50, il n’est donc pas nouveau. Il indique une collaboration entre les acteurs d’un même secteur dans le but de répondre à des enjeux auxquels ils ne pourraient pas répondre seuls. Ces enjeux sont généralement assez proches de nous en tant que consommateurs, ils peuvent être associés à des problématiques sociétales, environnementales, éthiques. Ils découlent souvent de la volonté des consommateurs de mieux consommer, et de comprendre ce qu’ils consomment. Il y a un côté assez vertueux dans la pré-compétition, où des concurrents s’associent pour mieux répondre à des enjeux qui les dépassent individuellement.
La donnée étant un élément important dans la capacité d’une entreprise ou d’un service à se différencier, la question de leur protection est primordiale lors de ces associations. On voit donc l’émergence de ce qu’on appelle le « confidential computing », qui permet de mettre en commun des données sans avoir à les partager, et de les traiter à l’échelle avec des modèles algorithmiques. Pour que des modèles d’IA puissent fonctionner, il faut qu’il y ait un volume de données important, cela permettra donc d’améliorer ces modèles tout en conservant une protection des intérêts des différents acteurs.
Avez-vous un exemple d’utilisation (et d’intérêt) par une marque ?
Nous avons travaillé sur un projet avec le groupe LVMH, présenté lors du salon VivaTech. Il s’agit d’une plateforme basée sur la blockchain qui permet de garantir la traçabilité et l’authenticité des produits de luxe mais aussi des matières premières utilisées pour lutter notamment contre la contrefaçon. Si l’initiative a été lancée par le groupe LVMH, elle a pris forme autour d’une volonté de participation de l’ensemble des acteurs de l’industrie du luxe en mode marque blanche.
On retrouve dans ce projet des acteurs comme Richemont, Gucci, Prada… Chaque marque a ses propres enjeux, et y trouvera de nombreux intérêts :
- Cela permet de diviser le coût technique de développement, qui est important ;
- C’est un sujet qui est transversal à toute l’industrie, tout le monde est concerné ;
- La capacité à rendre pertinents les modèles n’est rendue possible que s’il y a suffisamment de données pour alimenter le système ;
- La blockchain ne fonctionne vraiment bien que si l’ensemble des participants y adhère
Travailler ensemble permet d’éviter l’émergence de systèmes complètement indépendants, tout en travaillant sur l’intégralité de la chaîne de valeurs, de la chaîne d’approvisionnement en matières premières jusqu’au consommateur. Cela instaure une norme commune et permet de répondre aux enjeux en évitant une complexité trop importante. Pour autant, chacun garde ses données confidentielles, son autonomie, il n’y a pas d’enjeu de partage d’informations, ni de partage de secrets.
Un autre exemple est CodeOnline Food, une plateforme qui se développe actuellement et qui a pour objectif une traçabilité de bout en bout chez les acteurs de l’agroalimentaire, avec une transparence sur la qualité nutritionnelle de l’ensemble des produits qui rentrent dans la chaîne de production. Elle cherche à répondre aux besoins des consommateurs qui veulent mieux consommer
Quelle gouvernance est adoptée par ces consortiums ?
Plusieurs formes émergent pour le moment. Il y a des modes d’association assez peu structurés avec une gouvernance assez légère. Un acteur lance une idée, d’autres essaient de le rejoindre à travers des partenariats. En parallèle, on voit des formations de consortiums en mode GIE émerger. Le mode entité juridique séparée est intéressant, tout en sachant que cela peut créer un peu plus de lourdeur. Mais cela permet d’avoir une équité de l’ensemble des parties prenantes.
La blockchain semble être un point commun à beaucoup d’initiatives du genre…
Ce qui est réellement intéressant dans ce type de projets, ce sont les identités décentralisées que permet la blockchain. Les différents acteurs d’un même secteur souhaitent depuis longtemps fournir une expérience client optimisée, ce qui a toujours été compliqué, car les intermédiaires sont souvent nombreux, ce qui amène une perte de connaissance du client. L’identité décentralisée permet à vous et moi, en tant que consommateur, de décider quelles sont les informations l’on souhaite partager et que ces informations-là sont mises à disposition de l’ensemble des acteurs d’une filière afin d’améliorer l’expérience personnalisée sans qu’il y ait de perte d’information. Le consommateur est rassuré car il a le choix de ce qu’il met à disposition auprès de qui, et le fournisseur a de son côté accès à l’intégralité de l’information sans avoir une perte causée par la désintermédiation qui existe aujourd’hui quand elle passe par différents systèmes. La blockchain est un outil qui permet d’avoir une réelle sécurité sur ce que l’on partage et comment on le partage, sans que quelqu’un puisse prendre une position dominante. Cela répond donc à de nombreuses problématiques, aussi bien du côté des utilisateurs que de la concurrence potentielle entre les acteurs qui se réunissent sur un projet commun.
Quelles sont les limites potentielles à la pré-compétition ?
Il peut y avoir certaines interrogations sur le business model. C’est ce que j’ai pu observer lors d’expérimentations sur lesquelles j’ai travaillé par le passé. La valeur créée dépasse en général un acteur. Les business models générés ont donc une nécessité de partage de valeurs au sein d’un écosystème, ce qui les rend complexes. C’est pour cela que c’est intéressant de voir des projets en production, comme celui lancé par le groupe LVMH qui rassemble les acteurs du luxe. La preuve doit se faire par la valeur et par les business cases. Je pense que la barrière n’est plus technologique. La barrière, aujourd’hui, réside dans les business models liés au partage de la valeur dans ces écosystèmes nouvellement créés, et dans la capacité de ces projets à passer à grande échelle.
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