Pascal Nessim : “La créativité reste la plus-value apportée par l’agence”
A quel point Facebook et Google ont-ils changé la donne pour les agences ? Pascal Nessim a fait le point sur le chemin parcouru depuis la prise de pouvoir de ces plateformes dans le premier numéro du BDM/magazine. Si vous n’avez pas eu l’opportunité de le recevoir, nous vous proposons de découvrir ce riche échange dans cet article.
En 2017, le web a dépassé pour la première fois la télévision en matière d’investissements publicitaires. Un symbole, après 20 ans de chahut des modèles publicitaires historiques. A quel point le travail des agences a-t-il été secoué par ce changement de paradigme ?
Le web qui dépasse la télé en termes d’investissements publicitaires, cela fait 20 ans que nous attendons cela ! Selon moi, il y a eu trois grandes étapes dans cette montée en puissance. L’arrivée du web auprès du grand public, la démocratisation du haut débit au milieu des années 2000, et la massification de l’audience qui en a résulté. Pour les agences comme Marcel, c’est un élargissement du terrain de jeu qui est considérable. La créativité dans nos métiers se cantonnait auparavant à trois médias : presse, affichage et télévision. De YouTube aux réseaux sociaux, le web et les tuyaux qui le composent nous ont permis de découvrir de nouveaux horizons sur les plans stratégiques et créatifs. Nous avons pu casser ce qu’était la publicité jusqu’à maintenant, nous affranchir de cette logique top down véhiculée jusqu’ici par la télévision. Le raisonnement des agences et des marketeurs sur ce média était de viser une répétition de 15 fois pour s’assurer que le message soit compris et efficace.
La culture qu’amène le web a changé tout cela. Elle demande une publicité plus sincère, plus vraie, plus émotionnelle et plus centrée sur le produit. Pour le consommateur, elle est moins fantasmée, plus intéressante. Cela a permis aux marques de développer une vraie tonalité. On voit désormais des marques nous surprendre tous les jours sur les réseaux sociaux. La partie digitale de la construction de l’identité de marque est extrêmement intéressante car elle travaille la proximité, la connivence, l’engagement. Pour les agences, il a fallu intégrer cela culturellement, mais aussi dans notre manière de travailler.
En quoi l’organisation du travail a-t-elle été impactée ?
Le rythme de production s’est intensifié : quand on faisait 2 ou 3 films dans l’année pour un client, nous en faisons désormais 10, 15 ou 20, parfois même à des rythmes hebdomadaires. Cela nécessite une nouvelle organisation interne et une forte culture digitale. La notion de temps réel est également très forte. Il faut lâcher prise par moment pour garder de la spontanéité dans notre travail. Ce n’est pas nécessairement plus chronophage ou plus lourd. Par nature, le web a rendu le travail plus rapide et plus agile. C’est plus excitant pour les agences, on peut avoir une idée un jour et sortir la vidéo le lendemain.
Facebook et Google représentent 78% des investissements publicitaires sur le web en France… Cette omniprésence est-elle un frein à la créativité des agences ?
Le rôle d’une agence est d’aller là où est l’audience. Si 80% des investissements sont chez Facebook et Google, c’est parce qu’ils captent 80% de l’audience et de l’intérêt. Ce sont des plateformes riches qui ont développé de nombreux formats et produits intéressants pour les agences et pour les annonceurs. On peut y travailler aussi bien le haut, le milieu et le bas du tunnel. Aujourd’hui, Google et Facebook sont les seuls qui ont développé des formats qui visent aussi bien l’efficacité et la transformation à grande échelle. Ce n’est donc pas une contrainte, au contraire ! Facebook et Google permettent aujourd’hui d’aller chercher de la puissance, mais laissent de la place à l’agilité créative sur d’autres espaces plus secondaires en termes d’audience.
N’y a-t-il pas un risque d’homogénéisation sur Facebook, avec de nombreuses marques qui se copient entre elles et des formats qui fonctionnent et dont l’usage s’est donc industrialisé ?
80% des campagnes que je vois sur Facebook sont inutiles. Il s’agit de posts à micro-audience générés par des annonceurs avec des budgets quasi inexistants. Quand nous abordons l’utilisation de Facebook, nous nous intéressons avant tout à l’idée. Nous savons que l’idée que l’on va trouver vivra sur Facebook et YouTube, car c’est là que nos clients annonceurs vont chercher leurs audiences. Par exemple, quand Marcel a préparé la dernière campagne pour Axe sur YouTube, nous nous sommes focalisés avant tout sur la meilleure manière d’exposer des communautés de jeunes à la marque et de créer des discussions sur le sujet. Il n’était alors plus question de faire une publicité classique, nous nous sommes tournés vers un clip avec Big Flo et Oli, car c’était la meilleure manière de toucher notre cible. Il fallait faire matcher la culture de YouTube, la culture de notre cible et la culture de notre client tout en étant créatifs. Sans perdre de vue que nous cherchons avant tout de l’engagement.
Un aspect nouveau lié à ces plateformes est la possibilité d’aller chercher de l’audience organique en complément du média, dans une logique incrémentale. Il y a encore de nombreux annonceurs qui pensent pouvoir acheter simplement des vues sur Facebook ou YouTube pour réussir leur campagne, quand d’autres se dégagent de l’unique KPI des vues pour passer à une logique d’engagement. Dans l’engagement, on peut inclure l’incrémental, les commentaires, les likes… C’est sur cela qu’il faut se concentrer actuellement. Mais cela pardonne moins les mauvaises publicités, qui restent malheureusement légion en France. L’avantage de Facebook et Google, c’est qu’ils offrent de nombreuses possibilités d’insights, de ciblage et plus globalement la possibilité de toucher des micro-cibles avec des messages ultra personnalisés. Je pense que c’est là que réside le futur de la communication, utiliser la technologie pour envoyer les bons messages aux bonnes personnes.
Un défi important pour les agences a été de réussir à aligner les compétences présentes en interne et celles demandées par ce nouveau terrain de jeu. Quel a été l’impact sur les équipes ?
Il existe des agences qui travaillent de la même manière depuis 20 ans. J’ai la chance de diriger une agence qui est dans le mouvement permanent, et qui a su s’imprégner de la culture web depuis ses débuts. Chez Marcel, nous avons décidé de ne pas nous opposer au sens de l’histoire et de saisir l’opportunité du digital plutôt que d’être dans la défiance. Il n’y a aucune contradiction entre la créativité et les nouveaux canaux de diffusion que propose le numérique.
En interne, le glissement des compétences s’est fait de manière naturelle depuis une dizaine d’années. Nous avons été une des premières agences à nous passionner pour l’univers des réseaux sociaux, à emmener des marques comme Oasis sur ce terrain pour montrer que c’était efficace et créatif. Actuellement, notre pôle social est composé d’une trentaine de personnes, sur 200 salariés, ce qui est beaucoup. On y trouve des créatifs, des stratèges, des consultants, des DA… Il est situé au milieu de l’agence et il la nourrit de sa culture. Tout a été mis en place pour qu’ils soient autonomes et agiles. Nous avons également intégré de la production dans l’agence, avec 4 réalisateurs qui travaillent très en amont avec les créatifs sur les contenus à produire chaque jour. Et bien sûr, l’organisation ne peut être efficace que si le top management et l’ensemble de l’agence accepte cela.
Le web et les canaux de communication plus classiques restent-ils tout de même complémentaires ?
Bien sûr ! La télévision reste puissante car elle offre une rapidité d’exposition du message et elle conserve un aspect statufiant pour les annonceurs. Mais en télévision, nous restons dans un rapport top down, sans call-to-action, alors que les actions menées sur le digital sont très centrées sur les conversations. Parle-t-on de ma campagne, de ma marque ? Le paradigme est changé : nous ne cherchons plus seulement à toucher les gens, comme avec la télévision, nous allons surtout chercher les interactions. On s’achemine vers un moment où la majorité de la publicité et de la communication va être vue à travers le digital et les réseaux sociaux, mais également sur un smartphone, et en mobilité. Nous avons toujours tendance à travailler sur des formats grand écran, mais nous allons certainement vers un changement de postulat dans les années à venir. Il ne faut simplement pas oublier le plus important : tout se fait toujours sous le prisme de la création. La créativité reste la plus-value apportée par l’agence. C’est, in fine, le meilleur garant d’une campagne réussie, quel que soit le support.
Bio : Pascal Nessim, 39 ans selon nos sources, évolue dans l’univers des agences de communication depuis toujours. Après avoir revendu sa web agency (I.D) à Publicis au début des années 2000, il prend la tête de Publicis Net, pure player créatif du Groupe en France. Il devient ensuite co-président de Marcel en 2011, agence de 200 salariés considérée comme l’une des plus créatives du marché, avec des campagnes cultes pour Oasis, Meetic, Marc Dorcel ou encore Carrefour plus récemment.
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