Observatoire de l’IA générative : la stratégie de la ville de Rennes pour un numérique plus responsable

Rennes, Ville et Métropole, lance un observatoire dédié à l’IA générative pour définir un cadre responsable, évaluer les risques et mesurer l’impact sur les métiers et les agents. Directeur général adjoint du pôle ressources, Johan Theuret nous présente cette initiative.

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L'objectif de l'observatoire IA de Rennes : sécuriser les données, éviter les dérives et accompagner les agents dans l’adoption de ces outils. © Bernard 63 - stock.adobe.com

Face à l’essor rapide des outils d’IA générative, Rennes vient de lancer un observatoire consacré aux usages et à l’impact de cette technologie. Cette initiative s’inscrit dans la continuité de la mission IAG engagée dès 2023, qui repose sur un travail collectif associant plusieurs directions de la collectivité. Quel est l’objectif de cet observatoire ? Quels sont les enseignements attendus ? En quoi consiste l’approche dite « à la rennaise » ?

Pour mieux comprendre la démarche suivie et en savoir plus sur cette initiative, nous avons interrogé Johan Theuret, directeur général adjoint chargé du pôle ressources de Rennes, Ville et Métropole.

Picture of Johan Theuret

Johan Theuret, Directeur général adjoint chargé du pôle ressources

Je m’appelle Johan Theuret. Je suis directeur général adjoint, chargé du pôle ressources qui regroupe différentes directions (RH, finance, numérique…) au sein de Rennes, Ville et Métropole. J’ai occupé ce poste dans différentes collectivités (Clermont-Ferrand, Laval), et j’ai exercé en tant que rapporteur à la Cour des comptes de Paris. Cofondateur du collectif Sens du service public, j’ai aussi codirigé le rapport de la Fondation Jean Jaurès sur l’IA et le service public.

Rennes, Ville et Métropole, a lancé un observatoire dédié à l’IA générative. Pouvez-vous nous le présenter, et nous expliquer quelle a été la genèse de ce projet ?

L’observatoire représente l’une des mesures issues des recommandations de la mission que nous avons mise en place sur l’IA Générative (IAG). Le vrai sujet, c’est cette mission IAG, que nous avons voulu instaurer dès 2023. Lorsque l’IA générative est apparue, nous avons souhaité réunir l’ensemble des acteurs du numérique et les agents des différentes directions qui travaillent sur ces sujets. La direction des services numériques (DSN) a piloté ce chantier, auquel d’autres directions ont été associées :

  • La direction de la communication digitale (DIGICOM),
  • Le service données territoriales et information géographique (SDTIG),
  • La direction projets com’ interne & doc service d’accompagnement du changement (COPROD),
  • Le délégué à la protection des données (DPO),
  • La direction des ressources humaines (DRH),
  • La direction des affaires juridiques (DAJ).

Ce premier travail avait pour objectif de mesurer les impacts de l’usage de l’IA par les agents et les services de notre collectivité, et les recommandations à formuler. À l’issue de cette séquence, un rapport a été rendu début 2024 : il a donné lieu à une charte d’usage de l’IAG. Ensuite, nous avons voulu aller plus loin, avec ce même réseau, afin d’élaborer une stratégie, une ligne de conduite pour le déploiement de l’IAG au sein de Rennes, Ville et Métropole.

Nous avons en effet constaté la multiplication des outils, un risque d’éparpillement, et des problématiques liées à la consommation énergétique, à la fiabilité ou encore à la souveraineté des données.

La mission IAG s’inscrit dans le cadre de notre stratégie de numérique responsable, adoptée dès 2021. L’Observatoire a été conçu en vue de structurer ce suivi et d’approfondir certains thèmes. Nous avons décidé de recruter une cheffe de projet dédiée à cette mission, pour l’animer, travailler avec des communautés métiers et, si besoin, mobiliser une expertise externe (chercheurs, autres administrations, entreprises déjà avancées).

Consulter le rapport d’étape sur l’IA générative

Quel est l’objectif de cette mission IAG ?

Notre objectif n’est pas de freiner l’IA générative, mais de sécuriser son usage, en identifiant les besoins réels et en développant des outils internes adaptés. Nous avons déjà commencé à tester un RAG* avec l’Université de Rennes. Nous souhaitons éviter le recours systématique aux grands modèles de langage, très énergivores et pas toujours fiables, en privilégiant parfois des modèles plus petits et adaptés.

Si les données de sortie tendent à s’améliorer de plus en plus, et deviendront rapidement fiables, notre priorité reste la sécurisation des données d’entrée.

Ce qui nous importe, c’est de protéger les données locales, sensibles ou personnelles que nous devons injecter. C’est la raison pour laquelle nous avons développé notre RAG interne : il permettra de s’appuyer sur différents modèles, de différentes tailles, mais en maîtrisant les données d’entrée.

Ici, il n’est pas question de préférer Mistral AI (Le Chat) à ChatGPT. D’ailleurs, même si Mistral est une startup française, rien ne garantit que ce sera encore le cas demain. Notre enjeu n’est pas de choisir un acteur, mais de garder la souveraineté sur nos données.

NDLR : Un RAG (pour Retrieval-Augmented Generation, ou génération augmentée de récupération, en français) est une méthode où l’IA va d’abord chercher des informations pertinentes dans une base de données avant de générer une réponse. Cela permet de produire des résultats plus fiables et précis, qui s’appuient sur des sources actualisées plutôt que sur la seule mémoire du modèle.

En quoi était-ce important pour Rennes de se saisir de ce sujet si tôt, dès 2023 ?

Il y a plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que nous avons une stratégie de numérique responsable adoptée en 2021. Tous nos projets doivent s’y conformer. Il était logique que l’IA générative s’aligne sur cette stratégie.

Ensuite, nous voyons bien que l’IAG impactera nos processus et nos métiers. Il y a donc un besoin de montée en compétences pour nos agents et nos usagers de l’IA au sein de notre collectivité. Nous ne voulions pas avancer au fil de l’eau, mais bien de poser une stratégie, souple et évolutive, afin d’accompagner ces changements. Nous avons aussi mis en place une logique de « bac à sable », pour tester rapidement certains outils et décider de leur pertinence.

Il s’agissait aussi d’envoyer un signal positif à tous nos agents, aux managers, en montrant que le sujet était pris en compte, et non subi. Le déploiement rapide dans la sphère privée ne doit pas laisser le secteur public en retard.

Enfin, c’est un sujet qui me tient personnellement à cœur. Je coordonne un collectif national, le Sens du service public, et j’ai co-dirigé le rapport « Le service public à l’épreuve de l’intelligence artificielle » publié par la Fondation Jean-Jaurès.

Je suis convaincu qu’il faut y aller, mais avec le respect des règles et des principes du service public.

Vos travaux suivent une méthode itérative et collective, dite « à la rennaise ». Pouvez-vous nous expliquer en quoi elle consiste ?

À Rennes, nous avons une forte sensibilité sur le numérique responsable. Cela fait partie de l’ADN de la collectivité, avec une ouverture sur l’open source, la donnée, la transparence. Nous ne sommes pas dans une logique de technophilie aveugle, mais bien dans une approche centrée sur les usages métiers.

C’est une approche itérative, pragmatique et collective, qui permet d’éviter l’emballement autour de l’IA générative.

Concrètement, nous travaillons par allers-retours entre les utilisateurs et les techniciens, en questionnant la pertinence, en testant, en améliorant. C’est ce que nous faisons, par exemple, avec notre RAG, testé avec des agents métiers. Nous avançons, mais toujours dans le respect de nos valeurs et de nos besoins réels.

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Rennes, une ville pionnière dans le domaine du numérique et des technologies. © BDM

Quels enseignements attendez-vous de la mission IAG et de la mise en place de cet observatoire dédié ?

Le premier objectif consiste à suivre les communautés métiers en observant leurs usages réels et les impacts de l’IAG sur leurs métiers. Aujourd’hui, personne n’évalue encore ces impacts. Automatiser quelques tâches ne suffit pas à dire comment un métier est en train d’évoluer. L’observatoire doit aussi réfléchir à la transposition, pour voir si un usage dans un métier peut être adapté à un autre.

Il a également un rôle de vigie, pour vérifier la conformité aux stratégies de numérique responsable et éviter les usages inadaptés ou trop énergivores.

Quelles sont les prochaines étapes à venir ?

Nous avons recruté une cheffe de projet dédiée à cette mission IAG, qui est arrivée le 1er octobre. Elle va piloter l’observatoire, animer le réseau, structurer son fonctionnement, organiser les réunions et le plan de travail.

En juillet, nous avons commencé à travailler avec une première communauté métier, les assistants administratifs, que nous venons de clore. Nous allons poursuivre nos efforts avec les agents de la DSN et de la DRH autour de l’usage de chatbots, puis avec une autre communauté métier, celle des agents en charge des enjeux de traduction.

En parallèle, nous avançons sur le RAG avec l’Université de Rennes, pour disposer d’un outil maison courant 2026, adapté à des usages professionnels réels et répétés.

Pour conclure, quel message souhaitez-vous partager à nos lecteurs à propos de cette mission IAG ?

Notre philosophie, c’est « agir sans subir ». Nous voulons avancer sur l’IA générative, mais sans céder à l’effet « wahou », qui peut être redoutable avec des effets rebonds en termes de consommation ou de déploiements inadaptés.

L’important est de garder le cap et de questionner la pertinence des outils.

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