Le Noël où le Roi Lion a fait planter les PC et repleurer les enfants
En 1994, la future division Disney Interactive lance son premier CD-ROM, censé émerveiller les enfants : le Roi Lion, sorti six mois plus tôt dans les salles américaines. Mais le matin de Noël, les PC plantent et les enfants sont inconsolables.
Noël 1994 devait être tranquille : un sapin, des guirlandes et, sous l’arbre de Noël, le CD-ROM Disney’s Animated Storybook: The Lion King, un jeu Disney Software, développé par Media Station, qui deviendra rapidement Disney Interactive. Sauf que, le matin du 25 décembre, des dizaines d’enfants ne font pas face à Simba mais à un écran noir, et leurs parents à un ordinateur qui refuse obstinément de lancer ce point’n’click et une progéniture frustrée. Le centre d’appel de Disney est alors submergé de coups de fil accusant la firme d’avoir « gâché Noël pour des milliers d’enfants », comme on peut le lire dans d’anciens commentaires. Ou quand un cadeau au pied du sapin se transforme en petit drame de la vie.
Un lancement trop près de Noël pour un produit pas assez testé ?
À la fin de l’année 1994, Disney Software/Interactive mise gros sur son premier « Animated Storybook », adapté du Roi Lion, sorti en salle six mois plus tôt aux États-Unis. Le CD-ROM doit montrer le savoir-faire numérique tout juste structuré de la firme, au sein d’un livre interactif. L’équipe utilise WinG, une bibliothèque graphique encore jeune, théoriquement capable d’offrir une animation fluide sur les PC familiaux. L’intention est claire : proposer un produit vitrine pour Noël. Mais l’écosystème PC de l’époque, fragmenté et imprévisible, complique l’équation.
Dès les tout premiers retours, le ton est donné. Sur Usenet, en décembre 1994, un parent explique que son expérience « semble s’être répétée le jour de Noël dans beaucoup de foyers » et résume la situation ainsi : « Si vous avez un PC récent, avec une bonne carte vidéo et une bonne carte son, il semble que ce logiciel refuse simplement de s’installer. »

La bibliothèque WinG au cœur du problème ?
Au cœur du problème se trouvait donc WinG, la bibliothèque graphique de Microsoft choisie par Disney pour afficher les animations. WinG était encore jeune et très exigeante. Elle dépendait fortement des pilotes vidéo installés et beaucoup de PC familiaux ne les avaient jamais mis à jour. Certains ordinateurs passaient donc l’animation d’ouverture sans difficulté, tandis que d’autres s’effondraient sur un écran noir ou un retour MS-DOS. Sur Usenet, où sont compilés les messages issus de rec.arts.disney, un parent parle d’un « test vidéo qui bloque systématiquement », un autre d’un PC qui « refuse de détecter une carte son pourtant compatible ».
Un test de la revue SuperKids décrit un problème typique : le jeu ne fonctionne tout simplement pas si l’utilisateur n’a pas forcé l’affichage en 256 couleurs. Selon l’article, « le seul problème rencontré par nos testeurs sur PC venait d’une erreur de configuration : leurs pilotes vidéo n’étaient pas réglés pour produire 256 couleurs ».
Disney admet son erreur
Cette condition pouvait paraître anecdotique, mais elle était redoutable. De nombreux PC sortis fin 1993-1994, notamment certains Compaq Presario, utilisaient des pilotes propriétaires jamais testés avec WinG. Le jeu, incapable de s’adapter, plantait sans explication. Un parent résume bien ce casse-tête dans un message du 26 décembre : « Mon PC est récent, ma carte vidéo aussi, mais le jeu s’arrête avant même l’écran-titre. » De quoi transformer une incompatibilité logicielle en véritable polémique de Noël.
Un peu plus loin, un autre utilisateur écrit que le titre « n’aurait jamais dû sortir dans cet état », une critique rare pour un produit grand public Disney, mais conforme aux nombreux problèmes liés aux pilotes graphiques de l’époque. Plus tard, le vice-président du multimédia pour Disney Interactive, Steve Fields, admettra dans un livre que la sortie avait été « trop proche de la période de Noël », une manière diplomatique de reconnaître que les tests n’avaient pas couvert la diversité des machines présentes dans les foyers.
Mais le 2 janvier 1995, le SFGate relaie les propos d’Amy Malsin, directrice de la communication chez Disney Interactive, en plein damage control : « Nous avons pu garantir la satisfaction de pratiquement tous les clients qui parviennent à nous joindre par téléphone. [Les plaintes ne représentent] qu’une poignée, comparée aux centaines de milliers de personnes qui ont acheté le programme et l’ont installé avec succès. »

Le matin de Noël, les lignes téléphoniques se mettent à chauffer
Le 25 décembre 1994, un phénomène assez inhabituel frappe le centre d’assistance de Disney Interactive. Les appels s’enchaînent et les opérateurs tentent d’expliquer aux parents qu’il faut parfois changer de mode couleur, mettre à jour un pilote vidéo ou relancer Windows depuis MS-DOS pour espérer voir Simba apparaître à l’écran. Dans une brève publiée à l’époque et reprise sur Usenet, USA Today dresse un état des lieux sans détour : « Assaillie par les plaintes au sujet d’un CD-ROM populaire mais truffé de bugs, Disney Interactive a annoncé plusieurs mesures pour aider les acheteurs. »
Ma fille de deux ans adore Le Roi Lion. Depuis lundi, Danielle se promène avec la boîte sous le bras en me demandant quand elle pourra y jouer. Qu’est-ce que je suis censé faire ?, se lamente un papa désespéré au SFGate, le 2 janvier 1995.

Dans les discussions publiques, l’exaspération se mêle à la déception des enfants. Sur des forums compilés, un parent écrit que sa fille « n’a rien pu faire d’autre qu’un clic qui plante la machine », avant d’ajouter qu’il a passé la matinée de Noël à tenter de comprendre le problème. Un autre utilisateur résume l’ambiance en expliquant que les lignes téléphoniques étaient « constamment pleines » et les files d’attente interminables, ce qui empirait encore la frustration des familles. Ces messages, postés entre le 25 et le 28 décembre 1994, brossent un tableau du chaos provoqué par un jeu censé éblouir les enfants pendant les fêtes.
Les équipes de Disney finissent par préparer des correctifs nécessairement sur support physique, et une procédure détaillée distribuée par téléphone, mais cette réponse arrive bien sûr trop tard pour sauver la magie de Noël. Dans bien des foyers, l’ordinateur devient soudain l’invité indésirable du réveillon, et le cadeau vedette se transforme en problème à résoudre.
Du cadeau maudit à l’objet culte : le temps transforme l’incident en leçon de Noël
Une fois passée la tempête du 25 décembre, l’histoire prend une tournure assez paradoxale. Malgré les réinstallations laborieuses et les plaintes des premiers jours, le CD-ROM continue de très bien se vendre. USA Today mentionne déjà « 200 000 exemplaires écoulés » au cœur même du chaos, et les rapports de ventes du premier trimestre 1995 confirment que le produit s’impose dans le top des logiciels éducatifs de l’époque. Cette réussite commerciale, attestée par la presse spécialisée, montre que le fiasco de Noël n’a pas suffi à enterrer la trajectoire du titre. Il illustre surtout un phénomène courant des années 90 : un produit pouvait être défaillant sur un parc PC mal unifié, tout en restant un succès global une fois les correctifs publiés. Toute ressemblance avec des jeux des années 2020 est fortuite.
Au fil des ans, l’épisode prend une dimension presque mythologique. En 2006, PCWorld publie un classement des « pires produits technologiques de tous les temps » et consacre quelques lignes au CD-ROM du Roi Lion. Le magazine écrit : « Peu de produits se font accuser d’avoir tué Noël pour des milliers d’enfants, mais c’est le sort qui a frappé le premier CD-ROM Disney pour Windows. »
Avec cette formule lapidaire, la presse transformera un incident très concret en symbole durable de ce que la technologie peut provoquer lorsqu’elle débarque sous le sapin sans être totalement prête. L’anecdote rappelle également que les fêtes restent un terrain miné pour les innovations mal testées. Dans les années 90, c’était un moteur WinG capricieux et aujourd’hui, des objets connectés qui refusent de se synchroniser ou un assistant vocal qui perd sa voix le matin du 25.
Ce premier Roi Lion version PC restera donc un cas d’école et un très mauvais souvenir pour certains parents. Dans d’autres foyers, au même moment, des enfants s’arrachaient les cheveux et des manettes passaient par la fenêtre face à la difficulté d’un autre jeu Le Roi Lion, sorti lui aussi pour Noël, sur les consoles SNES et Megadrive…
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