De Netflix à Prime Video : la publicité, un passage inévitable pour le streaming ?

Dans le sillage de Netflix, la majorité des plateformes de streaming proposent des offres avec publicité, qui séduisent aussi bien les utilisateurs que les annonceurs.

L'offre avec publicité de Netflix inclut 4 ou 5 minutes de coupure par heure. © Koshiro - stock.adobe.com

Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, dit-on. En janvier 2020, à l’aube d’une pandémie qui va permettre à son service d’augmenter substantiellement ses bénéfices et d’asseoir sa domination sur un marché qui s’encombre progressivement, Reed Hastings affirme que Netflix ne commercialisera pas d’offres avec publicité, relate TechCrunch. « Il n’y a pas d’argent facile à se faire sur ce marché », détaille le PDG, ce jour-là, aux actionnaires, qui l’interrogent sur le bilan de l’entreprise au quatrième semestre.

Peu confiant dans la capacité de son service à rivaliser avec Google, Amazon ou Facebook dans le secteur de la publicité en ligne, et redoutant la fronde des utilisateurs, le cofondateur, qui a, depuis, quitté ses fonctions opérationnelles, ne dévie pas de la ligne qui a fait le succès de son service, lancé en 1997 :

Notre modèle économique est beaucoup plus simple, axé uniquement sur la diffusion de contenus et la satisfaction client.

À l’époque, déjà, plusieurs experts du marché publicitaire doutent pourtant de la capacité du géant du streaming à s’affranchir, sur le long terme, des profits substantiels qui peuvent découler de la diffusion de publicités. Et notamment de l’impact que cela pourrait engendrer sur l‘Average Revenue Per User (ARPU), le revenu moyen généré par utilisateur actif. « Je ne peux pas imaginer un monde où Netflix restera indéfiniment sans publicité, pronostique un cadre de l’agence publicitaire Universal McCann, lors d’un panel auquel a assisté CNBC fin 2019. Si l’on examine le coût de production de leurs contenus… La publicité ciblée et de nouveaux formats publicitaires peuvent avoir de l’intérêt. »

Un revirement stratégique spectaculaire

La suite lui a, semble-t-il, donné raison. Quatre ans plus tard, le discours de Netflix en la matière a considérablement changé. Et les résultats, bien que rarement catastrophiques auparavant, aussi. En présentant le bilan du quatrième semestre de l’année 2023 à ses actionnaires, l’entreprise s’est réjouie d’avoir à nouveau gagné 13 millions d’abonnés et généré 938 millions de bénéfices nets. Une progression importante, donc, puisque Netflix n’avait annoncé « que » 55 millions de bénéfices sur la même période en 2022. Comment l’expliquer ? Probablement grâce au revirement stratégique spectaculaire opéré ces derniers mois, symbolisé par la traque au partage de compte et l’introduction, en novembre 2022, d’une offre avec publicité dans son catalogue, nommée « Essentiel avec Pub ».

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En limitant drastiquement le partage de compte, Netflix a enregistré une hausse du nombre d’abonnements. © Antenna

Facturée 5,99 € par mois en France, cette formule a, dès son lancement, pour objectif de séduire de nouvelles cibles, notamment plus jeunes ou souhaitant rationaliser leurs dépenses liées au streaming, alors que la plateforme traverse une période délicate et enregistre des pertes régulières d’abonnés. Pour preuve, en août 2022, Netflix essuie un revers historique en se faisant dépasser pour la première fois par le rival Disney+. En incluant Hulu et ESPN+, cette plateforme inaugurée en 2019 revendique alors 221,1 millions d’abonnés, informe Le Monde. Soit 400 000 de plus que Netflix.

Une politique offensive pour promouvoir l’offre avec publicité

Selon l’entreprise, 23 millions d’utilisateurs auraient déjà été séduits par cette offre « discount », et il n’est pas prévu que la tendance s’inverse. « Le fait d’avoir retiré, dernièrement, l’offre Essentiel qui était plutôt plébiscitée sur la plateforme devrait leur permettre d’accélérer », confirme Prachya Butsiri, directeur conseil de l’agence de marketing digital Gamned!, auprès de BDM.

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L’offre Essentiel, qui permettait d’éliminer les publicités, n’est plus commercialisée et devrait bientôt disparaître. © Capture BDM

En effet, pour orienter davantage d’utilisateurs vers son offre incluant 4 ou 5 minutes de coupures publicitaires par heure, Netflix a retiré la formule ad-free la plus abordable de son catalogue, mais laissait toujours la possibilité aux anciens souscripteurs d’en bénéficier. Ce qui ne sera plus le cas d’ici quelques mois, à en croire le dernier rapport transmis aux actionnaires :

L’offre avec publicité représente désormais 40 % des nouvelles inscriptions à Netflix, et nous prévoyons de retirer notre offre Essentiel dans les pays où la formule avec publicité est commercialisée, à commencer par le Canada et le Royaume-Uni.

Un modèle en plein essor, mais des méthodes qui varient

Au vu des chiffres, qui peuvent donner le tournis, Netflix n’est évidemment pas la seule plateforme de streaming à s’être tardivement convertie à une stratégie éprouvée par la télévision traditionnelle. De Prime Video à Disney+ en passant par Paramount+, la plupart des services ont ou s’apprêtent à expérimenter ce type d’offre dans son sillage, à la fois pour générer des revenus qui permettent de financer la réalisation de contenus originaux, mais aussi pour élargir leur audience.

L’approche peut, toutefois, légèrement varier : si Netflix et Disney+ ont lancé une offre distincte, Prime Video a choisi un autre modèle, en imposant un coût supplémentaire à l’abonné pour éliminer les publicités. « En termes d’acquisition, c’est une mécanique qui ne sera pas reçue de la même manière par les utilisateurs », estime Prachya Butsiri.

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Disney+ applique la même stratégie que Netflix. © Capture BDM

Ce changement de cap ne semble pas, jusqu’ici, susciter l’indignation des consommateurs, bien que les plateformes ont traditionnellement mis en avant l’absence de publicités pour inciter à l’abonnement. Selon une étude menée par le cabinet d’audit Deloitte, citée par The Verge, 59 % des utilisateurs seraient, à l’inverse, plutôt disposés à visionner quelques réclames en échange d’un abonnement moins onéreux.

Les utilisateurs sont déjà habitués aux publicités intégrées en début ou milieu de contenu avec la télévision linéaire. C’est un mécanisme qui existe depuis quelque temps, ce qui représente un avantage pour les plateformes, explique Prachya Butsiri. 

Une formule qui séduit aussi bien les utilisateurs que les annonceurs

Si l’émergence des offres avec publicité est perçue positivement par des utilisateurs souhaitant rationaliser leurs dépenses dans un contexte largement inflationniste, elle est accueillie de manière encore plus favorable par les annonceurs. Moyennant 35 € à 45 € du CPM (coût pour mille impressions) sur Netflix et Disney+, les publicitaires, « déjà friands de contenus vidéo sur de la TV linéaire, segmentée ou sur de l’ads YouTube », contextualise Prachya Butsiri, peuvent désormais diffuser des spots dans un « environnement premium », où le temps d’attention de l’utilisateur est habituellement bien supérieur à la normale.

Et où il est, surtout, possible de toucher des cibles difficiles à atteindre grâce aux données collectées. « Il existe des systèmes de ciblage publicitaire [sur Netflix], ne serait-ce que sur les critères sociodémographiques qui sont renseignés dans les profils de chaque utilisateur, explique Prachya Butsiri. Les plateformes disposent aussi de données sur les types d’appareils utilisés ou les thématiques de contenus visionnés. »

S’il est difficile d’évaluer précisément, à ce stade, l’engouement suscité par le déploiement de ce modèle avec publicité, il semblerait toutefois qu’il ait séduit. Pour preuve, en novembre, Netflix s’est félicité, dans un communiqué, d’avoir « proposé des produits publicitaires et des fonctionnalités supplémentaires » aux annonceurs lors de cette première année d’expérimentation, tels que des formats de spots de 10, 20 ou 60 secondes, ou des fonctions de ciblage publicitaire élargies. Le passage d’une qualité de 720p à 1080p, améliorant l’expérience de visionnage et favorisant la rétention des utilisateurs, est également un autre indicateur du potentiel succès du produit.

Doit-on, pour autant, enterrer le modèle sans publicité, qui a permis à toutes ces plateformes de révolutionner le paysage audiovisuel et la manière dont on consomme des films et séries ? Il est sans doute encore tôt pour l’affirmer. « Netflix a montré que c’était possible de proposer une offre publicitaire, et qu’il y avait potentiellement un marché, estime Prachya Butsiri. Mais c’est une transition qui s’opère, il faudra un peu plus de temps pour produire une analyse plus approfondie du phénomène. » Restez avec nous, on revient après la pub.

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