Mixité dans le numérique : pourquoi les entreprises ont un rôle essentiel à jouer, et comment y parvenir
Mélissa Cottin, directrice de l’association ESTIMnumérique, nous partage sa vision des enjeux de mixité et encourage les femmes à affirmer leur rôle, dans un secteur encore marqué par les stéréotypes.
Quel regard portez-vous sur la place des femmes dans le secteur du numérique ?
Depuis deux ans, la situation est assez compliquée. On voit, notamment dans le numérique, une baisse des recrutements. Dans la réalité, cela fait un an et demi que nous n’accompagnons plus aucune entreprise, parce que les portes sont closes. Elles privilégient la mobilité interne et se concentrent sur les questions économiques. On observe une vraie régression.
Nos publics sont principalement des femmes en reconversion.
Aujourd’hui, les entreprises recherchent surtout des profils seniors, avec cinq ans d’expérience. Les entreprises veulent surtout faire de l’image, et non de l’action. Depuis deux ans, et avec la crise économique actuelle, la situation s’est fortement accélérée. Quand il y a une baisse des recrutements, la question de la mixité et de l’égalité n’est malheureusement plus une priorité.
Pour quelles raisons les entreprises ont-elles tout de même un rôle essentiel à jouer pour apporter plus de mixité et d’inclusion dans les métiers du numérique ?
Il y a plusieurs raisons. La première explication est d’ordre démocratique. On aimerait que toutes et tous soient libres de choisir un métier et de s’engager dans le numérique. On sait qu’aujourd’hui il y a énormément de freins, notamment auprès des femmes. On sait que la culture sexiste est encore très importante dans les entreprises, et qu’il n’y a pas toujours un climat serein et sain pour elles.
Quand une équipe est mixte, on se sent plus utile dans son travail, on se sent mieux, et cela a un impact sur la productivité. Cela booste aussi la marque employeur.
C’est important aussi pour les entreprises qui créent les outils numériques de demain d’avoir une équipe qui représente la société. Si on a, par exemple, des hommes blancs d’une trentaine d’années issus de la même école d’ingénieurs, on ne va pas répondre à l’ensemble des besoins de la société.
Ne pas avoir de femmes qui participent à la conception des outils numériques de demain, cela pose question, notamment à l’ère de l’IA.
C’est un point essentiel d’avoir autant d’hommes que de femmes, mais aussi des cultures et des genres différents. Si les entreprises veulent créer des outils qui répondent aux besoins de la population, elles doivent prendre en compte la mixité et l’inclusion. Cela demande des efforts : réfléchir à la rédaction des offres d’emploi, vérifier si elles sont inclusives, s’interroger sur les images et les médias utilisés, sur les valeurs mises en avant, et sur la réalité des rémunérations.
Souvent, on entend : « On aimerait recruter des femmes, mais elles ne postulent pas ». Il faut creuser : pourquoi ne postulent-elles pas ? Est-ce que l’offre est suffisamment inclusive ? Est-ce que l’entreprise adopte la tolérance zéro face au sexisme ? Est-ce que les femmes peuvent accéder aux mêmes postes que les hommes ? Ce sont des questions qu’il faut poser plutôt que de rejeter la responsabilité ailleurs, en disant que c’est à l’enseignement supérieur ou à l’éducation de régler le problème.
Quels sont les avantages, pour les entreprises, de se doter d’équipes mixtes, notamment face à l’expansion de l’IA ?
Comme je viens de l’évoquer, c’est essentiel, notamment par rapport à l’essor de l’IA. L’intelligence artificielle n’est qu’une « photocopie de notre société », et notre société est biaisée. Si on a des équipes qui pensent toutes de la même manière, on reproduit ces biais.
On l’a vu par exemple avec Amazon, qui avait créé un outil d’aide au recrutement basé sur l’IA. Ils se sont rendu compte que l’outil pénalisait systématiquement les CV de femmes, car il avait été entraîné sur des données déjà biaisées — principalement des CV d’hommes.
J’avais fait un test avec une IA :
- En me présentant comme une femme de 25 ans intéressée par l’informatique, les trois métiers proposés étaient : UI designer, développeuse web et data scientist,
- En me présentant comme un homme de 25 ans, les résultats étaient : développeur de jeux vidéo et ingénieur.
Une femme se voit donc orientée vers des métiers perçus comme « en dessous » en termes de formation et de salaire.
Ce type d’exemple montre bien l’importance de la mixité dans les équipes, pour limiter les biais.
Si ce sont toujours les mêmes personnes qui conçoivent les modèles d’IA, on biaise totalement la société. On a besoin d’une diversité dans les équipes pour avoir des modèles d’IA les plus représentatifs possibles des besoins, sans biais, ou avec le moins de biais possible.
Quelles sont les actions que vous préconisez pour que les entreprises œuvrent en ce sens ?
L’association ESTIMnumerique n’est pas un cabinet de conseil. On est là pour déclencher quelque chose. Pour cela, on fonctionne par étapes avec, tout d’abord, la mise en place d’une conférence de sensibilisation (entre 2h et 3h). L’objectif est de comprendre l’histoire, la place des femmes dans le numérique, de réexpliquer pourquoi on matraque aujourd’hui le message de l’égalité, et de montrer que la situation actuelle est une régression.
On explique aussi l’impact des stéréotypes de genre : dès l’enfance, on envoie aux filles l’idée que l’informatique n’est pas pour elles. Beaucoup d’hommes réagissent en se sentant visés, mais notre message est clair : ce n’est pas de votre faute, c’est un constat sociétal.
Nous voulons ouvrir la discussion et permettre aux entreprises de savoir où placer leurs efforts en termes d’inclusion et de mixité.
Ensuite, on propose des actions concrètes. Voici quelques exemples :
- Chaque personne peut « chausser ses lunettes de genre » et agir à son échelle, en soutenant la carrière d’une femme dans son entreprise ou en adoptant la tolérance zéro,
- Certaines entreprises choisissent de travailler avec nous sur un mini-plan d’action, collaboratif, pour définir des priorités réalistes,
- On propose aussi de revoir les offres d’emploi pour qu’elles soient inclusives, de mettre en place des cercles de parole pour les femmes, de réfléchir à l’organisation d’événements (afterworks, réunions, etc.) pour qu’ils soient réellement accessibles à toutes et tous.
On a également créé un événement annuel, 100 % tech et 100 % expert, pour rendre visibles les femmes qui ont une expertise technique.
L’idée est de booster leur confiance, de soutenir leur carrière et de renforcer leur reconnaissance. Cela fonctionne aussi auprès des entreprises, qui en profitent pour mettre en avant leurs talents féminins.
Pour conclure, quel message souhaitez-vous adresser aux étudiantes et aux femmes qui souhaitent s’orienter ou se reconvertir dans les métiers du numérique ?
Je n’aime pas le mot « oser », parce qu’on l’entend tout le temps et qu’il renvoie à une forme de culpabilisation. Dans le contexte actuel, le plus important est de ne pas lâcher. On sait que c’est difficile : beaucoup de femmes en reconversion ne trouvent pas de stage ou d’alternance. Mais il ne faut pas se décourager.
Il faut les convaincre qu’elles ont toute leur place, et qu’elles doivent prendre cette place, dans les métiers du numérique.
Malgré les signaux négatifs, il faut garder espoir et demander du soutien. Trop de femmes subissent en silence jusqu’à exploser. Non : il faut parler, mettre des mots, dire quand une situation n’est pas acceptable. Souvent, les remarques sexistes ne partent pas d’une mauvaise intention, mais d’années de stéréotypes et de culture. Ne rien dire, c’est accepter. Il faut donc intervenir, même simplement, et rappeler qu’une remarque est déplacée.
Le message que je souhaite transmettre, c’est vraiment celui-ci : ne pas se décourager, prendre sa place, et l’affirmer.
Mélissa Cottin, Directrice et organisatrice d’événements B2B
Mélissa Cottin est directrice de l’association ESTIMnumerique, qui œuvre pour plus de mixité et d’inclusion dans les métiers du numérique. Engagée sur les questions de diversité, elle développe des actions de sensibilisation et accompagne les entreprises dans leurs démarches. Elle est également organisatrice d’événements B2B autour de l’innovation et préside l’association Pitch2Kids, qui valorise la créativité des jeunes.
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