3 méthodes pour combattre la complexité, selon le VP Product de BlaBlaCar
En gestion de projet comme en conception produit, la complexité est parfois apparentée à une zone dangereuse qu’on cherche à éviter. Lors du BlendWebMix, Rémi Guyot, VP Product chez BlaBlaCar, propose 3 méthodes pour la combattre, simplifier les projets et les interfaces.

Accepter la complexité pour mieux la combattre
Tous les projets se déroulent de la même façon. Au départ, tout paraît limpide, simple, le chemin semble parfaitement tracé, la direction est claire, les moyens pour y arriver sont connus, le périmètre est maîtrisé. Puis c’est le chaos : le projet se complexifie, tout le monde veut y mettre son grain de sel, des tensions naissent entre les personnes et les expériences qui en résultent ne sont pas toujours à la hauteur des attentes initiales.
Pour lutter contre ce phénomène, il faut d’abord l’accepter. Rémi Guyot estime que l’expression Keep it simple, stupid n’est pas la réponse ; et c’est peut-être même la cause du problème. On estime que la complexité est une zone dangereuse, dans laquelle il ne faut pas s’aventurer. Elle devrait plutôt être considérée comme le champ de bataille des membres d’une équipe. Votre rôle, c’est de simplifier les choses. Pour le faire, vous devez accepter la complexité et vous y plonger pour amener de la simplicité.
Quand la complexité est acceptée, que faire pour simplifier les projets et les interfaces ? Le VP Product de BlaBlaCar propose 3 méthodes efficaces.
1. Le focus fanatique
Ce principe correspond à la méthode des deux listes de Warren Buffet. Vous listez tous vos objectifs. Vous entourez les 3 ou 5 objectifs qui vous semblent plus prioritaires que les autres. Vous les placez dans une première liste : bravo, vous venez de sélectionner vos priorités. Tous les autres objectifs sont reversés dans une seconde liste : il ne s’agit surtout pas de vos “priorités secondaires” mais au contraire de vos tâches à “éviter à tout prix”. Cette méthode peut sembler radicale, mais elle permet de se concentrer sur ses vraies priorités, en évitant les distractions causées par d’autres objectifs dont la valeur business est plus limitée.
Cette méthode est utilisée chez BlaBlaCar. Pour les équipes, cela peut être difficile d’entendre qu’un objectif est relégué sur la liste des tâches à éviter à tout prix. Mais il est souvent plus intéressant pour l’entreprise et les salariés de se concentrer pleinement sur quelques priorités plutôt que de bâcler de nombreux travaux. On libère aussi sa charge mentale professionnelle, on évite la panique pouvant être causée par une liste de tâches où tout semble prioritaire, car chaque tâche correspond à l’un des 78 objectifs fixés. Pour faire passer la pilule, plutôt que de dire “non”, vous pouvez indiquer à votre interlocuteur que vous “n’avez pas décidé de vous concentrer sur ce sujet pour le moment” (en insistant bien sur les trois derniers mots).
Rémi Guyot estime que la maturité d’une entreprise sur ce sujet peut être définie par la grille suivante. Niveau 0 : pas de priorité. Niveau 1 : des priorités ont clairement été définies. Niveau 2 : des priorités ont clairement été définies et tout le monde les connaît. Niveau 3 : des priorités ont clairement été définies, tout le monde les connait et personne ne travaille sur autre chose.
2. La revue de simplification
Les méthodes agiles sont aujourd’hui bien intégrées dans le développement logiciel. Les bienfaits sont nombreux, mais le principe itératif fait peser une menace sur les interfaces qui risquent de devenir des usines à gaz. On pense souvent à ce qu’on veut ajouter sur les produits plutôt qu’à ce qu’on veut réduire. Des moments de simplification s’imposent. Pour faciliter ce processus, un peu à contre courant mais si essentiel, Rémi Guyot propose de retenir l’acronyme HORSE : hide, organize, reduce, standardize, eliminate – ou CORSE en français : cacher, organiser, réduire, standardiser, éliminer. Le principe consiste à étudier les composants d’une interface en se demandant lesquels devraient être cachés, organisés, réduits, standardisés ou tout bonnement éliminés.
Cette matrice a permis à BlaBlaCar de réduire considérablement le bruit sur l’interface.
- La messagerie a été cachée (trop peu d’utilité sur une page de résultats),
- l’alerte a été replacée en fin de liste (plus d’utilité à ce moment de l’expérience),
- le prix a été réduit (l’indication “par personne” a été masquée car la très grande majorité des réservations sont effectuées pour une personne et que ce principe de prix/personne peut être assimilé par l’utilisateur),
- les icônes ont été standardisées,
- les informations sur le nombre de sièges disponibles ont été supprimées.
Ce processus a permis d’intégrer une fonctionnalité avec un intérêt plus fort : l’ajout d’un indicateur de proximité. Un bel exemple de simplification d’une interface pour apporter plus de valeur aux utilisateurs.
3. Le test d’absence
Lors de cette refonte, les avis sur les utilisateurs ont été supprimés des résultats de recherche. L’équipe produit était arrivée à la conclusion qu’ils étaient surtout utiles à l’étape suivante, lorsque l’utilisateur étudie une proposition de trajet en détail. Ce critère de confiance est essentiel pour BlaBlaCar, on parle tout de même d’une application qui permet à 2 personnes qui ne se connaissent pas de partager un trajet en voiture. Pour l’équipe produit, sur la page de résultats, les éléments les plus importants étaient l’heure, le prix et la proximité, il semblait plus intéressant de valoriser ces informations.
Chez BlaBlaCar, des personnes ont critiqué cette suppression soudaine des avis, de cet indicateur de confiance si important. Quand un débat survient, on propose souvent de réaliser des tests utilisateurs en ajoutant l’élément qui pose question. « Les avis sont-ils utiles ? Pour le savoir, mettons-les et demandons aux gens s’ils trouvent que cette information est utile ». Cette méthode n’est pas efficace car dans 100% des cas, les utilisateurs vont diront que oui, c’est utile. En revanche, s’ils trouvent qu’il manque un élément, ils peuvent l’exprimer ou ne pas l’exprimer. Si vous avez un doute sur un élément, enlevez-le : s’il venait à manquer, les utilisateurs vous en informeront. Dans ce cas précis, BlaBlaCar a effectué un test d’utilisabilité : les utilisateurs n’ont pas remarqué que les avis avaient disparu. L’équipe produit a ensuite comparé les conversions avec et sans avis : elles étaient 10% plus nombreuses sans les avis.
On oublie trop souvent que la complexité peut avoir un coût, un effet négatif. On pense toujours à ajouter des éléments et cela marche très souvent. Mais de temps en temps, tester la suppression de fonctionnalités peut améliorer les indicateurs. Vous ne gagnerez pas à tous les coups, mais ça vaut le coup d’essayer.
« La simplicité est l’essence de l’Universalité » Gandhi. Merci pour cet article très instructif.