Le metaverse : opportunité ou fausse bonne idée pour les marques ?
Quels sont les enjeux autour du metaverse pour les marques ? Décryptage avec Christophe Cotin Valois, CEO de l’agence UX Welcome Max.
Christophe Cotin Valois, CEO de Welcome Max
Pionnier de l’UX en France, Christophe Cotin Valois a depuis toujours baigné dans la culture du design. Après des débuts chez IBM E-Business Services où il travaille notamment sur les premiers portails français, Christophe devient, dans les années 2000, consultant indépendant et s’implique dans plusieurs startups, grands groupes et cabinets de conseils. Depuis 2011, Christophe est CEO de l’agence Welcome Max, un nouveau concept d’agence conseil dédiée au design d’expérience.
Le metaverse est devenu un véritable sujet tendance depuis plusieurs mois. Selon vous, quelles sont les principales raisons de l’engouement autour de cet univers ?
Cet engouement relève d’un effet de mode certain pour le moment, car les usages dans le metaverse restent flous. Comme pour la réalité augmentée, le potentiel de la réalité virtuelle semble énorme mais les usages restent à découvrir. Beaucoup vont se casser les dents et il semble probable que l’usage soit là où l’on ne l’attend pas comme c’est le cas pour la réalité augmentée qui est essentiellement utilisée aujourd’hui dans la formation et l’industrie.
Selon moi, nous sommes en pleine spéculation dans la continuité des NFT. Les gamers n’y retrouvent pas vraiment leur compte. Pour le grand public, les potentiels usages sont tout de même très « geek »… Les marques surfent sur le buzz pour être présentes dans ce nouveau paradigme où le second degré semble dicter les règles.
Qu’est-ce qui pousse les marques à d’ores et déjà se lancer dans le metaverse ? Quelles sont les principales opportunités qu’elles y perçoivent ?
Pour le moment, les marques tentent de préempter le sujet, de coloniser cet espace vierge : un nouvel eldorado en somme. Il est certain que les marques doivent lancer des expérimentations sur le sujet pour y trouver leurs repères et choisir les bons sujets, la bonne plateforme, la bonne audience. Pour cela, elles ont tout à fait raison d’exploiter la dimension événementielle, propice au buzz, avec des productions jetables. Pour la brand utility, on verra plus tard.
Les opportunités seront principalement de dépasser les limites du réel, de faire dans le metaverse ce que l’on ne peut pas réellement proposer dans le réel, à l’instar de Amazon ou Alibaba qui abolissent les frontières du temps et de l’espace et qui ont réussi à faire ce qui n’était pas possible jusqu’alors.
Les innovations qui fonctionnent sont surprenantes car souvent ce n’est pas le rendu visuel qui fait la différence mais le bénéfice obtenu par l’utilisateur ou les acteurs d’un marché. Ni Google, ni Facebook, ni Amazon ne sont des exemples de créativité visuelle. Actuellement, les spéculateurs tentent de créer le marché. Mais les marques vont devoir réellement innover, car pour le moment elles font acte de présence. Le musée virtuel sera probablement la première opportunité pour les marques comme le Virtual Gucci Garden. Le musée virtuel en VR a déjà été exploré par de belles marques comme Dior (via l’agence Monochrome). Mais, en termes d’expérience et d’interactivité, cela reste assez décevant de mon point de vue.
Avez-vous des exemples de projets dans le metaverse entrepris récemment par des marques ?
Il y a la construction du stade de Manchester City ; une fois le stade réel équipé de caméras, nous pourrons probablement y suivre le match sous tous les angles, comme si nous y étions. Mais, sans l’ambiance des matchs, la meilleure vue n’est-elle pas celle de l’équipe de la réalisation qui sait switcher de prise de vue au cœur de l’action pour nous faire vivre le moment sous son meilleur angle, sans rien faire ? Au-delà des matchs en eux-mêmes, pour les fans, la visite du stade est un Graal, et ils sont capables de payer plusieurs fois pour y accéder en virtuel.
L’engagement est tel que Manchester City se rapproche de Tezos (blockchain) pour lancer des projets de collectables en NFT qui devraient faire fureur dans la communauté, et pourraient ne pas coûter cher. Ce point est important pour générer un usage en continuité avec ceux du mobile en termes de personnalisation : coques, sonneries, thèmes et app ne coûtent pas cher et permettent à ces publics de consommer, de manière spontanée, pour le fun.
Sur le sujet du metaverse, le second degré semble aussi récurrent, à l’instar de la campagne de Heineken* et sa bière virtuelle qui existe aussi dans le réel. Alors ironie ou premier degré ? On constate aussi que les stars comme Snoop Dogg savent bien jouer de cette ambivalence pour générer du buzz. Est-ce le modèle qui va émerger ? Difficile de se prononcer, en tout cas on en parle.
*L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.
Quels sont les principaux obstacles qui peuvent freiner les marques à se lancer dans le metaverse ?
- Le rendu : actuellement, si on n’est pas fan de Minecraft, on se retrouve vite dans des univers assez « cheap », qui n’ont rien à envier aux jeux vidéos. Même si le web offre de magnifiques rendus 3D, le metaverse fera l’objet d’une autre verticale de budget à compléter par le média. Et la facture va être « salée » car on cumule là les enjeux du digital : visibilité, création, contraintes techniques, UX, e-commerce… Bref, un enjeu de taille pour les organisations.
- L’accessibilité et l’interopérabilité : aujourd’hui, naviguer sur le web, avec nos devices est déjà une guerre des mondes, où Google, Apple, Meta, etc. tentent de garder captifs leurs users par une UX propriétaire. Logins, devises, plateformes de paiement, listes de contacts, avatars, référentiels d’articles et chats, enferment les audiences. Passer d’un device à un autre peut relever du parcours du combattant. Alors, attendez de devoir vous connecter tout en portant un casque encombrant (et inconfortable ?). Cela pose donc la question de l’interopérabilité : le sac Gucci, vendu plus cher que le véritable sur Roblox, sera-t-il compatible avec le monde Meta ? Je l’espère pour son propriétaire.
Quels sont les éléments qui peuvent entraver les expériences qu’elles y proposeront ?
Les marques en quête d’offrir une expérience forte à leurs clients auront-elles le budget pour s’épanouir dans le metaverse ? De la même manière que les chatbots de Facebook restent très limités en termes de service, est-ce que les plateformes nous offriront des outils ou templates de lieux modélisés en 3D que nous pourrons customiser ?
Les marques souhaitent-elles se retrouver à nouveau dans un monde standardisé ou est-ce que le réseau sera ouvert et donc compatible avec les standards techniques permettant d’y faire « tourner » des expériences conçues ailleurs ? Ce serait alors une sorte de centre commercial immersif. Mais cela relève encore d’un défi technologique. En termes de futurologie, le film Valerian de Luc Besson nous donne l’idée de ce à quoi cela pourrait ressembler : c’était une des plus grosses productions de tous les temps et pourtant un flop commercial.
J’ai travaillé sur Second Life il y a une dizaine d’années. Beaucoup de marque avaient investies et j’étais chargée de faire du recrutement pour une grande boite d’intérim. C’était génial pendant 6 mois et ensuite tout le monde s’est lassé parce que qu’au final on faisait sur second life ce qu’on faisait dans la vie (travailler, acheter, papoter…) rien de très palpitant au final avec pleins de sens en moins, la nature en moins… les pixels c’est bien mais ça suffit pas. Bref, ceux qui ont vécus cette aventure savent que le Métaverse n’est qu’une copie de second life, ça fera un flop !