« Tout le monde peut être créatif » : Lucie Bordelais décrypte la vision et les ambitions de Figma
À l’occasion d’un entretien accordé à BDM, Lucie Bordelais, directrice générale de Figma en France, a partagé sa vision et les ambitions de l’entreprise.
Figma s’est imposé comme un outil incontournable pour le design collaboratif, le maquettage et le prototypage. Mais au-delà des designers, la plateforme séduit aussi développeurs, marketeurs et product managers. Dans un entretien accordé à BDM, Lucie Bordelais, directrice générale de Figma en France, revient sur cette évolution, les nouveaux usages et les ambitions de l’entreprise pour l’avenir.
Lucie Bordelais, DG France de Figma
Après un DESS Contrôle de Gestion à Paris Dauphine à l’aube des années 2000, Lucie Bordelais a travaillé pour KPMG, puis CashSolve et BlackLine, avant de rejoindre Figma en 2022, où elle occupe désormais les rôles de directrice générale pour la France et de responsable commerciale pour la région Southern EMEA.
Figma, un outil pensé pour la collaboration
Figma est reconnu pour son approche collaborative. Comment continuez-vous à renforcer cette dimension et quel impact cela peut-il avoir sur les équipes ?
Figma a été conçu dès le départ pour la collaboration en design. À l’époque, la plupart des designers travaillaient sur des logiciels installés localement, rendant le partage de fichiers complexe et contraignant. L’idée d’un outil 100 % en ligne a donc été une révolution. Aujourd’hui, cela semble évident, mais cette accessibilité immédiate a changé la façon de travailler. Plus besoin d’un ordinateur puissant, ni de transferts incessants de fichiers.
Seul un tiers des utilisateurs de Figma sont des designers.
Avec le temps, nous avons constaté que seul un tiers des utilisateurs de Figma étaient des designers. Les deux autres tiers sont des marketeurs, product managers, développeurs… Il fallait donc adapter Figma pour ces nouveaux profils.
C’est pourquoi nous avons lancé DevMode, un mode dédié aux développeurs, qui leur propose une interface optimisée pour leur manière de travailler. Aujourd’hui, ils représentent autant d’utilisateurs que les designers, mais ils n’avaient pas forcément un espace pensé pour eux.
Vous avez aussi développé des outils au-delà de la conception pure, comme Slides. Quel est son apport dans cette logique de collaboration ?
Nous avons remarqué que de nombreux utilisateurs détournaient Figma pour faire des présentations. Dans Figma, on peut choisir des formats adaptés aux écrans mobiles et ordinateurs, mais nous avons vu une utilisation massive du format paysage, typique des decks de slides. Cela nous a donné l’idée de Slides, un outil spécifique qui permet de créer des présentations de manière fluide et collaborative.
L’idée, c’est qu’un design n’est jamais figé, il est fait pour être discuté et amélioré. Slides permet aux designers et aux équipes produit de présenter leurs prototypes sous forme de diapositives interactives, facilement accessibles à tous. D’un simple clic, on peut afficher un prototype animé au sein d’une présentation, sans quitter l’outil.
Cette approche repose sur deux principes :
- Adapter l’expérience à chaque métier : il faut proposer l’interface et l’outil adaptés aux designers, développeurs, product managers et autres utilisateurs.
- Élargir la collaboration : nous souhaitons permettre à toujours plus de profils d’utiliser Figma, même ceux qui ne sont pas designers de métier.
Figma tend aujourd’hui vers une collaboration toujours plus large, impliquant de nombreux métiers. Comment accompagnez-vous cette transformation ?
Nous travaillons beaucoup sur le rapprochement entre designers et développeurs. Ces métiers ont historiquement des approches très différentes. Le développement suit des règles strictes, avec des langages et méthodologies précises. Le design, lui, est un domaine de liberté créative. L’un des défis est donc de structurer le travail des designers pour qu’il soit compris et exploitable par les développeurs, en créant un langage commun et des méthodologies alignées.
Des équipes qui resteraient silotées risqueraient de ne pas suivre le rythme.
Nous observons aussi que les rôles évoluent. Il y a 20 ans, les développeurs créaient directement les sites web, souvent avec des designs simples. Puis, les designers ont été intégrés au processus. Aujourd’hui, l’enjeu n’est plus seulement de séparer les rôles, mais de rapprocher les compétences pour gagner en efficacité.
Avec l’essor de l’intelligence artificielle, cette nécessité devient encore plus pressante. Tout va de plus en plus vite, et des équipes qui resteraient silotées risqueraient de ne pas suivre le rythme. Nous réfléchissons donc activement à comment rendre cette collaboration encore plus fluide.
Est-ce que Figma s’est adapté aux nouveaux modes de travail ou est-ce l’inverse ?
Nous ne cherchons pas à imposer un changement, mais à accompagner l’évolution des métiers. Prenons l’exemple de DevMode : certains développeurs vont dans Figma pour consulter des maquettes, mais d’autres préfèrent avoir les éléments directement dans leur IDE. Nous avons donc intégré une solution qui leur permet de voir ce qu’ils doivent coder sans quitter leur outil.
Notre objectif n’est pas de forcer les équipes techniques à utiliser Figma, mais de leur apporter Figma là où elles en ont besoin. C’est une réflexion clé en interne : nous voulons fluidifier le travail, pas créer une dépendance forcée à notre outil.
Figma, une marque très appréciée et une communauté dynamique
Comment expliquez-vous le fort attachement émotionnel qui lie Figma à ses utilisatrices et utilisateurs ?
Figma a la particularité d’être très centré sur son produit. Dès le départ, nous avons fait le choix de lancer un outil déjà très avancé, plutôt que de le commercialiser trop tôt. Cela a contribué à créer une relation de confiance avec nos utilisateurs.
Nous avons aussi un plan gratuit, qui rend Figma accessible à tous, et souvent mis à disposition dans les écoles et universités, notamment aux États-Unis et au Japon. En Afrique, notamment au Nigeria, Figma connaît une croissance importante. Nous constatons une adoption naturelle et organique, portée par le bouche-à-oreille.
Enfin, il y a aussi une dimension humaine et culturelle. Notre fondateur, Dylan Field, est quelqu’un de très accessible, humble et passionné. Il incarne bien les valeurs de Figma et son ouverture à la communauté. Tout cela contribue à créer une véritable connexion émotionnelle avec nos utilisateurs.
Figma dépasse donc le simple outil, pour s’affirmer comme une marque inspirante ?
Oui, et cela repose sur une philosophie forte : tout le monde est créatif. Nous voulons que Figma ne soit pas seulement un outil pour les designers professionnels, mais un espace où chacun peut exprimer sa créativité. Personnellement, j’ai ressenti cet effet dès mon arrivée chez Figma. Quelques mois après, j’ai eu ce déclic : « je me sens créative. » Chez Figma, nous ne parlons pas simplement de résolution de problèmes, nous parlons de création.
Tout le monde peut être créatif.
Et ce n’est pas juste une façon de parler, c’est un état d’esprit. C’est aussi ce que nous voulons véhiculer auprès de nos utilisateurs : tout le monde peut être créatif, pas seulement les designers professionnels. Nous voulons que Figma soit un espace où chacun a le droit d’exprimer sa créativité, sans que cela soit réservé aux seuls experts.
Figma bénéficie parallèlement d’une forte dynamique communautaire. Comment fonctionne cet écosystème ? Est-ce une véritable stratégie de la marque ?
Nous avons un réseau Friends of Figma, qui sont des chapitres communautaires indépendants dans de nombreuses villes, en France et dans le monde. À Paris, Nantes, Bordeaux, Marseille… nous avons des groupes dirigés par des volontaires passionnés, qui organisent leurs propres événements pour échanger sur les nouveautés et partager des connaissances.
Ce qui est remarquable, c’est que ces communautés existaient avant même notre implantation officielle en France. Nous avons découvert des designers qui utilisaient Figma depuis des années et qui avaient créé leurs propres groupes, bien avant que nous les soutenions.
Barcelone, le plus gros hub communautaire Figma au monde.
Ces groupes sont totalement autonomes. Nous les soutenons parfois en leur envoyant des t-shirts ou du matériel, mais ils fonctionnent de manière indépendante, avec une véritable culture du partage. Et l’un des éléments qui favorise cet engagement, c’est que Figma est très ouvert aux API. Concrètement, tout développeur peut créer des plugins ou extensions pour enrichir l’outil.
Enfin, fait étonnant, la plus grande communauté Friends of Figma au monde est à Barcelone. Nous n’avons pourtant aucun bureau là-bas, nous n’avons rien initié officiellement, mais la passion des utilisateurs a fait que Barcelone est devenue le plus gros hub communautaire Figma au monde. Cela prouve que l’adoption de Figma est avant tout organique, portée par les utilisateurs eux-mêmes.
Le parcours et la vision de Lucie Bordelais
Quel est votre rôle chez Figma et les thématiques qui vous passionnent ?
Je suis directrice générale France, mais aussi responsable commerciale pour l’Europe du Sud et le Moyen-Orient. Mon périmètre couvre donc la France, l’Europe du Sud et le Moyen-Orient, soit un territoire allant de Lisbonne à Dubaï, tout en sachant que sur cette large zone nos bureaux sont situés dans l’Hexagone.
Ce qui me passionne le plus, c’est le recrutement et la construction d’une équipe. Faire grandir une entreprise, recruter des talents enthousiastes, c’est un vrai moteur. Et nous sommes bientôt dix fois plus nombreux qu’à mon arrivée.
J’adore aussi échanger avec nos clients, qui utilisent Figma pour relever des défis concrets. Chaque conversation m’ouvre les yeux sur des usages inattendus, du design d’interface classique à des innovations dans des secteurs très techniques.
Quels sont les principaux défis que vous voyez émerger ?
L’intelligence artificielle transforme bien sûr notre secteur. Aujourd’hui, des outils permettent de générer un site complet en un simple prompt. Nous pensons que cette automatisation massive risque de remplir Internet de contenu de faible qualité.
Nous voulons donc accompagner les designers pour qu’ils puissent se concentrer sur la créativité et utiliser l’IA comme un levier d’optimisation. Les agences avec lesquelles nous travaillons sont très attentives à ces évolutions et cherchent à intégrer l’IA intelligemment, plutôt que de la subir.
Et quels sont les projets futurs ?
Nous voulons renforcer notre visibilité en Europe. Figma est un standard dans certains secteurs, mais encore méconnu dans d’autres. Nous réfléchissons donc à des stratégies pour élargir notre audience et rendre notre marque plus visible et accessible. Nous aurons sûrement des annonces à ce sujet dans les prochains mois.
Nous vivons une époque passionnante. Le design digital évolue à grande vitesse, et chez Figma, nous voulons être au cœur de cette transformation. Notre ambition reste la même : innover, faciliter la collaboration et accompagner les designers dans un monde en mutation.