Sur LinkedIn, « le bullshit ne suffit plus » : le storytelling creux est-il révolu ?

En 2025, LinkedIn n’est plus seulement un CV en ligne : c’est devenu un véritable média pour les professionnels. Mais à force de storytelling calibré et de posts à l’émotion forcée, les discours creux se sont aussi invités dans la partie. Anaïs Loubère, directrice de l’agence social media Digital Pipelettes, décrypte les nouveaux codes de la plateforme entre authenticité et retour à un contenu de fond.

Depuis son arrivée en France en 2008, comment ont évolué les usages sur LinkedIn ?

À son arrivée en France en 2008, LinkedIn jouait des coudes avec Viadeo en se positionnant comme un supermarché géant de talents. La promesse est simple : rendre son CV visible par des recruteurs. 17 ans plus tard, la plateforme a bien évolué en devenant le média social de référence du monde professionnel. En 2025, on ne fait pas que recruter, on vend, on fidélise grâce à LinkedIn.

Et les chiffres parlent d’eux-mêmes ! LinkedIn touche 51 % de la population française et gagne environ 5 millions d’utilisateurs chaque année. Cette accélération d’abonnés s’accompagne d’une montée en puissance des utilisateurs « producteurs de contenus » vs. de « consommateurs ».

Depuis quelques années, on assiste à l’émergence de nouveaux codes sur LinkedIn, souvent très éloignés du cadre professionnel formel. Que sont-ils et comment l’expliquer ?

C’est à mon sens le reflet de l’évolution du monde professionnel : quelle entreprise ne s’attarde pas sur les soft skills d’un candidat ? Quel candidat ne se renseigne pas sur l’ambiance de la société dans laquelle il postule ? Quel consultant n’a pas besoin d’embarquer ses prospects dans sa façon de travailler ?

Ce n’est pas LinkedIn qui a créé ces nouveaux formats, ce sont ses internautes qui les ont mis sur le devant de la scène.

En 2025, l’expert, le candidat et l’employeur vendent ou achètent un package complet ! Les contenus personnels et émotionnels ont chassé l’overdose de livres blancs et les communiqués officiels, en répondant à un public toujours plus pressé et volatile et en quête de « vraies personnes », capables de partager une expérience. Ce sont rarement les 83 slides PDF du rapport de l’audit RSE qui séduisent l’internaute en moins de 3 secondes… Peu à peu, les experts qui arrivent à sortir du  « tout institutionnel » et d’un ton lisse à souhait ont pris la main.

L’algorithme valorise aujourd’hui ces contenus narratifs, très incarnés, parfois intimes, souvent illustrés par une photo soignée. Peut-on dire que LinkedIn devient une sorte d’Instagram corporate ?

Un peu ! Et de la même manière que sur Instagram, on arrive à une phase de saturation de la mise en scène. Le retour d’expérience a toujours une place centrale mais on attend maintenant plus de fond et plus d’authenticité. Le style « Oh mon dieu ! Tellement plein de gratitude de pouvoir partager cette Xe réussite avec mon équipe« , a ses limites !

L’effet miroir, c’est un levier vieux comme le monde en social media et LinkedIn n’en fait pas exception : on attend aujourd’hui d’un expert LinkedIn qu’il nous embarque dans son quotidien et qu’il nous montre comment il nous comprend.

Cette tendance a aussi généré son lot de critiques : posts formatés, overdose d’emojis fusée, storytelling bullshit… L’algorithme pousse-t-il à privilégier la forme et l’émotion au détriment du fond ?

Ça a été le cas, ça l’est de moins en moins ! Aujourd’hui, l’algorithme est beaucoup plus exigeant, il ne suffit plus de poster un selfie de soi #TrueLifeEntrepreneur pour percer.

Ce virage vient clairement d’un ras-le-bol des internautes qui ont partagé avoir du mal à reconnaître la direction de la plateforme. Je pense qu’on arrive à la fin de cette ère et qu’aujourd’hui le juste combo pour faire la différence c’est une réelle expertise et la capacité à l’expliquer sans bullshit.

Face à cette évolution, les contenus plus techniques ou éducatifs ont-ils encore vraiment leur place sur LinkedIn ? Peuvent-ils encore réussir à émerger dans cet environnement dominé par le storytelling ?

Complètement ! Dire qu’on est expert c’est une chose, le prouver en est une autre. Comme pour tous les autres réseaux sociaux, la clé du contenu c’est la valeur ajoutée (comment votre contenu réussit à « augmenter »  votre communauté). Et pour preuve, le nouvel indicateur chouchou de LinkedIn : le « dwell time« , aka le temps de lecture et d’attention sur un post.

Les vrais gagnants seront ceux qui apportent un fond complet avec une forme attractive !

Et du côté des entreprises, comment celles-ci peuvent-elles s’adapter aux nouveaux codes de communication de LinkedIn, sans perdre en crédibilité ou en cohérence de marque ?

• Règle n°1 : ne pas essayer de prétendre être ce que l’on n’est pas et capitaliser sur nos forces : Pourquoi les clients viennent-ils chez nous ? Qu’est-ce qui rend les collaborateurs fiers de leur entreprise ?
• Règle n°2 : donner la parole à ses équipes, à ses clients et adopter une vision éditoriale qui dépasse l’entreprise pour adopter une position « marché »,
• Règle n°3 : professionnaliser sa communication ! Depuis le début de l’année, le reach organique a chuté de 50 %, alors pour faire la différence, il est indispensable de publier du contenu à forte valeur ajoutée et de garder une cadence rythmée et constante. Aussi, il va falloir commencer à mettre la main au portefeuille… car le paid tend à s’imposer sur la plateforme !

L’intelligence artificielle s’invite de plus en plus dans la création de contenus. Comment l’IA transforme-t-elle les usages sur LinkedIn ?

L’IA a mis un énorme coup de pied dans la fourmilière de l’algorithme ! Avant, il « suffisait » de publier régulièrement pour s’assurer une visibilité correcte. Avec la démocratisation de ChatGPT, nombreux sont ceux qui se sont rués sur une stratégie de volume et des bots d’interactions automatisés pour nourrir l’algorithme. On voit d’ailleurs des « agences » se spécialiser dans des offres 100% automatisées.

Résultat ? On s’est retrouvé à parler de robot à robot et on a très vite eu l’impression de lire la même chose partout. C’est là que LinkedIn s’est mis à renforcer sa politique pour (re)faire de la place aux créateurs qui partageaient du contenu plus qualitatif.

LinkedIn est aujourd’hui un réseau hybride, à mi-chemin entre vitrine professionnelle, média d’opinion et outil de personnal branding. Quelles sont, selon vous, les prochaines grandes tendances à venir sur la plateforme ?

Difficile à dire, car LinkedIn a cette capacité à avancer à la fois très vite (comme avec l’essor de ChatGPT) et très lentement quand il s’agit de développer de nouvelles fonctionnalités. On note qu’il aura fallu attendre 2024 pour que l’onglet « vidéos » arrive sur l’appli avant de repartir aussi sec !

Très souvent, la plateforme a essayé de « copier » des fonctionnalités de médias sociaux grand public – qui se souvient des Stories LinkedIn ? – et ça s’est très vite soldé par un échec. Mais là où elle sur-performe, c’est dans sa promesse initiale : être le média de référence du monde professionnel.

Alors je me lance dans les prédictions : pour moi, LinkedIn va évoluer dans une dimension « inspiration d’expert » qui sera à mi-chemin entre un Pinterest de talents et de veille par secteur. J’imagine des ponts avec des formats longs et « qualifiants » : podcasts, articles, webinars… Tout ce qui contribuera à faire d’un expert… Un expert !

Anaïs Loubère, Fondatrice de Digital Pipelettes

Experte en social media, Anaïs Loubère a fondé l’agence Digital Pipelettes en 2016. Depuis, elle accompagne les marques dans leur stratégie de communication social media, avec une approche créative et engagée. Elle intervient également comme conférencière sur les enjeux du numérique et des réseaux sociaux.