IPTV, VPN, Telegram : quand le football booste les diffusions audiovisuelles illégales
Les IPTV, VPN et canaux Telegram ont connu un véritable boum en France avec le début de la saison de football, dont le prix des abonnements TV a entraîné un exil vers l’illégalité.
Face à la hausse des abonnements aux programmes TV ou aux plateformes VOD, les spectateurs se tournent de plus en plus vers des manières détournées pour voir leurs films, séries ou équipes sportives favoris. Alimenté en France par le prix exorbitant qu’il faut débourser pour regarder la saison de Ligue 1 de football, ce phénomène, qui booste les ventes d’IPTV, de VPN et le trafic sur Telegram, est de plus en plus assumé.
IPTV, VPN ou Telegram : trois techniques pirates particulièrement populaires
Des prix qui flambent, des salaires qui stagnent, et un certain mépris du consommateur : le cocktail était explosif pour les diffuseurs. Et c’est par l’intermédiaire du football que la mèche a été allumée. Bill Shankly, entraîneur légendaire de Liverpool, n’avait-il pas dit : « Le football n’est pas une question de vie ou de mort, c’est quelque chose de bien plus important que cela. » Si elles ne le savaient pas, la LFP (Ligue professionnelle de football) et les chaînes de diffusion l’ont appris – ou vont l’apprendre – à leurs dépens. En proposant un abonnement mensuel à 29,99 € – soit le double de l’offre de 2023 – pour regarder les matches de l’élite du football français, la Ligue et DAZN, son désormais diffuseur officiel, se sont tirés une balle dans le pied. Car en 2024, pour voir l’intégralité des matches de Ligue 1, un Français devra débourser pas moins de 45 € par mois.
Résultat : les techniques pour contourner ces abonnements au prix jugé trop élevé gagnent une popularité sans précédent. Selon les estimations du Parisien, au moins 200 000 personnes ont regardé le match d’ouverture, Le Havre – Paris SG en streaming illégal sur la messagerie cryptée Telegram. Le Monde note de son côté que, mi-août, les recherches Google associées aux termes « iptv ligue 1 » et « telegram ligue 1 » ont explosé, avec « des courbes impressionnantes » sur Google Trends. Pourtant, pour Shay Segev, le PDG de DAZN, l’offre de 29,99 €/mois est un « juste prix ». Mais les spectateurs ne semblent pas du tout de son avis et se tournent donc vers les IPTV, qui permettent de capter des chaînes étrangères, les VPN, pour contourner les géoblocages, et Telegram, pour le bon vieux streaming.
IPTV et VPN : comment sont-ils utilisés ?
Si Telegram propose donc des canaux diffusant des streamings illégaux comme ce qu’il était possible de trouver facilement auparavant sur le web, d’autres outils diffèrent dans leur fonctionnement. C’est notamment le cas des IPTV, qui se démocratisent d’année en année.
L’IPTV ou le retour en force du boîtier TV
IPTV est un acronyme pour Internet Protocol Television. Il s’agit d’un boîtier TV, comme les versions légales que peuvent fournir les FAI, comme Orange, SFR ou Bouygues, qui permet d’accéder à des chaînes de télévion mais aussi à des plateformes VOD, comme Netflix, Disney+ ou Prime Video. C’est 100 % légal… tant que le « fournisseur paye une licence lui donnant le droit de diffuser du contenu qui ne lui appartient pas », explique Libération.
Les IPTV illégaux diffusent des contenus piratés, avec un accès à l’ensemble des programmes TV, nationaux et internationaux, ainsi qu’à ceux uniquement accessibles par abonnement. Ces boîtiers centralisent donc une énorme partie de la production audiovisuelle pour une somme dérisoire comparée à ce que peuvent proposer les différents diffuseurs et plateformes : entre 20 et 50 euros par an selon les fournisseurs.
Le VPN pour contourner les blocages géographiques
Le VPN, quant à lui, est plus connu du grand public. Ce type de logiciel permet à un utilisateur de masquer son identité en ligne, mais également de changer sa localisation de connexion. Avec un VPN, il est par exemple possible d’accéder à du contenu vidéo géobloqué. Les amateurs de séries et de films peuvent notamment changer leur lieu de connexion pour bénéficier du catalogue américain de plateformes comme Netflix ou Disney+, qui diffère de celui que nous avons en France. Mais ils peuvent également regarder des programmes diffusés gratuitement par certaines chaînes ou plateformes.
L’exemple le plus criant est tout récent. La chaîne YouTube CazéTV s’est offert les droits de diffusion du championnat de France au Brésil. Le flux, gratuit, est bloqué pour les spectateurs ne se situant pas en terres brésiliennes. Cependant, un grand nombre de Français ont utilisé un VPN pour pouvoir regarder gratuitement la Ligue 1 via CazéTV. Pour le premier match de la saison, cette chaîne YouTube jusqu’alors totalement inconnue ou presque en France a regroupé plus de 800 000 personnes ! Il n’y a jamais eu autant de supporters havrais et parisiens au « Brésil » !
Pourquoi les spectateurs se tournent-ils vers ces moyens illégaux ?
Le prix de l’abonnement, un élément largement déclencheur
Les prix imposés par les plateformes de diffusion et chaînes ont été l’élément déclencheur pour une majorité des utilisateurs de moyens illégaux. Nombreux sont ceux qui payaient un abonnement de manière tout à fait légale par le passé, avant de basculer ces dernières années et, spécifiquement, cet été. Pour GR92, 34 ans, qui utilise un IPTV sur son PC et un sur son mobile, c’est bien « le prix des abonnements pour suivre le football » qui l’a poussé vers l’illégalité. « Entre la Ligue 1, la Ligue des Champions, les championnats étrangers, il faut être abonné à – au moins – 3 à 5 chaînes pour tout suivre. Aujourd’hui, mon pouvoir d’achat ne fait que baisser, comme pour beaucoup de personnes. Et j’estime avoir le droit de pouvoir suivre ma passion sportive, sans pour autant me ruiner économiquement. »
Marius, 34 ans lui aussi, « utilise un IPTV depuis début août », alors qu’il n’avait « jamais voulu en entendre parler avant ». Il a estimé cette année « que les limites économiques étaient passées ». Même son de cloche pour Yacin, 41 ans, qui a franchi le cap « à l’arrivée de [son] deuxième enfant », à un moment où « des choix », notamment économiques, se sont imposés. Et si le football a été l’argument numéro un pour se procurer un IPTV, tous en profitent pour regarder des chaînes classiques et des programmes sur les plateformes de VOD via leur boîtier, s’affranchissant ainsi d’un abonnement télévision via leur FAI.
« Y a-t-il une vraie différence avec Bolloré ou le Qatar ? »
Marius explique comprendre « que le foot est un écosystème et que toutes les parties doivent vivre (du caméraman, au coach assistant en passant par les journalistes et autres commentateurs) », notamment des proches qui travaillent dans des clubs sportifs ou dans les médias. Si cet argument a pu retarder le passage de certains aux techniques illégales, il n’est pas assez fort pour véhiculer des scrupules chez leurs utilisateurs. « Je préférerais être dans la légalité, reconnaît GR92, comme pour tout le reste, mais encore une fois les tarifs dépassent l’entendement. Pour ces raisons, je n’ai pas de scrupule à utiliser ce genre de plateformes. »
Yacin, de son côté, fait peu de différence entre les diffuseurs classiques et les pirates : « Y a-t-il une vraie différence avec [Vincent] Bolloré (propriétaire notamment du groupe Canal, ndlr) ou le Qatar (propriétaire de beIN Sports) ? », demande-t-il. Pour Marius, le « dilemme moral », comme il l’appelle, s’est axé autour de la question suivante : « Devons-nous renoncer à nos loisirs à cause d’un prix ? » La fin justifie donc les moyens. Encore plus, quand il devient simple d’utiliser ces technologies de contournement. Pour Yacin : « La facilité aide beaucoup, surtout quand on a connu les streams du début d’Internet avec les multiples pop-up, souvent pour des plateformes peu recommandables. » Et il suffit de voir la vitesse à laquelle on se voit proposer un IPTV à sa simple mention sur les réseaux sociaux, X en tête, pour comprendre l’ampleur du business.
Pour la Ligue de football et les diffuseurs, une bataille perdue d’avance ?
Du côté de la LFP, la chasse aux pirates est ouverte. Mais cette traque ressemble plus à la vaine lutte de Don Quichotte contre ses moulins qu’à autre chose. La Ligue de football a obtenu, dès le début du mois d’août et par l’intermédiaire du tribunal judiciaire de Paris, « le blocage par les FAI français de l’accès à des sites de streaming en direct et à des services IPTV majeurs diffusant sans autorisation les championnats de Ligue 1 McDonald’s et de Ligue 2 BKT », s’enorgueille-t-elle dans un communiqué. Par la voix de son président Xavier Spender, sur France Info, l’Association pour la protection des programmes sportifs a fustigé « les acteurs de ces plateformes, véritables groupes mafieux ». Selon lui, entre 2 et 2,5 millions de Français utilisent un IPTV, dont « près de 30 % sont soumis à un blocage des flux ». Pour la réalisation de cet article, une dizaine de possesseurs d’IPTV a été interrogée. Aucun n’avait vu son service pirate bloqué pour le moment.
Pour Telegram, plateforme obscure par excellence, dont le PDG a été arrêté en France, les régulateurs et diffuseurs peuvent toujours rêver. « Telegram n’est pas très réactif quand on lui demande de couper les flux, c’est clair », reconnaît Xavier Spender. En effet, « sur Telegram, toutes les diffusions illicites sont notifiées par notre prestataire antipiratage Athletia. Le problème à cet égard est que les délais de réponse de Telegram sont fluctuants (jusqu’à 24 heures) et sont incompatibles avec un retrait en temps utile de contenus diffusés en direct », a avoué la LFP au Parisien. L’application, comme à son habitude, ne joue pas le jeu des autorités, ce qui est une des causes des tourmentes actuelles de son fondateur.
Les Français utilisent des méthodes pour contourner le géoblocage, a reconnu CazéTV, chaîne YouTube détentrice des droits de la Ligue 1 au Brésil.
Enfin, au sujet des VPN, il est là encore difficile de réguler efficacement. La chaîne YouTube brésilienne CazéTV, évoquée plus haut, a d’ailleurs produit un communiqué qui a beaucoup amusé les supporters français. En effet, face à l’afflux des fans de foot tricolores, elle a expliqué ne pas diffuser la deuxième journée de Ligue 1 : « Les internautes français utilisaient des méthodes pour contourner le géoblocage et regarder les émissions depuis la France », a déclaré la chaîne dans un communiqué relayé par le média UOL. Conséquence : les amateurs brésiliens de football français en seront eux aussi privés. Rien n’indique que la LFP est intervenue dans cette décision, mais les experts font peu de place au doute.
Quels risques pour les spectateurs pirates ?
Sur le plan strictement judiciaire, l’utilisation d’un IPTV illégal s’apparente à du recel de contrefaçon, pouvant entraîner une amende de 375 000 euros et trois ans de prison. Dans les faits, les particuliers ne sont a priori jamais inquiétés, pour l’instant. Les actions des régulateurs, poussés par les diffuseurs ou détenteurs des droits, se focalisent d’abord sur les plateformes ou fournisseurs de service. « Dans ce jeu du chat et de la souris, des moyens sont à notre disposition pour pouvoir opérer des blocages ou combattre les acteurs qui mettent en place ces systèmes », décrypte Xavier Spender, toujours auprès de France Info. En pratique, ces actions semblent bien limitées au regard du volume de contenu pirate.
À part gagner au loto, pas grand-chose ne me fera retourner vers le légal.
La demande, quant à elle, ne cesse de croître. En quelques minutes, certains des utilisateurs intervenus dans cet article, et nous ayant répondu posséder un IPTV, ont été contactés par plusieurs comptes sur X, leur demandant de leur transmettre – en privé – leur contact pour acquérir le fameux boîtier. Ils font bien évidemment face à des arnaques, un business juteux pouvant en cacher un autre, mais pas assez pour effrayer ces internautes aguerris. Quant à les faire revenir vers la légalité, il faudra employer les grands moyens : « En toute sincérité, je m’imagine difficilement revenir dans la légalité, à moins que les prix d’abonnement baissent, et que mon pouvoir d’achat augmente largement », avoue GR92. Pour Yacin, « à part gagner au loto », par grand-chose ne le fera retourner vers la légalité. « Je préfère encore arrêter de regarder. » Ou comment le non-respect du consommateur entraîne la détestation d’un service pourtant alimenté par une forte demande.
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