Mozilla : « notre objectif est d’améliorer la santé d’Internet »
Sylvestre Ledru, à la tête de la branche française de Mozilla, revient sur les nouveautés proposées ces derniers mois par Mozilla en matière de vie privée et de protection des données personnelles, mais aussi sur le positionnement de son navigateur Firefox.
Mozilla a multiplié les annonces et les nouveautés ces derniers mois autour de son navigateur Firefox, et occupe plus que jamais le terrain de la confidentialité des données et du respect de la vie privée. Pour mieux comprendre le lien qu’entretient Mozilla avec ces problématiques, nous avons échangé avec Sylvestre Ledru, directeur du bureau Mozilla France, et également Senior Engineer Manager, responsable d’une équipe d’une vingtaine de développeurs.
Mozilla a un positionnement fort sur le sujet du respect de la vie privée. S’est-il encore renforcé ces derniers mois, en opposition aux nombreux scandales qui ont touché de grands acteurs du web en matière de données personnelles ?
Nous sommes une fondation à but non lucratif pilotée par une mission qui vise à garder Internet ouvert, accessible, et interopérable. Notre objectif est d’améliorer la santé d’Internet. Notre positionnement a peu changé ces derniers mois, ces sujets ont toujours fait partie de l’ADN de Mozilla. On remarque, en revanche, que l’état du Web se détériore. Nous l’avons notamment constaté avec le Brexit ou avec la dernière élection américaine. Il se passe des choses sur Internet qui ne se passaient pas il y a 3-4 ans, notamment en matière de campagnes de désinformation. C’est également inquiétant de voir l’échelle du tracking et la quantité de données qui sont accumulées sur les utilisateurs. Ce sont les raisons pour lesquelles Mozilla fait entendre sa voix plus que dans le passé sur les problématiques de vie privée, et particulièrement lors du lancement de nouveaux outils et de nouvelles fonctionnalités. Nos produits évoluent en fonction des problématiques que l’on rencontre. Par exemple, il y a encore 5 ou 6 ans, nous connaissions moins de problématiques de grosses fuites de données. Le constat est le même pour le tracking, qui s’est accéléré. Notre navigateur doit s’adapter aux changements d’Internet et protéger l’utilisateur et ses données.
Comment faites-vous pour réussir à répondre à des besoins qui peuvent être différents en fonction des pays, des cultures, des spécificités locales ? Pour faire en sorte que Firefox puisse être bénéfique pour le plus de personnes possibles ?
Il est évidemment difficile de faire un produit global qui conviennent à tous. Mais, nous sommes une organisation totalement distribuée à travers le monde. Mon manager est par exemple basé en Nouvelle-Zélande et les personnes qui composent mon équipe sont basées en Australie, au Japon, en Roumanie, en Californie, en Floride mais aussi en France, en Bretagne, à Lyon et à Grenoble. La diversité en interne mais également au niveau de nos partenaires, nous permet de prendre connaissance de problématiques spécifiques aux différents marchés. En France par exemple, nous travaillons avec la gendarmerie nationale sur certaines questions de cybersécurité.
Firefox est un des navigateurs les plus utilisés dans le monde, nous avons donc des métiers spécifiques. Nos responsables produits évaluent les solutions qui présentent un intérêt de développer ou pas. Ils discutent régulièrement avec des personnes sur le terrain pour mieux comprendre les besoins et la pertinence de certains développements. La difficulté est que beaucoup de demandes ne concernent qu’une fraction de la population, mais elles n’en demeurent pas moins importantes.
Les Français ont-ils un usage différent de Firefox ?
La France est en effet un marché assez spécifique et nous souhaitons parfois développer plus particulièrement certaines fonctionnalités pour les utilisateurs français. La protection contre le pistage n’était par exemple pas activée par défaut, il fallait cocher une case pour la mettre en place. Nous avons remarqué que les Français l’activaient deux fois plus que les autres utilisateurs d’autres marchés. De manière générale, les utilisateurs français et allemands sont plus sensibles aux problématiques de vie privée. C’est beaucoup moins le cas aux États-Unis par exemple.
Il y a d’autres spécificités plus légères. Nous avons en France une très forte diminution de l’activité sur Firefox le week-end et pendant les vacances d’été. Les équipes des autres pays ont souvent du mal à le comprendre, il faut donc leur expliquer le concept de grandes vacances et le fait que nous ne travaillons pas ou peu souvent pendant les congés.
Avez-vous remarqué un enthousiasme plus marqué autour de Firefox ces derniers mois, du fait de l’arrivée sur le devant de la scène de problématiques auxquelles vous vous êtes donné pour mission de répondre ?
Nous avons remarqué de nombreux articles positifs dans la presse sur l’amélioration de Firefox en général. Nous avons beaucoup travaillé ces dernières années sur les performances du navigateur et avons également connu une augmentation du temps d’utilisation de Firefox par nos utilisateurs, ce qui indique qu’ils en sont satisfaits. Globalement, les retours sont très bons, ce qui nous conforte dans nos choix. D’autant que nos concurrents sont Microsoft, Google ou Apple, qui font tous partie des 5 ou 10 plus grandes entreprises mondiales.
Travaillez-vous régulièrement avec ces GAFAM ?
Ne pas travailler avec ces entreprises serait inconcevable. Nous entretenons des relations techniques avec de nombreuses équipes de chez eux mais aussi des relations commerciales, comme nous sommes partenaires sur différents projets. Certaines de nos technologies sont adoptées par nos concurrents, comme par exemple WebAssembly, une sorte de langage JavaScript nouvelle génération qui permet des performances bien meilleures dans le navigateur. C’est le cas également de Rust, un langage de programmation de bas-niveau, qui est utilisé par Google, Dropbox, Facebook et qui va l’être par Microsoft.
Enfin il y a également la question des standards. Nous collaborons beaucoup avec ces entreprises pour faire évoluer ces standards dans une direction qui nous semble la meilleure. Nous faisons donc régulièrement des réunions avec les représentants des différentes structures pour échanger sur les évolutions en cours et à venir. Un site web devrait normalement fonctionner de la même manière quelque soit le navigateur choisi par l’utilisateur. A Mozilla, notre objectif est que les technologies du Web s’améliorent, et donc que nos concurrents adoptent celles qui respectent les internautes.
Quelles sont les principaux outils et fonctionnalités que vous avez lancés dernièrement ?
La première est l’amélioration de la protection contre le pistage que nous avons déployé il y a quelques mois. Depuis juillet, nous avons bloqué mille milliards de trackers sur Firefox. Avec cette solution, l’utilisateur peut voir des informations détaillées à côté de la barre de navigation sur le nombre de trackers bloqués dernièrement ainsi que des informations sur ces derniers. Nous souhaitons vraiment sensibiliser le public sur les questions de vie privée en ligne.
Nous avons également lancé Facebook Container. Cette fonctionnalité permet par exemple de garder Facebook dans un container. Facebook Container est une extension qui utilise une technologie que nous avons développée il y a quelques années appelée “Multi-Container”. Dans sa forme originale, Multi-Container permet de compartimenter votre navigation, en ayant un container travail, un pour les jeux, un pour la navigation perso… Nous avons lancé Facebook Container en mars 2018 dans les jours qui ont suivi le scandale Cambridge-Analytica afin de fournir un outil facile à utiliser pour l’internaute lambda. Voici comment elle fonctionne : Facebook nous traque sur le Web grâce à des traqueurs placés dans les boutons “j’aime” et “partager” ainsi que dans les zones de commentaires ou le système de login fournis par Facebook. Les informations collectées par ces traqueurs sont compilées dans des profils individuels d’internautes qui sont connectés et fusionnés avec le profil utilisateur si la personne a un compte Facebook. Facebook Container empêche Facebook de connecter ces deux profils et donc de savoir que la personne qui était sur ce site est la même personne que celle qui s’appelle X sur Facebook. Ça limite la quantité d’information que Facebook a sur vous. Par ailleurs, grâce à la protection renforcée contre le pistage, Firefox bloque également les traqueurs sociaux répandus sur le Web.
On peut également citer Firefox Lockwise, notre gestionnaire de mots de passe avancé. Il y a une application sur Android et une sur iOS, qui est intégrée dans le navigateur Firefox sur mobile et sur ordinateur. Elle permet de vous dire quand votre mot de passe n’est pas sécurisé et vous proposera d’un générer un qui l’est. Cela permet de ne pas avoir le même mot de passe partout, et de répondre aux contraintes des sites web avec des mélanges de chiffres, de lettres et de caractères spéciaux.
Enfin, côté mobile, la nouvelle version de Firefox pour Android en préparation dont le nom temporaire est Firefox Preview, améliore la sécurité du navigateur. Elle bloque là aussi les trackers par défaut. Et ce n’est qu’un aperçu de nos nouveautés, elles ont été très nombreuses cette année, et nous avons encore beaucoup de fonctionnalités et de services en cours de développement prévues pour l’année 2020.