Interview : EuraTechnologies, 10 ans au service du développement des talents du numérique
Rencontre avec Raouti Chehih, Président du Directoire d’EuraTechnologies, qui revient pour nous sur les 10 ans du Pôle d’excellence économique.
EuraTechnologies, le Pôle d’excellence et d’innovation dédié au numérique de la Métropole européenne de Lille, vient de fêter ses 10 ans. Premier incubateur de start-ups en France, le lieu accueille plus de 300 entreprises et start-ups et a généré plus de 5 000 emplois directs. A l’occasion de cet anniversaire symbolique et de l’Innovation Campus Festival, évènement proposé pendant 8 jours à la fin du dernier mois de septembre, nous avons interrogé Raouti Chehih, Président du Directoire. Il revient pour nous sur les faits marquants d’EuraTechnologies depuis sa création, mais aussi sur ses objectifs et sur les projets qui vont voir le jour dans les prochaines années.
Dans quel contexte s’est monté EuraTechnologies ?
A l’origine de la création d’EuraTechnologies, on retrouve une volonté publique de résoudre un problème du territoire : l’augmentation du taux de chômage, notamment en lien avec la désindustrialisation. A la fin des années 80, alors que de nombreuses usines de textile ferment, les politiques locaux cherchent de nouveaux leviers de développement de l’économie. L’avènement d’Internet dans les années 90 marque un début de réponse, dont s’empare Pierre de Saintignon, un élu visionnaire qui a alors l’idée de créer EuraTechnologies, un outil au service du territoire qui permettra d’accélérer sa mutation économique. Un lieu est alors choisi en 1996, l’ancienne usine de textile Le Blan – Lafont, qui fait plus de 20 000 m². À sa fermeture, 4 000 emplois avaient été perdus. Le choix de ce lieu est porteur de sens : il symbolise le passage du 19e au 21e siècle, donc de l’économie textile au monde du numérique. Il nous faudra alors plusieurs années pour trouver les fonds nécessaires pour le rénover et conduire les travaux, avant de l’ouvrir en 2009.

Quelles sont les étapes marquantes du développement d’EuraTechnologies lors de ces 10 premières années ?
Depuis le départ, l’objectif est de faire émerger des talents dans la région dans le secteur du numérique. Cela passe aussi bien par la formation que par l’accompagnement et la sensibilisation du public à l’opportunité que constitue le numérique en matière d’emploi et de création d’entreprise. Lors de l’ouverture en 2009, nous avons commencé par installer les premières start-ups issues de notre programme d’incubation. Dès 2010, le lieu est plein avec une centaine d’entreprises et plus de 1 200 personnes accueillies ! Elles sont de natures différentes et multiples : des start-ups attirées par notre programme d’incubation ou d’accélération aux grandes entreprises comme Microsoft ou CapGemini. Des universités, écoles et laboratoires sont également présents. Nous avons vite recréé un véritable écosystème local comportant des dimensions formation, économique et recherche.
Notre objectif de départ était de compenser les 4 000 emplois perdus dans le textile. Nous y sommes parvenus, puisque nous avons dépassé les 200 entreprises hébergées et les 4 200 salariés en 2017 ! La croissance continue fortement depuis, et nous adaptons les lieux pour la favoriser. Nous construisons régulièrement des bâtiments sur le site lillois pour permettre d’accueillir plus de monde, et nous avons également ouvert des lieux dans la région pour nous rapprocher d’autres bassins d’emploi et être au plus près de ceux qui créent des entreprises. Un incubateur dédié à la robotique a vu le jour à Saint-Quentin, un sur l’agriculture connectée en pleine zone rurale à Willems, un autre dans le secteur du e-commerce et du commerce connecté à Roubaix… Nous essayons de diversifier notre activité, de la verticaliser pour aller chercher des talents dans le secteur du numérique.
Où en est EuraTechnologies actuellement ?
Nous avons atteint les 300 entreprises, pour un total de 5 200 – 5 300 emplois directs. Indirectement, nous sommes aux alentours de 6 à 7 000 emplois générés. Des entreprises sont nées chez nous, s’y sont développées et ont ensuite poursuivi leur aventure sur la métropole ou dans la région par manque de place.
Nous sommes aujourd’hui une structure capitalisée et privée, mais qui rend l’intérêt général. Nous avons le statut de SEM, société d’économie mixte. Notre actionnariat est composé de structures publiques et de structures privées. Trois banques (le Crédit Mutuel, le Crédit Agricole et la Caisse d’Epargne) et trois actionnaires publics (la région, la métropole et la ville) sont ainsi à notre capital. Nous continuons à travailler sur des dimensions publiques, parce que l’on souhaite faire émerger et croître le territoire, notamment du point de vue du numérique. Nous comptons actuellement une trentaine de salariés. Nos grands domaines d’activités concernent l’accompagnement à l’émergence de start-ups, l’accompagnement également à l’émergence de talents au travers différents programmes de formation dès le plus jeune âge, mais aussi l’évènementiel, avec 570 événements par an dans le secteur du numérique.
Nous avons lancé des activités immobilières pour financer notre croissance, et nous sommes en train de nous diversifier avec un campus de l’innovation de 25 000 mètres carrés qui va s’appeler Wenov. Il va permettre de faire émerger le plus tôt possible des talents pour alimenter les besoins en compétences des entreprises de la région. Nous souhaitons former 2 000 à 2 500 personnes par an.
Nous sommes également en train de créer un fonds d’investissement qui va s’appeler EuraTech Ventures. L’objectif est de rentrer au capital de certaines sociétés. L’idée, globalement, est de dépendre de moins en moins des fonds publics tout en continuant à avoir une vision d’intérêt général.

Quelles sont les priorités d’EuraTechnologies ?
Notre vision est simple : l’économie numérique peut permettre de nombreuses opportunités de développement économique pour un territoire comme le nôtre. Mais pour cela, il faut anticiper, et surtout investir dans la formation, de compétences et de talents. C’est notre priorité depuis le début, c’est de là que tout commence. Les bâtiments, c’est une commodité, trouver de l’argent pour financer une boîte, c’est une commodité, faire un événement, c’est une commodité, la technologie, c’est une commodité. Ce qui n’est jamais une commodité dans ces métiers, ce sont les talents disponibles. C’est eux qui permettent de construire une vraie économie locale, de faire émerger des sociétés avec de vraies visions globales qui vont aller chercher de la croissance.
Quelle est votre vision pour les 10 prochaines années d’EuraTechnologies ?
Trois choses sont essentielles. La première, c’est que pour donner une place à Lille et à sa région, il faut donner une place aux gens. C’est ce que nous essayons tous de faire, que ce soit parmi l’équipe, parmi les actionnaires… Nous souhaitons nous ouvrir au plus grand nombre de personnes, notamment aux gens les plus éloignés de la question du numérique, que ce soit pour leur offrir un emploi ou pour leur permettre de créer une entreprise. Il faut lever les barrières à l’entrée pour permettre au plus grand nombre de pouvoir avoir accès à cette technologie formidable, et de pouvoir développer ces compétences.
Notre deuxième vision porte sur l’accompagnement des grands groupes de la région dans leur transformation digitale. Nous avons notamment beaucoup de retailers dans la région, qui ne nous ont pas attendu pour commencer ce travail. Mais de nombreuses grandes entreprises sont confrontées à ces problématiques et doivent s’adapter aux mutations à la fois technologiques ou commerciales qui leur sont proposées pour pouvoir continuer à être compétitives et survivre. Ces grands groupes sont aujourd’hui très proches de nous, nous nous aidons mutuellement dans ce mouvement global.
Enfin, le troisième point concerne les PME du territoire. Elles sont un rouage essentiel de notre région, et même de notre pays. Que ce soit pour leur processus de fabrication, leur processus de diffusion ou la vente de leurs produits ou services, la question du numérique n’est pas assez souvent abordée. Il y a un manque de connaissances, voire un manque de compréhension ou d’appétence. Il faut que nous réussissions à toucher ces personnes.
C’est la somme de ces trois priorités qui nous permettra d’anticiper et d’éviter les futures crises et les prochaines désindustrialisations en plaçant le territoire et ses habitants comme une place forte au niveau européen et mondial dans ce secteur.
Pour fêter les 10 ans, un évènement d’envergure a été organisé. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous sommes de gens humbles et discrets, nous avons peu fêté les anniversaires successifs. Nous profitons de ces 10 ans pour mettre notre humilité de côté et célébrer nos accomplissements. On peut être fiers de ce que l’on a fait, des résultats que l’on a eu, d’avoir construit de toutes pièces cette belle aventure avec le soutien des pouvoirs publics… Nous sommes un des rares incubateurs en France qui soit rentable, que ce soit financièrement ou du point de vue des activités puisqu’on crée des emplois et des entreprises sur le territoire. Nous avons organisé pendant toute une semaine l’Innovation Campus Festival, qui a été la synthèse de tout ce que l’on a fait pendant ces 10 ans, et qui a été un grand succès.
Le programme a concerné tout le monde : les familles, les enfants, le grand public, les développeurs, les start-ups… Il y a également eu un forum pour l’emploi pour offrir des opportunités à ceux qui en cherchent. Nous avons terminé par un EuraTechDay spécial, qui nous a permis de mettre en avant notre écosystème, nos entreprises, nos entrepreneurs, nos salariés… L’Innovation Campus Festival a été un moment fort de notre année, avec plus de 6 000 participants.
