Interdire l’anonymat sur Internet, une très bonne idée pour uniformiser les pensées

Au détour d’un discours, Emmanuel Macron a prôné « la levée progressive de toute forme d’anonymat ». Une telle décision, loin d’assainir le débat démocratique, pourrait avoir de graves conséquences sur la liberté d’expression – si tant est qu’une telle mesure soit applicable.

L’anonymat sur Internet, cible régulière des dirigeants politiques.

La fin de l’anonymat sur Internet, une fausse bonne idée

Vendredi dernier, face à une assemblée de maires de France, le président de la République a évoqué l’accélération des échanges d’informations dans le monde. Il a loué l’intérêt de « faire circuler l’information véritable » et l’importance de l’expression « non pas anonyme, mais en sachant d’où parle [la personne qui s’exprime] et qui [elle] est ». Il a poursuivi ainsi :

Ce que nous devons réussir à faire d’abord, c’est en quelques sortes une forme d’hygiène démocratique du statut de l’information. Je crois qu’on doit aller vers une levée progressive de toute forme d’anonymat et je crois qu’on doit aller vers des processus où on sait distinguer quand même le vrai du faux et où on doit savoir d’où les gens parlent et pourquoi ils disent les choses.

Emmanuel Macron s’attaque ici à l’anonymat sur Internet – et ailleurs, mais l’anonymat sur Internet est souvent visé car on estime qu’il est plus aisé qu’ailleurs d’y dissimuler son identité. En pesant le pour et le contre, le président de la République est donc arrivé à la conclusion que l’anonymat, et par extension le pseudonymat, étaient plus néfastes que bénéfiques pour la société.

Rappelons tout de même que la plupart des plateformes ont déjà évolué pour mettre davantage en valeur certains messages en fonction de la légitimité de leur auteur : on pense aux algorithmes des réseaux sociaux – mais aussi des moteurs de recherche – ainsi qu’aux petites pastilles permettant de repérer les comptes certifiés sur Twitter, Facebook, Instagram… La distinction entre ces personnes bien identifiées, qu’elles soient physiques ou morales, et l’ensemble des autres médias, permet déjà de « savoir qui sont nos interlocuteurs » quand nous avons réellement besoin de le savoir.

Des contraintes pour l’ensemble des citoyens, justifiées par les abus de quelques-uns

La fin de l’anonymat sur Internet aurait comme conséquence de placer la société sous surveillance : chaque parole pourrait être attribuée à une personne identifiée, qui pourrait avoir à justifier ses paroles si nécessaire. Les citoyens ne pourraient plus s’exprimer librement. Ils ne pourraient plus non plus « jouer sur deux tableaux » en utilisant plusieurs identités. Nombreux sont les internautes qui se connectent sur différents comptes en fonction du message qu’ils souhaitent porter ou des personnes avec qui elles souhaitent échanger. Chacun a le droit de ressentir un sentiment d’appartenance à plusieurs cercles et peut souhaiter que les frontières entre ces communautés restent fermes. Est-ce nécessairement néfaste pour « le débat démocratique » ?

Limiter l’anonymat sur Internet restreindra peut-être, à la marge, la circulation des fake news, car leurs colporteurs prendraient davantage de risques. Les rumeurs en revanche continueront de circuler, via les canaux numériques ou le bouche-à-oreille. Mais surtout, s’attaquer à l’anonymat aurait comme conséquence de réduire la liberté d’expression de tous, sous prétexte des abus de quelques-uns. Ces choix liberticides rappellent ceux effectués lors de l’élaboration de la Loi relative au renseignement promulguée par le gouvernement Valls en juillet 2015. On peut aller relativement loin en réformant ainsi : espérons que l’usage des messageries cryptées par les terroristes ne remette pas en cause la protection des correspondances privées…

Les conséquences d’une société sous surveillance

Dans son discours, Emmanuel Macron a estimé que toutes les paroles ne se valent pas :

Quand on parle de sujets de dépendance, la parole d’un scientifique est plus crédible que la mienne […]. Quand on parle de sujets de transitions environnementales, il faut une parole scientifique qui ne vaut pas la même qu’un simple citoyen. Toutes les expressions sont légitimes mais toutes les paroles ne se valent pas toutes.

C’est particulièrement vrai lorsqu’on s’intéresse aux problématiques du numérique. Mieux vaut consulter des scientifiques qui travaillent rigoureusement sur les effets d’un tel contexte sur la société. Car les conséquences du sentiment de surveillance sur le comportement des citoyens sont connues. Elles ont notamment été mis en lumière par les travaux de Jon Penney (Chilling Effects: Online Surveillance and Wikipedia Use).

Le trafic mensuel de 47 pages Wikipédia sur le terrorisme, avant/après les révélations d’Edward Snowden. Crédit : Jon Penney.

Après les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance des individus par la NSA, beaucoup d’individus ont cessé de visiter les pages Wikipédia sur le terrorisme – comme le montre le graphique ci-dessus. Ils craignaient que ces lectures envoient un signal négatif à l’agence américaine, qui pourrait alors les interpréter comme un signe de radicalisation. La facilité d’accès à l’information et la divergence des points de vue est pourtant une condition essentielle au développement du libre arbitre des citoyens.

Limiter ou interdire l’anonymat aurait simplement comme conséquence de ne plus permettre aux citoyens de s’exprimer ou s’informer librement. Une telle décision ne permettrait pas au débat démocratique de devenir plus sain : il limiterait simplement les divergences d’opinion et le développement du libre arbitre, au profit d’une pensée uniforme et convenue.

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1 commentaire
Commentaire (1)
  • Christophe Stamper

    Internet ne peut pas être en dehors de la société. Il existe des lois qui protègent la population. Contrôler ce qui se fait sur Internet, comme contrôler ce qui se fait dans la vie réelle, est un moyen de faire respecter les lois qui protègent l’ensemble des citoyens et permettent à la démocratie et à la République de prospérer. Il n’y a là aucune atteinte aux libertés fondamentales… La liberté n’autorise pas tout, elle suppose une grande responsabilité !

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