Influence marketing : un an après la loi « influvoleurs », quel est le bilan ?

Le festival Et demain ? a réuni des acteurs du monde de l’influence pour échanger sur les impacts de la loi promulguée il y a un an.

Et Demain Legislation influenceurs
La table ronde, animée par la journaliste Magali Delivet, a réuni la créatrice Imane Bounouh, la responsable d'agence Lauriane Le Texier et l'avocat Alexandre Bigot-Joly. © BDM

Au début du mois de juin 2023, l’Assemblée nationale puis le Sénat ont adopté une loi visant à réguler le domaine de l’influence commerciale. Fruit d’un travail transpartisan, la nouvelle législation ambitionne de fournir un cadre clair aux créateurs de contenus, dont l’image de la profession a été écornée par le scandale « influvoleurs ». Un an après l’adoption de la loi, quel bilan peut-on tirer ? Pour réfléchir à cette question, le Festival Et demain ?, qui s’est tenu les 5 et 6 juin 2024 à Nantes, a invité les principaux concernés :

  • Imane Bounouh : créatrice de contenu, elle gère le compte Instagram @grimpe.fr, qui rassemble plus de 96 000 abonnés et vise à accompagner les « jeunes de milieux populaires » sur les questions d’éducation et de travail. En parallèle, elle exerce également en tant qu’attachée presse.
  • Lauriane Le Texier : fondatrice du média Il était une pub, qu’elle a depuis revendu, elle dirige maintenant l’agence d’influence La Louve & Partners. Elle siège également au comité exécutif de l’UMICC (Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenu).
  • Alexandre Bigot-Joly : avocat spécialisé dans les questions d’influence marketing, de propriété intellectuelle et d’e-réputation, il a fondé le cabinet INFLUXIO Avocats.

La table ronde a été animée par la journaliste Magali Delivet.

Une compilation de règles déjà existantes

Si les trois intervenants s’accordent sur la nécessité de la nouvelle loi, ils reconnaissent également qu’elle ne constitue pas une révolution. Alexandre Bigot-Joly rappelle que la plupart des mesures contenues dans la loi étaient déjà présentes dans diverses sources juridiques.

L’idée de cette loi a été de venir compiler l’ensemble de ces législations qui existaient pour faire un guide, une charte. […] Pour autant, ces règles existaient déjà dans d’autres domaines.

Par ailleurs, les « influvoleurs » ne représentent qu’une minorité dans la profession. Avant même la mise en place de la loi, la plupart des créateurs avaient déjà établi leurs propres règles dans leur relation avec les marques. Par exemple, Imane Bounouh s’est toujours interdit de communiquer sur certains types de produits, tels que les paris sportifs, les produits financiers ou ceux relatifs à la santé, et a toujours pris soin d’indiquer clairement les partenariats. Selon elle, le créateur de contenu doit être « bien intentionné envers sa communauté ». De son côté, Lauriane Le Texier s’appuyait sur les lois déjà existantes et sur les recommandations de l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité), bien qu’elle reconnaisse avoir parfois flirté avec la zone grise à ses débuts, par manque de précaution.

Pour les influenceurs moins rigoureux, les premières sanctions délivrées à l’automne 2023, en vertu de l’ancienne réglementation, ont pu sembler injustes : « il y a des créateurs de contenus qui ont été épinglés par la DGCCRF. Ils étaient parfois étonnés car la loi existait depuis le 9 juin 2023, et qu’ils ont subi des contrôles portant sur des périodes antérieures. Ils étaient surpris que la loi soit rétroactive, mais elle ne l’est pas. Les sanctions applicables et enquêtes diligentées se font sur d’autres fondements juridiques qui existaient déjà au préalable », indique Alexandre Bigot-Joly.

Une loi qui consacre l’influence commerciale

Pour autant, la loi n’a pas été sans effet sur le milieu de l’influence, ne serait-ce que par l’impact que sa médiatisation a eu sur le public, sur les créateurs et sur les marques.

Pour Imane Bounouh, elle a permis de légitimer davantage les créateurs les plus vertueux : « Je ne pense pas que la loi mette des bâtons dans les roues, parce que ça professionnalise davantage le secteur. Les marques savent désormais mieux vers qui se tourner. On catégorise bien ceux qui font n’importe quoi et ceux qui s’imposent une déontologie. » Une analyse à laquelle souscrit Lauriane Le Texier, quotidiennement en contact avec des marques : « Les marques, ça les aide, ça les cadre. […] Par exemple le groupe L’Oréal, aujourd’hui, ne prend que des influenceurs qui ont passé la certification de l’ARPP. » Dans son rôle d’attachée presse, où elle représente des influenceurs, Imane Bounouh constate ainsi une plus grande considération des marques envers les créateurs de contenus : « Je vois que depuis cette loi, les influenceurs ont acquis une meilleure stature. Ils sont considérés comme ayant un vrai métier, ils comptent dans le débat public. »

La nouvelle législation a également intégré des outils pertinents pour réguler les pratiques, y compris l’obligation pour les influenceurs résidant à l’étranger de désigner un référent sur le territoire européen. Une mesure qui engage aussi les marques, passibles de sanctions si elles ne vérifient pas que l’influenceur hors Europe avec lequel elles collaborent dispose d’un référent.

Faire le tri dans les partenariats

Du côté des influenceurs, un des principaux enjeux est donc de faire le tri parmi les demandes de partenariats. Car les sollicitations sont nombreuses et variées : lobbys du tabac et du lait, produits dangereux et parfois même des tentatives d’ingérences étrangères, comme le souligne Imane Bounouh, sollicitée pour faire la promotion du vaccin russe Sputnik durant la crise Covid. À cet égard, Alexandre Bigot-Joly rappelle l’importance de prendre en compte le contexte politique et d’identifier l’acteur derrière la demande :

On a beaucoup de clients qui nous disent « on a reçu, dans le cadre de la campagne électorale, une proposition de campagne pour inciter à aller voter ». Il faut regarder s’il s’agit d’une entreprise, une organisation, un média, etc. Dans un contexte de campagne électorale, on sait que les réseaux sociaux sont un levier d’orientation du vote, notamment auprès des plus jeunes.

Pour accompagner les créateurs de contenus, le comité éthique de l’UMICC a mis en place une charte éthique et déontologique incluant un brand checking, qui répertorie les questions à se poser avant de débuter un partenariat. Dans son agence, Lauriane Le Texier a par ailleurs instauré une règle spécifique pour les produits cosmétiques : ils doivent être testés par le créateur pendant au moins 21 jours avant le lancement de la campagne. Cette précaution, loin d’être une norme dans l’industrie de l’influence, est bienvenue. Dans l’audience, une spectatrice évoque une vidéo récemment publiée par Simon Puech, dans laquelle le Youtubeur – se faisant passer pour une marque – parvient à établir des partenariats avec des influenceurs et des agences afin de promouvoir un produit contenant du poison.

Selon Alexandre Bigot-Joly, la responsabilité des plateformes, actuellement considérées comme de simples hébergeurs de contenu, pourrait aussi être élargie. Il questionne : « Avec les algorithmes, avec la mise en avant de certaines informations, est-ce que des plateformes qui se présentent comme des hébergeurs de contenu ne sont finalement pas elles-mêmes éditrices de contenus ? »

Régulation de l’IA : la prochaine étape ?

L’intelligence artificielle deviendra-t-elle le prochain chantier législatif dans le monde de l’influence ? Pour Imane Bounouh, l’émergence d’influenceurs virtuels, comme Anne Kerdi en Bretagne, devrait rester limitée, car le succès d’un créateur repose en grande partie sur l’authenticité du contenu : « Les influenceurs IA restent une petite bulle. Il y a une influenceuse marocaine suivie par des centaines de milliers de personnes, ça a été un scandale national quand ils ont appris qu’elle n’était pas réelle. Je pense que rien ne remplace la possibilité de se croiser en vrai. » Mais la créatrice concède toutefois que l’usage de l’IA par les créateurs a progressé : « Je sais que certains s’en servent pour la création de contenu, pour avoir de l’inspiration sur des sujets, avec ChatGPT par exemple. »

Pour Alexandre Bigot-Joly, l’incursion de l’intelligence artificielle dans le monde de l’influence soulèvera inévitablement de nouvelles problématiques réglementaires, notamment en termes de droit d’auteur et de droit à l’image.

Il y a de plus en plus d’entreprises émergentes autour de la création de contenus à partir de l’image d’une vraie personne, ce qu’on appelle deepfake […] Aujourd’hui, en mettant à disposition son image pendant 30 secondes, on va pouvoir générer énormément de contenus différents. Il va falloir rémunérer ceux qui mettent à disposition leur image.

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