L’impact de l’IA dans les métiers créatifs : moteur d’idées ou frein à l’originalité ?

Entretien avec Shayan Remtoulah, cofondateur de Your-Comis, qui nous dévoile sa vision de l’impact de l’IA générative sur les métiers créatifs.

Futuristic digital brain with neon circuits, symbolizing artificial intelligence and technology.
"L'IA, c'est un peu notre révolution industrielle", estime Shayan Remtoulah, cofondateur de Your-Comis. © peshkova - stock.adobe.com

L’intelligence artificielle s’impose désormais comme un acteur incontournable du paysage créatif. Capable de produire des visuels en un temps record, elle bouleverse les méthodes de travail et pousse les agences à repenser leur rôle. Mais si la machine sait exécuter, elle ne sait, pour le moment, pas ressentir ; chez Your-Comics, c’est la voie de la complémentarité qui a été empruntée : utiliser la puissance de l’IA pour démultiplier les possibilités artistiques, tout en préservant la vision, l’émotion et la singularité humaine au cœur de chaque projet.

L’IA a bouleversé de nombreux secteurs d’activité depuis sa démocratisation. Qu’en est-il pour les métiers créatifs ?

En fait, je dirais que le secteur des agences créatives est en pleine mutation. L’IA, c’est un peu notre révolution industrielle. C’est comme l’arrivée de la machine à vapeur, un bouleversement qui change tout le paysage. Aujourd’hui, on peut littéralement, depuis notre salon, produire des vidéos dignes d’Hollywood, créer des visuels à une vitesse folle… Tout s’accélère.

Pour nous, chez Your-Comics, ça signifie qu’il faut repenser notre modèle économique. On ne peut plus seulement vendre de la « production » ou de la « création visuelle ». Ces tâches sont de plus en plus automatisées. Notre vraie valeur ajoutée se déplace vers le conseil et l’humain.

C’est devenu crucial de passer plus de temps avec nos clients pour vraiment comprendre leurs enjeux, leurs problématiques. L’IA est un outil fabuleux pour produire, mais elle ne sait pas conseiller. C’est notre rôle d’utiliser notre expérience pour guider le client, de pousser sa créativité plus loin et de lui proposer une solution qui va au-delà de la simple exécution. L’IA est un assistant, mais le créatif reste le cerveau et le cœur du projet.

Au-delà du gain de productivité souvent évoqué, quels bénéfices créatifs concrets observez-vous aujourd’hui ? Chez Your-Comics, comment se répartissent les rôles entre l’humain et l’IA  ?

Absolument, l’IA est bien plus qu’un simple outil de productivité, c’est un véritable compagnon de travail ! Le gain de temps n’est que la partie visible de l’iceberg. Le vrai bénéfice, c’est l’expansion de notre créativité. L’IA nous permet de faire des choses qu’on n’aurait jamais pu faire avant. Par exemple, pour un client qui veut une histoire dans un style de bande dessinée précis, on peut tester des centaines de déclinaisons de ce style en un rien de temps pour voir ce qui fonctionne le mieux.

L’IA, c’est un immense tableau de bord pour l’exploration artistique. Chez Your-Comics, c’est très clair : l’humain est le maître à bord. C’est notre artiste qui a la vision, l’émotion et l’histoire. L’IA, elle, est comme notre boîte à outils. Elle va s’occuper des tâches de fond, comme générer des arrière-plans, des textures, ou même des ébauches de personnages. Mais c’est toujours la main de l’artiste qui vient donner vie à l’ensemble, qui corrige les détails et qui insuffle l’âme au projet.

À l’inverse, quels sont selon vous les principaux risques liés à une utilisation généralisée de l’IA dans la création ?

Alors là, on touche à des questions très profondes, presque philosophiques. Le premier danger, c’est ce que j’appelle l’uniformisation des esprits. Si on se contente d’utiliser les mêmes IA avec les mêmes prompts, on va tous se retrouver avec des images qui se ressemblent.

C’est la mort de l’originalité ! Le deuxième gros point noir, c’est la propriété intellectuelle. On ne sait toujours pas qui est l’auteur d’une œuvre générée par une IA. C’est un vide juridique immense qui pourrait créer des problèmes complexes à l’avenir.

Et puis, il ne faut pas se mentir, l’entraînement de ces modèles consomme une énergie folle. On doit aussi se poser la question de l’impact environnemental de cette nouvelle ère créative.

Avez-vous constaté des réticences ou des interrogations de la part de vos clients concernant l’usage de l’IA dans des projets créatifs ?

Oui, bien sûr. C’est une question qui revient très souvent, et c’est tout à fait légitime.

Beaucoup de nos clients sont curieux, mais certains sont aussi inquiets. Ils se demandent si le résultat sera vraiment créatif ou s’ils auront « une image robot », sans personnalité. En plus de ces interrogations, une autre barrière est le traitement des données. Nous traitons beaucoup d’informations sensibles, et la confidentialité autour de l’IA est encore un sujet opaque. C’est un point de vigilance pour nous.

Notre rôle, c’est de les rassurer en étant totalement transparents. Nous leur expliquons que l’IA est un outil au service de notre créativité, et non un substitut. Nous leur montrons ce qui peut être réalisé sans IA et ce qu’on peut faire avec l’IA. Le client a ensuite le choix entre les deux voies.

Vous soulignez notamment le risque d’uniformisation des créations visuelles induit par l’usage des outils IA. Quelles approches mettez-vous en place pour préserver votre signature graphique ?

Pour éviter de tomber dans la facilité, on a pris une décision radicale chez Your-Comics : c’est toujours l’un de nos artistes qui va concevoir un style sur mesure pour un client, ce qui garantit une création originale et unique. On voit sur le marché des gens qui demandent à l’IA de copier le style de studios iconiques comme Ghibli, mais pour nous, ça n’a pas de sens. Notre signature, notre « patte », passe d’abord par la main de l’humain.

Ça nous coûte du temps et des ressources, mais ça garantit que nos créations restent uniques et reconnaissables. On utilise aussi l’IA comme un complément. On va s’en servir pour des éléments spécifiques, comme générer une texture ou un arrière-plan, mais c’est toujours notre artiste qui donne le coup de crayon final et qui insuffle l’âme et les émotions dans les personnages.

Dans un contexte où l’usage de l’IA tend à se généraliser dans les agences, sur quels leviers miser pour continuer à se différencier ?

La clé, c’est l’expertise humaine, point. On ne peut pas reproduire l’empathie, l’humour, le sens du rythme ou la capacité à raconter une histoire passionnante. Notre force, c’est notre équipe, et c’est ce que nous mettons en avant. Ensuite, on mise sur la pédagogie et la transparence.

À l’horizon 2030, comment imaginez-vous l’évolution des métiers créatifs ? Faut-il repenser la formation des talents, ou plus largement, la manière de structurer un projet créatif ?

Je suis super optimiste. Les métiers créatifs vont être magnifiés, pas remplacés. Le créatif de 2030, ce sera un hybride : à la fois artiste, scénariste, et aussi un expert de l’IA. Il devra non seulement savoir dessiner, mais aussi savoir dialoguer avec la machine, « prompter » avec intelligence pour obtenir le meilleur.

La formation, oui, elle doit être repensée en profondeur. Il faut que les écoles d’art intègrent ces outils, non pas comme une menace, mais comme une nouvelle discipline à maîtriser.

Le projet créatif sera plus rapide, plus itératif, et la magie de l’humain, la vraie créativité, sera toujours au centre de tout.

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Shayan Remtoulah, co-fondateur de Your-Comics

Shayan Remtoulah, diplômé de Sciences Po Paris et de l’Université de Montréal, est le co-fondateur de Your-Comics, une agence spécialisée dans la communication visuelle pédagogique. Il est notamment passionné par la pédagogie, les neurosciences et l’entrepreneuriat.

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