Désengager pour mieux connecter : la stratégie produit de Hinge

Répondre à la demande de l’utilisateur final est une priorité. Hinge l’a bien compris en concentrant sa stratégie vers l’objectif d’une app de rencontre : se rencontrer. Entretien avec son CEO et fondateur, Justin McLeod.

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"L’IA nous aidera à donner le bon conseil, au bon moment." Justin McLeod, CEO de Hinge. © BDM

En marge de VivaTech 2025, BDM a rencontré Justin McLeod, CEO et fondateur de Hinge, une des applications de rencontre les plus populaires en France. L’occasion de comprendre comment la boussole idéologique du dirigeant guide les décisions produit de l’entreprise, que même l’IA ne doit pas bouleverser.

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Justin McLeod, fondateur et CEO de Hinge

Avec un Bachelor of Arts, Mathematical Economics and Political Science, acquis à la Colgate University de Hamilton (NY), et un MBA décroché à la Harvard Business School en poche, Justin McLeod a fondé l’application de rencontre Hinge en 2011, dont il est toujours le CEO près de 15 ans plus tard.

Avec Hinge, vous défendez une approche centrée sur l’utilité plus que sur l’engagement. Comment cela influence-t-il vos décisions produit au quotidien ?

Cela se joue sur les indicateurs qu’on choisit de suivre. On reste très concentrés sur notre « North Star » (boussole stratégique, ndlr), c’est-à-dire les résultats utilisateurs : ce qu’ils et elles viennent chercher sur Hinge, pas nos métriques business. On utilise des indicateurs très « bas de tunnel », comme l’échange d’informations et le passage à un rendez-vous.

Si une fonctionnalité réduit l’engagement mais augmente les rendez-vous, c’est encore mieux.

Par exemple, si vous avez trop de conversations en cours, on bloque les nouveaux likes tant que vous n’avez pas répondu aux personnes déjà matchées (deux personnes qui se likent matchent, pouvant alors engager une conversation, ndlr). Cette fonctionnalité, appelée « À ton Tour » (You Turn Limits en anglais) et lancée en septembre dernier en France, a réduit les matchs de 20 %, ce que beaucoup d’applis auraient refusé. Mais elle a augmenté le taux de rendez-vous de plus de 20 %. Résultat : plus de rendez-vous, moins de temps perdu à discuter avec des gens avec qui il ne se passera rien. Pour nous, c’est une fonctionnalité idéale.

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Hinge a souhaité limiter les matches pour multiplier les rencontres. © Hinge

Après le relancement de Hinge en 2016, certaines mécaniques ont changé. Quelle a été l’idée derrière ce repositionnement et celui-ci vous guide-t-il encore ?

Le plus gros changement, c’est qu’on a changé notre indicateur de référence. Avant, nos investisseurs nous demandaient nos taux d’engagement, le temps passé dans l’appli, les sessions par jour… On a basculé vers une autre question : est-ce que les gens se rencontrent vraiment ? On est aussi passés du swipe sur photos uniques au format actuel, et ça a doublé le nombre de rendez-vous.

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Hinge a pris ses distances avec les interfaces classiques des applications de rencontre. © Hinge

Et surtout, on a cessé de suivre la concurrence. On ne joue plus ce jeu, donc on prend d’autres directions. Résultat : notre produit a évolué différemment et nos performances aussi. L’année dernière, Hinge a connu une croissance de 40 %, alors que le reste du secteur était à l’arrêt, avec une forte pénétration en France et dans l’Europe de l’Ouest.

Votre slogan est « Designed to be deleted ». Comment mesurez-vous précisément si cette mission est remplie ?

On utilise notamment l’enquête Avez-vous rencontré cette personne ? (We Met, ndlr), qui nous donne une bonne idée. Quand on teste une fonctionnalité, on regarde surtout si les gens échangent leurs infos et passent à un rendez-vous. On mesure aussi la qualité des rendez-vous. Environ trois quarts des gens disent, via l’enquête We Met, qu’ils aimeraient revoir la personne. C’est un taux de succès très élevé selon moi. Et quand quelqu’un supprime l’appli, on demande pourquoi : rencontre sur Hinge, ailleurs, pause, abandon… Ça nous aide à comprendre où en sont les utilisateurs et utilisatrices.

Vous avez déclaré que l’IA ne doit pas remplacer la connexion humaine, mais aider à mieux s’exprimer. Comment cela se traduit-il dans Hinge ?

Si une IA peut nous coacher et nous aider à mieux nous connecter, je suis pour. Si elle s’interpose entre deux personnes, pour créer un attachement émotionnel artificiel, c’est non.

On a par exemple lancé un outil de retour sur les prompts (ces petites phrases et orientations aidant à se décrire ou engager la conversation, ndlr), appelé Prompt Feedback et lancé en France en avril. On a entraîné un LLM sur des réponses aux prompts qui mènent à des rendez-vous. Il peut suggérer d’aller plus loin lorsqu’une réponse semble trop vague ou peu originale : « Pourquoi ce sujet compte pour vous ? » ou « Quel type de cuisine ? Où ? Avec qui ? » L’idée, c’est d’aider les gens à mieux se raconter.

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Si l’IA détecte que votre « prompt » peut être amélioré, elle vous le dira. © Hinge

Beaucoup de gens choisissent aussi les mauvaises photos. On veut éviter qu’ils se tirent une balle dans le pied dès le départ (rires) !

Comment vous assurez-vous que l’IA reste un outil et ne devient pas un intermédiaire ?

Chez Hinge, on se considère comme un coach. Pas comme quelqu’un qui fait les choses à votre place. C’est à l’utilisateur ou l’utilisatrice de vivre l’expérience de la rencontre. Nous, on fournit des outils utiles, dans cette logique de coaching.

Si quelqu’un va chercher sa première phrase sur ChatGPT… est-ce que c’est si grave ? Avant, on demandait conseil à ses amis, ou on lisait un livre. Mais à la fin, il faut quand même aller au rendez-vous ! J’ai beaucoup d’empathie pour ceux qui ne se sentent pas à l’aise avec la rencontre en ligne.

Mais remplacer ou déplacer la connexion humaine, c’est la principale limite à ne pas franchir.

On réfléchit aussi à la transparence, aux biais dans nos algorithmes de recommandation, à la randomisation… Il faut éviter que les utilisateurs et utilisatrices tournent en rond dans un tunnel algorithmique. Tout repose sur les principes de l’entreprise. Si votre « North Star », ce sont les bons rendez-vous, vous restez dans la bonne direction. Si vous cherchez juste à capter du temps passé, alors oui, vous allez intégrer un chatbot pour retenir l’utilisateur. Mais ce n’est pas notre but.

Comment Hinge gère les comportements problématiques comme les faux profils ou le harcèlement ?

Dès qu’on peut automatiser avec une bonne précision, on le fait. Sinon, on passe par la modération humaine.

Par exemple, si un message est potentiellement offensant, on le bloque dès la saisie avec une alerte : Êtes-vous sûr(e) ? Pas besoin d’attendre un signalement.

Je pense que Hinge n’a jamais été aussi sûr. Et ça, c’est grâce à une modération proactive.

Comment évitez-vous de créer des mécaniques addictives ou de rétention ?

Quand votre « North Star », ce sont les résultats utilisateurs, pas besoin de mille garde-fous pour éviter les dérives. Si on envoie les gens à de bons rendez-vous, ils en parleront autour d’eux, ils auront plus envie de s’abonner, et le business suivra… Peut-être moins vite à court terme, mais plus sainement à long terme.

Intégrez-vous des réflexions éthiques dans vos sessions produit ?

C’est ancré dans la culture de Hinge. Le slogan « Designed to be deleted » est presque une religion. On est 350, et n’importe qui dans l’équipe signalerait une fonctionnalité qui n’est pas alignée avec nos principes.

Vos campagnes publicitaires récentes mettent en avant des histoires vraies. Quel impact cela a-t-il sur votre produit ou votre communauté ?

C’est notre état d’esprit global. On veut sortir des images idéalisées de l’amour. Montrer du vrai, du brut. On veut que les gens aient des attentes réalistes, pas une vision marketing de la romance. Et rien ne transmet ça mieux que les vraies histoires, issues de vrais utilisateurs et utilisatrices Hinge, dans toute leur diversité.

Comment imaginez-vous l’avenir des apps de rencontre ? Comment Hinge s’y prépare ?

Encore une fois : tout part des résultats utilisateurs. Mais oui, l’IA va transformer les rencontres, encore plus que le mobile ne l’a fait. D’abord dans le matching : on pourra proposer des rencontres plus nuancées, plus intelligentes, basées sur vos valeurs, votre personnalité, vos attentes. Et expliquer pourquoi on vous propose cette personne. Ça peut faire une vraie différence.

Ensuite, dans le coaching. Un bon matchmaker passe beaucoup de temps à coacher, pas juste à matcher. Clarifier ce qu’on veut, se présenter correctement, gérer ses attentes. On a beaucoup de savoir-faire en interne chez Hinge. L’IA nous aidera à donner le bon conseil, au bon moment.

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