Fracture digitale : comment faire du numérique un levier d’inclusion professionnelle ?
Les nouvelles technologies numériques sont sur toutes les lèvres et suscitent l’engouement des médias. Paradoxalement, l’arrivée du numérique dans le quotidien peut être un véritable frein pour certaines personnes, voire un facteur d’exclusion, même sur les activités qui nous semblent aujourd’hui si simples. Pourtant, déclarer ses impôts en ligne n’est pas une évidence pour tous, et ce n’est pas parce qu’on navigue régulièrement sur Facebook ou Snapchat que l’on est sensibilisé aux avancées du numérique. Angelina Lamy de la Fondation Accenture, Jean-Christophe Arnaune de Access Inclusive Tech et Élodie Salin, responsable formation et partenariat à l’école Simplon, sont intervenus dans le cadre du Web2Day pour évoquer les solutions dédiées à une meilleure insertion professionnelle des profils les plus fragiles sur la question du numérique.
6 millions de Français ne sont pas connectées
Les chiffres sont évocateurs. Plus de 13 millions de personnes en France ont un accès restreint ou inexistant des technologies numériques. On estime aujourd’hui que 2 millions de français n’ont pas d’adresse mail, 6 millions de personnes ne sont pas connectées en France et près de 74% des jeunes de moins de 25 ans s’estiment fragiles numériquement. Même chez les populations actives, 8% considèrent leurs compétences numériques très limitées. Pour Angelina Lamy, « le numérique peut être exclusif et dangereux », surtout dans un contexte où les services les plus essentiels tendent à se numériser.
Des métiers de plus en plus digitalisés
Sur la question de l’emploi, les enjeux sont également très forts. Plus de 190 000 emplois dans le numériques seront à pourvoir en 2022, mais 58% des jobs requerront de plus grandes compétences numériques qu’aujourd’hui. Pour les personnes fragilisés, exclues du cercle numérique, il faut agir maintenant. Comment parvenir à coupler ces opportunités d’emplois dans le numérique avec ces 13 millions qui sont complètement éloignées de ce secteur. Angelina Lamy dessine donc différentes étapes de mise en place d’aides à ces personnes pour améliorer leur employabilité dans le numérique et favoriser l’inclusion :
- L’inclusion doit d’abord être sociale : les services numériques basiques comme la déclaration d’impôts, l’accès aux services administratifs tels que Pôle Emploi etc. doivent être accessibles au plus grand nombre. Or, quand on sait qu’une partie de la population n’a pas d’ordinateur ou de connexion internet, la tâche se révèle ardue. Des institutions publiques œuvrent pour former ces personnes dans leurs démarches administratives numériques.
- Une fois que les personnes exclues acquièrent les compétences et le matériel nécessaires, l’inclusion numérique passe également par l’emploi. Des écoles, associations et centres de formations comme Simplon et Access permettent à des personnes sans qualification d’accéder à ces métiers. Les établissements forment et permettent d’être embauché dans le secteur du numérique. « Du fait de l’évolution du marché de l’emploi qui n’est plus linéaire mais plutôt circulaire, nous sommes plus enclins à exercer plusieurs emplois dans notre vie », détaille Angelina Lamy.
- La troisième phase concerne donc ce maintien dans l’emploi. Le secteur du numérique évolue en effet très vite. Les technologies associées sont toujours plus optimisées, les usages changent constamment. Là, il convient donc de trouver des solutions pour ces personnes, leur donner des clés et des compétences pour leur apprendre à veiller et se mettre à jour régulièrement sur les dernières tendances.
Comment rendre ces jobs numériques plus accessibles aux plus démunis ?
Pour offrir aux personnes exclues des opportunités de carrière dans le secteur, l’école Simplon s’engage à les accompagner durablement dans leur parcours professionnel. Simplon est une entreprise de l’économie sociale et solidaire qui contribue à ce que le numérique soit un levier d’inclusion sociale. Cela se traduit par 3 leviers :
- Accompagner le grand public (enfants, espaces semi ruraux, quartiers, seniors, bénéficiaires du RSA).
- Accompagner les entreprises de l’économie sociale et solidaire dans leur transition digitale. Les outils digitaux peuvent aussi contribuer à offrir des services de qualité auprès d’une population exclue numériquement.
- Professionnaliser et former les publics les plus fragiles comme les demandeurs emploi, les jeunes, les personnes n’ayant pas accès à internet – ainsi que les populations salariées en transition professionnelle.
« Nous comptons près de 1200 personnes formées en 5 ans, 40 fabriques en France mais aussi à international. Nous avons un modèle assez particulier puisque notre idée est d’accompagner l’essaimage, des porteurs de projets sur les territoires, en offrant notre méthodologie pour qu’ils puissent à leur tour former des personnes fragiles. Nous avons une intention très forte à l’inclusion du public éloigné comme les femmes. Nous arrivons à accueillir plus de 30% de femmes, ainsi que des réfugiés dans les promos et une grande variété d’âges. »
De son côté, Access Inclusive tech présidée par Jean-Christophe Arnaune a pour ambition de mettre le numérique au centre des activités et de donner des vrais parcours professionnalisants. « Le numérique est un champ d’apprentissage gigantesque. Les opportunités de monter en compétences sont multiples et très intéressantes », indique-t-il. Créé en octobre 2016, Access compte 25 salariés en parcours.
Comment faciliter l’accès à l’emploi ?
Pour Élodie Salin de l’école Simplon, le meilleur moyen de bien préparer les nouveaux profils est de les faire travailler avec l’entreprise. Dans certains cas ce n’est pas compliqué : il y a des entreprises qui sont convaincues par l’intérêt de la détection des nouveaux talents et de la mixité. Les profils aux qualifications inférieures sont pour elles une manière de repérer des talents et des comportements différents. Il y a d’autres entreprises qui sont moins convaincues : dans ce cas, l’école Simplon travaille avec elles en amont et les aide dans la détection des talents et des aptitudes. Les entreprises ont en effet d’énormes besoins dans ces métiers du numériques, et le regard ne va pas forcément se porter sur des parcours ou des profils qui ne sont pas issus d’une formation ingénieur etc.
Toutefois, les entreprises ont aujourd’hui besoin de compétences transversales. Pour certaines missions et projets, les entreprises n’auront pas besoin de recruter les compétences d’ingénieur. De leur côté, en tant que profils très demandés, les ingénieurs ne vont pas montrer d’intérêt pour des missions sans réel challenge ou problématiques qui ne sont pas à leur niveau. Les entreprises expriment donc un besoin plus orienté vers la capacité à interagir avec d’autres équipes, des métiers ou des expertises plutôt que des compétences purement techniques.
De ces besoins naît une méthodologie d’apprentissage chez Simplon, basée sur l’expérience concrète. « On passe par des process, par le faire, on effectue une recherche emploi collective et quelques entretiens individuels pendant le parcours. Chez nous, les apprentis développeurs codent dès le premier jour, on favorise le « learning by débrouillez-vous », sourit-elle. « Il faut savoir jongler entre le fait de les pousser à être autonome et rester à la fois dans la bienveillance et l’espace d’apprentissage constructif. » Chez Simplon, plus de 60% des apprenants ont un niveau bac ou inférieur. L’école compte plus de 70% d’insertion professionnelle.
Inclusion professionnelle : comment faire le lien pour travailler en entreprise ?
Pour Jean-Christophe Arnaune, le numérique est un levier d’inclusion professionnelle dans le modèle de l’entreprise tremplin. Le salarié effectue ses prestations chez le client : il travaille donc en open space avec ses collaborateurs. Access octroie de plus un accompagnement social et professionnel personnalisé. « Nous sommes souvent face à des personnes dont le parcours de vie est compliqué : décrochage scolaire très tôt, personnes à mobilité réduite qui n’ont pas pu trouver d’emploi, nous avons également des migrants ou réfugiés, ou simplement des personnes avec une longue période de chômage », détaille Jean-Christophe Arnaune.
« Nous faisons donc en sorte qu’il y ait un accompagnement social pour les personnes qui en ont besoin. Des assistantes sociales rencontrent les apprenants et font en sorte de régler tous les problèmes personnels (pauvreté, handicap, dépendance, etc.) pendant la formation. »
Pour ce qui est de l’accompagnement professionnel, les apprenants voient comment rédiger un CV, une lettre de motivation, un projet professionnel etc. La fin de la formation approchant, les apprenants effectuent une recherche d’emploi pour sécuriser la sortie ou trouver une autre formation. Malgré son jeune âge, l’association Access compte parmi ses clients des grands comptes, permettant ainsi d’ancrer sa légitimité. Des tests sur des projets de service à la personne sont en cours avec EDF, le Ministère des Finances ou encore Engie. Certains travaillent également sur le support utilisateurs chez Pôle Emploi. « Tout l’enjeu est de bien définir les activités accessibles à des gens dont les compétences sont restreintes, explique Jean-Christophe Arnaune. On va recruter sur un potentiel, sur les capacités à faire les activités proposées. Nous avons des personnes qui ont besoin de se construire une confiance. » Pour cela, Access a identifié des activités accessibles à tout un chacun dans le domaine du numérique, afin de permette une progression le long du parcours.
De leur côté, les entreprises perçoivent la valeur ajoutée qu’offrent ces nouveaux profils. Les sociétés font en effet face à une pénurie des ingénieurs et des experts informatiques. elles ne peuvent pas se permettre de faire appel à eux pour des missions dites basiques, qui n’intéressera pas les profils hautement diplômés. Il y a de la place pour ces techniciens du web aux qualifications certes plus modestes mais avec des aptitudes et des compétences de plus en plus demandées par les entreprises. Une fois sortis de ces formations, les apprenants s’orientent régulièrement vers des cursus supérieurs pour parfaire leurs compétences.
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