« Focus client, excellence des équipes et rapidité » : la méthode Shashi Upadhyay (Zendesk)
À la tête du produit, de l’ingénierie et de l’IA chez Zendesk, Shashi Upadhyay mène la transition vers l’IA agentique avec une méthode claire : obsession client, exécution rapide et scalabilité. Entretien.

Chez Zendesk, l’IA agentique structure désormais la stratégie produit. Shashi Upadhyay, President of Product, Engineering and AI, incarne un profil rare, passé par le monde des startups et de la big tech, et aujourd’hui à la tête d’une vaste branche de 2 000 personnes. Alors que Zendesk a récemment annoncé une série de nouveautés sur l’IA agentique appliquée à l’expérience client, il détaille comment cette transition s’opère concrètement à grande échelle, fort de sa riche expérience.

Shashi Upadhyay, President of Product, Engineering and AI, Zendesk
Nommé en décembre 2024 au poste de President of Product, Engineering and AI chez Zendesk, Shashi Upadhyay conjugue des expériences à succès dans l’écosystème startup – avec la création de Lattice Engines en 2006, racheté par Dun & Bradstreet et introduit en bourse – comme dans celui de la big tech, après 3 ans et demi passés chez Google, où il occupait le rôle de GM/VP des produits publicitaires de la firme.
Vous avez été fondateur, vous avez travaillé dans une grande entreprise tech, et vous dirigez aujourd’hui les produits dans une structure B2B mature. Comment ces expériences façonnent-elles votre manière de construire un produit ?
Je vais commencer par la startup. J’ai fondé Lattice Engines, qui a été rachetée par Dun & Bradstreet, et le groupe combiné est ensuite entré en bourse. Donc j’ai fait tout le parcours, de la création jusqu’à l’IPO.
Dans une startup, la première chose qu’on apprend, c’est une émotion : la peur constante de l’échec.
Dans une startup, la première chose qu’on apprend, c’est une émotion : la peur constante de l’échec. Si on se trompe, l’entreprise meurt, et toutes les personnes qui ont misé sur nous en pâtissent. Cette peur, mêlée à l’optimisme de construire quelque chose de grand, devient une part de vous.
Pour y faire face, on fait trois choses : on écoute très attentivement les clients, on recrute les meilleures personnes possibles, et on agit très vite. C’est profondément ancré en moi maintenant.
D’une grande entreprise tech, j’ai appris à fonctionner à l’échelle.
D’une grande entreprise tech, j’ai appris à fonctionner à l’échelle. On ne peut pas tout inspecter, on ne connaît pas tout le monde. Il faut focaliser l’organisation sur quelques priorités clés, tout en gardant cette même paranoïa autour des clients, du talent et de la vitesse.
Zendesk, pour moi, c’est un mélange parfait. La transition vers l’IA donne l’impression d’une startup, avec une opportunité énorme qui démarre modestement, mais avec les ressources d’une grande entreprise. Pas aussi massive que la big tech, mais suffisamment pour agir. Et pas assez grosse pour devenir lente.
Donc encore une fois : focus client, excellence des équipes et rapidité. C’est ma philosophie.
Vous supervisez produit, ingénierie et IA. Comment alignez-vous ces trois fonctions autour d’un même objectif d’impact et de simplicité ?
Oui, environ 2 000 personnes au total, dont 300 qui travaillent uniquement sur l’IA. Quand je suis arrivé, il y a sept mois, ma priorité a été de montrer à l’entreprise à quel point l’IA allait être déterminante. Tout le monde n’était pas forcément convaincu. Zendesk était une société SaaS traditionnelle, très performante, mais avec une importante marge de progession du côté de l’IA. Donc on a commencé à faire évoluer les choses. D’abord en allouant les ressources humaines : on est passés de quelques personnes à plusieurs centaines à plein temps sur l’IA.
Ce qui compte, ce sont les résultats pour les clients, pas le nombre de licences.
Deuxièmement, dans une grande organisation, il faut une liste courte de priorités, et la répéter jusqu’à en être soi-même lassé. C’est à ce moment-là que les autres commencent à l’intégrer. Je répète : l’IA est clé. On passe d’une société SaaS à une entreprise IA. Ce qui compte, ce sont les résultats pour les clients, pas le nombre de licences.
Troisièmement : requalification. On investit beaucoup pour que nos équipes deviennent orientées IA. Quatrièmement : focus extrême sur le client. Cinquièmement : attaquer les marchés qu’on a déjà sous la main. Par exemple, les services employés. J’ai décidé d’en faire une priorité.
On a aussi fait des acquisitions, comme Local Measure, pour renforcer notre plateforme CCaaS.
Tout cela repose sur la répétition constante de cinq ou six messages. Soit les gens s’alignent, soit on recrute celles et ceux qui croient à cette mission.
Les LLM évoluent plus vite que les cycles de développement classiques. Comment concevez-vous la roadmap produit dans ce contexte ?
C’est la technologie la plus rapide que j’ai jamais vue. En interne, on avait prévu que certaines capacités agents à agents prendraient 18 mois… Elles sont arrivées presque immédiatement. La couche des modèles évolue le plus vite. OpenAI, Anthropic, Google, DeepSeek… chacun prend l’avantage dans des domaines différents. Ces entreprises ont les moyens de continuer pendant dix ans s’il le faut.
On laisse les clients choisir le meilleur modèle à un moment donné.
Donc nous, on abstrait cette couche. On laisse les clients choisir le meilleur modèle à un moment donné. 0n se concentre sur les cas d’usage. Lesquels créent le plus de valeur ? Ensuite, on choisit le modèle qui fonctionne le mieux pour ce cas-là, à ce moment-là.
On a mis en place un très bon pipeline d’évaluation. On fait du backtesting, on adapte le modèle à la tâche, aussi vite que possible. Si on s’attache trop à un seul modèle, on se trompe. Donc on est agnostiques côté modèle, focalisés sur l’usage.
Sur les méthodes de travail : c’est comme le passage de Waterfall à Agile. Maintenant on passe à autre chose. On pousse de petites équipes à tester de nouvelles approches. On leur donne accès à des outils comme GitHub Copilot, Kodium, etc. On ne leur impose rien. Cette liberté facilite la transition.
Comment distinguez-vous une bonne idée d’un produit qui mérite d’être industrialisé ?
Quand c’est une vraie bonne idée, ce sont les clients qui vous arrachent le produit des mains. Même si le produit n’est pas finalisé, ils s’en emparent et l’adaptent.
On a eu un exemple clair chez Zendesk : notre produit pour les services internes est né ainsi. Des clients ont utilisé notre produit CX pour des cas RH ou IT. Ils l’ont détourné eux-mêmes. On a observé ça, puis on a construit autour.
Il faut repérer ce que les clients essaient de faire seuls.
Il faut repérer ce que les clients essaient de faire seuls : bricolages, contournements, devs maison… Si tout le monde crée un chatbot lui-même, c’est qu’il y a un besoin massif. À nous d’y répondre. Donc : être très proche des clients. Le signal est souvent évident.
L’IA est souvent vue comme un outil d’efficacité. Peut-elle aussi permettre de se démarquer dans un marché saturé ?
Oui, sans aucun doute. Le vrai pouvoir de l’IA, ce n’est pas juste l’efficacité, c’est de rendre les clients plus satisfaits. Exemples simples : support 24h/24, réponses instantanées, ton constant, pas d’humeur… Et supprimer une frustration classique : devoir répéter son problème à chaque interlocuteur.
L’objectif est que le client n’appréhende plus de contacter une entreprise.
L’IA peut enlever cette friction. Même dans des marchés très concurrentiels, il y a de la marge d’amélioration. Le scénario idéal, c’est l’IA qui gère toute l’expérience, et dès qu’elle atteint ses limites, un humain prend le relais immédiatement. L’objectif est que le client n’appréhende plus de contacter une entreprise. On en est loin aujourd’hui, et l’IA peut vraiment faire la différence.
Quelle est votre position sur les biais, la transparence et la responsabilité dans les systèmes IA ?
Le fournisseur doit être responsable. Hallucinations, réponses absurdes… Ce sont des problèmes connus. Quand on construit sa propre solution, on y est confronté très vite. Un fournisseur doit être expert du domaine.
On promet une IA bien entraînée dès le premier jour.
Nous, on se concentre uniquement sur le service client. Pas de distraction avec le marketing ou la vente. On forme notre IA exclusivement sur ce domaine. Elle ne partira pas dans des digressions. On promet une IA bien entraînée dès le premier jour. Vous pouvez l’améliorer avec vos données, mais la base est déjà solide.
Donc oui, la responsabilité incombe au fournisseur. C’est pour ça qu’on dit : ne le faites pas vous-mêmes ! Laissez-nous faire. C’est notre métier.
Comment maintenir un haut niveau technique sans ralentir la vitesse ou l’expérimentation ?
Ce n’est pas un choix, c’est une question de contexte. Sur les domaines établis (infrastructure, latence), on utilise des approches structurées. Mais quand on construit pour des humains, où les goûts, les comportements changent, il faut itérer vite.
Je ne veux pas d’itération sur la sécurité. Mais j’en veux beaucoup sur les interactions IA/humain : ton, réactivité, etc. Donc chez nous, certaines équipes sont très processées, d’autres sont des laboratoires d’expérimentation.
Avez-vous noté un changement d’attente sur le design produit, dans la façon de gérer automatisation, personnalisation et contrôle ?
Oui, et l’IA rend ces équilibres plus faciles que jamais. Avant, personnaliser et scaler étaient en conflit : la personnalisation demandait de l’humain, le scale exigeait l’uniformité. Ce compromis disparaît. L’IA peut détecter l’intention, personnaliser à grande échelle et agir. On peut faire les deux à la fois, sans compromis.
Quels sont les signes qu’une IA est bien intégrée dans un produit ? Et à l’inverse, comment repérer une intégration ratée ?
Une IA bien intégrée est invisible. On ne la remarque pas. Elle fonctionne simplement. À l’inverse, une IA mal intégrée se voit : c’est maladroit, déconnecté. Comme si on avait ajouté une pièce médiévale à une ruine romaine. Aujourd’hui, beaucoup d’expériences IA ressemblent à ça.
Demain, les applications répondront en langage naturel. « Montre-moi les 20 derniers tickets rouges », et ça apparaîtra. C’est déjà faisable. Donc : invisible = bien intégré.
Pour une entreprise CX qui débute avec des produits IA, quel conseil donneriez-vous ? Et quelle erreur faut-il éviter ?
Il faut d’abord savoir quel indicateur on veut améliorer. Dans le support client, les fondamentaux ne changent pas : résoudre le problème, vite, dans une bonne expérience, et obtenir une recommandation. Le reste, taux de déviation, etc., c’est secondaire. Donc, partez de ces objectifs, mesurez votre base, puis voyez si l’IA améliore ces indicateurs.
Beaucoup de produits échouent car ils ne savent pas ce qu’ils cherchent à faire. Ou ils choisissent le mauvais problème. Par exemple : vouloir uniquement l’efficacité. On peut être très efficace… en ne faisant rien. Mais ce n’est pas le but. Le but, c’est l’efficacité avec la satisfaction client. Si vous partez de là, tout le reste n’est que mise en œuvre.