Le Fediverse expliqué : l’avenir des réseaux sociaux sera-t-il décentralisé ?
Fédération de médias sociaux décentralisés interopérables, le Fediverse veut s’affranchir de la dépendance aux grandes plateformes en offrant plus de liberté à ses utilisateurs.

Le Fediverse est-il capable de chambouler le paysage des réseaux sociaux ? Ce concept, nommé d’après les contractions de « Federation » et « Universe », donne la possibilité aux utilisateurs de différentes plateformes sociales de communiquer et d’interagir entre eux. Il est construit autour de logiciels libres, hétérogènes, mais utilisant un protocole d’échange commun – ActivityPub – leur permettant de se « fédérer ». Le but : fournir une alternative aux réseaux sociaux centralisés, qui créent une dépendance des utilisateurs aux éditeurs des plateformes.
Le Fediverse, qu’est-ce que c’est ?
Le Fediverse se présente comme un réseau décentralisé de serveurs indépendants, hébergeant chacun une plateforme de médias sociaux ou un service de communication. Contrairement aux réseaux sociaux centralisés comme Facebook ou X, où toute la gestion est laissée à une seule entreprise, le Fediverse est composé de nombreux serveurs distincts, souvent gérés par des individus ou des communautés. Chaque serveur peut exécuter différents logiciels, mais ils sont tous capables de communiquer entre eux.
Le Fediverse est un ensemble interconnecté d’applications qui peuvent toutes lire et écrire le même contenu.
Pour comprendre le Fediverse, il faut en définir la structure et les différents éléments qui la composent. On note deux principes centraux :
- Le protocole : le Fediverse est une collection de sites ou de plateformes qui communiquent entre eux. C’est le protocole ActivityPub – que l’on peut décrire comme un langage commun – qui permet cette communication, en définissant comment les messages sont échangés, comment les utilisateurs peuvent interagir les uns avec les autres. Il assure que ces interactions peuvent se produire même entre des plateformes différentes.
- Les instances : ce sont les différentes plateformes ou serveurs qui constituent le Fediverse. Chaque instance représente une communauté ou un espace unique avec ses propres règles et utilisateurs, mais grâce au protocole commun, ces instances peuvent communiquer et interagir les unes avec les autres.
En d’autres termes, dans le Fediverse, le protocole est la langue commune qui permet la communication entre les instances, c’est-à-dire les plateformes et leurs communautés au sein de ce monde. D’autres protocoles existent, et des ponts peuvent être créés entre chacun d’eux. Ainsi, il est possible de transposer grossièrement le principe du Fediverse à celui des boîtes email : nous avons tous des instances différentes (Gmail, Outlook, etc.), mais toutes sont capables de communiquer entre elles.
Qui est présent dans le Fediverse ?
Dans le Fediverse, on retrouve différentes plateformes sociales. La plus connue est sans doute le réseau de microblogging Mastodon, similaire à X. Mais on en compte bien d’autres, dans des styles similaires aux réseaux centralisés plus connus. Parmi ces plateformes, on peut citer pour :
- Le microblogging « à la Twitter » : Mastodon, Firefish, Pleroma, GoToSocial…
- La vidéo « à la YouTube » : PeerTube…
- Le blogging visuel « à la Instagram » : Pixelfeld…
- Les médias sociaux « à la Facebook » : Friendica…
- Le blogging : WordPress, Drupal…
- La musique « à la Spotify » : Funkwhale…
- Le foruming « à la Reddit » : Lemmy…
- Le partage de fichiers : NextCloud…
Ces plateformes sont les plus connues à faire partie du Fediverse, mais il en existe bien d’autres. Certaines d’entre elles ont également pour but de réunir plusieurs fonctionnalités d’autres réseaux en un seul espace, comme Hubzilla.
Dans la pratique, comment fonctionne le Fediverse ?
Mais alors, quel est l’intérêt de cette fédération de serveurs pour les utilisateurs ? Le Fediverse est « conçu pour que les différents types d’instances, souvent spécialisés dans la diffusion d’un format de médias, puissent échanger de façon transparente », peut-on lire sur Wikipédia. Ce qui implique qu’un contenu issu d’une plateforme du Fediverse peut être partagé sur une autre. Vous pouvez ainsi interpeller un utilisateur d’une instance à l’autre.
Par exemple, il est tout à fait possible de partager une vidéo créée avec PeerTube, un audio depuis Funkwhale, une image de Pixelfed ou un article WordPress dans un fil de discussion Mastodon ou Pleroma. La réciproque est également possible, permettant, depuis Mastodon ou Pleroma par exemple, de commenter le média partagé. Le commentaire sera alors visible sur l’instance du média, mais aussi sur les instances l’ayant partagé.
Ainsi et en guise d’exemple, si vous êtes inscrit sur un serveur Mastodon, vous pouvez interagir avec des utilisateurs PeerTube et ce, depuis Mastodon. Vous pourrez suivre des personnes, partager leurs contenus, commenter, peu importe sur quelle plateforme ces utilisateurs se trouvent. D’ailleurs, on remarque facilement cette interconnectivité, notamment via le nom d’utilisateur, souvent composé de cette manière : @utilisateur@instance. Une dénomination que vous avez déjà pu rencontrer sur Mastodon, se traduisant par des comptes comme @bdm@mastodon.social, ou encore @bdm@piaille.fr, le serveur Mastodon francophone.
Quel est l’intérêt du Fediverse ?
Décentralisation, personnalisation et interopérabilité
Le Fediverse offre plusieurs avantages uniques pour les utilisateurs, comparativement à des réseaux sociaux centralisés. Bien sûr, il réduit la dépendance à une seule entreprise ou infrastructure, tout en diminuant les risques de censure centralisée ou de fermeture de la plateforme. Et, comme nous avons pu le voir précédemment, grâce à son protocole standardisé, le Fediverse permet aux utilisateurs de différentes plateformes d’interagir les uns avec les autres. Ce réseau étendu ainsi créé permet parallèlement aux utilisateurs de rester sur la plateforme de leur choix, sans avoir à s’inscrire via de multiples comptes comme sur chaque réseau centralisé.
Mais l’un des points clés du Fediverse réside en la possibilité de concevoir des instances personnalisées. Chaque serveur peut ainsi avoir ses propres règles, administrateurs et normes communautaires. Les utilisateurs sont ainsi libres de choisir une communauté qui correspond à leurs valeurs et à leurs centres d’intérêt. Les administrateurs d’instance créent les conditions de vie de leur réseau, tout en permettant l’hébergement d’une grande variété de contenus. Il est donc possible de trouver des niches spécifiques, des groupes partageant les mêmes intérêts, etc.
Protection de la vie privée et innovation
Cette façon d’utiliser les médias et réseaux sociaux offre en outre une plus grande protection de la vie privée, selon les politiques de confidentialité proposées par les instances. Les utilisateurs peuvent par exemple avoir un contrôle total sur la visibilité de leurs contenus ou sur le partage de leurs informations. De nombreuses instances sont également financées par les utilisateurs eux-mêmes ou par des dons, et non par la publicité, ce qui se traduit par une présence moindre, voire nulle, des contenus commerciaux ou ciblés.
Enfin, ces plateformes ouvertes et collaboratives encouragent grandement l’expérimentation et le développement de nouvelles fonctionnalités, faisant ainsi la part belle à l’innovation.
Quel avenir pour le Fediverse ?
Difficile de savoir exactement combien de personnes sont présentes dans le Fediverse. Selon le site fediverse.party, il y aurait 12,8 millions de comptes sur le réseau décentralisé, dont 3,7 millions d’utilisateurs actifs, pour 19 235 instances. Et l’intérêt semble croissant pour ces plateformes interconnectées, qui répondent aux défis actuels de souveraineté sur les données, d’indépendance numérique et de réflexion sur la manière d’utiliser les réseaux sociaux. La déliquescence progressive de X, depuis son rachat par Elon Musk, et l’arrivée de Threads, le nouveau réseau social de Meta lié à Instagram, ont relancé les débats sur le Fediverse.
Mark Zuckerberg semble d’ailleurs l’avoir bien compris. En effet, lors l’annonce de l’arrivée de Threads en Europe, le fondateur de Facebook a écrit : « Nous débutons des tests pour rendre disponibles les messages des comptes Threads sur Mastodon, et sur d’autres services utilisant le protocole ActivityPub. Rendre Threads interopérable donnera aux gens plus de choix sur leur manière d’interagir, et cela aidera le contenu à atteindre plus de monde. Je suis plutôt optimiste à ce sujet. »
Adam Mosseri, le patron d’Instagram, était déjà allé en ce sens cet été : « Nous pourrions être une plateforme plus attrayante pour les créateurs, en particulier les nouveaux, de plus de plus avisés, si nous sommes un lieu où n’avez pas à vous sentir obligé de nous faire confiance pour toujours. » Pour Eugen Rochko, fondateur de Mastodon, « le fait que les grandes plateformes adoptent ActivityPub n’est pas seulement une validation du mouvement vers des médias sociaux décentralisés, mais aussi une voie à suivre pour les personnes enfermées dans ces plateformes, afin de passer à de meilleurs fournisseurs », se réjouit-il dans un billet de blog.
Il fut un temps où les utilisateurs de Facebook et ceux de Google Talk pouvaient communiquer ensemble, ainsi qu’avec des personnes sur des serveurs XMPP autohébergés, avant que chaque plateforme ne s’enferme dans les silos que nous connaissons aujourd’hui. Qu’est-ce qui empêcherait que cela se reproduise ?