Fairphone : après plus de 10 ans d’existence, où en est le smartphone responsable ?

Depuis 2013, Fairphone propose un modèle à contre-courant de la concurrence. Mais la promesse du smartphone responsable est-elle tenue ?

Fairphone 5 modèle
Entre septembre et décembre 2023, le Fairphone 5 s'est vendu à 47 000 exemplaires. © Fairphone

L’impact désastreux des smartphones sur la planète n’est plus à prouver. Selon un document publié par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) en septembre 2023, la construction d’un smartphone nécessite en moyenne 70 matériaux, dont 50 métaux rares, entraînant l’épuisement des ressources naturelles et des rejets toxiques dans l’air, l’eau et les sols.

De la conception à la vente, « un smartphone fait 4 fois le tour du monde », note également l’agence publique, qui estime les émissions de gaz à effet de serre à 31 kg de CO2 par smartphone. Un chiffre manifestement sous-estimé, deux fois inférieur à ceux communiqués par les constructeurs eux-mêmes, comme le soulignait Le Monde dans un article publié en mars 2023.

Pourtant, le smartphone est devenu un objet incontournable, occupant une place centrale dans la vie personnelle, mais aussi professionnelle, de nombreux utilisateurs. Pour apporter une issue à cette problématique, Bas van Abel, Tessa Wernink et Miquel Ballester ont créé en 2013 un smartphone supposé durable, à contre-courant de la tendance : le Fairphone. Après plus de dix ans d’existence, quel bilan en tirer ?

Le Fairphone, la promesse d’un smartphone responsable

Miquel Ballester est le cofondateur de l’entreprise et responsable de la gestion des produits. Selon lui, à la création du Fairphone, aucune autre option équitable n’existait, malgré une forte demande : « Fairphone a commencé avec une campagne de sensibilisation visant à mettre en lumière la réalité derrière les minéraux utilisés pour fabriquer des appareils électroniques grand public. Au cours de cette campagne, il est devenu clair que, même si les gens semblaient disposés à acheter des appareils électroniques plus « équitables », aucun n’était produit à l’époque. »

Le premier Fairphone est lancé en financement participatif et connaît un succès suffisant pour permettre à l’entreprise de se développer. En 10 ans, 5 autres modèles ont été produits : les Fairphone 2, 3, 3+, 4 et 5. Ce dernier est commercialisé depuis le 30 août 2023. Les différents modèles adoptent un concept « d’équitabilité », qui prend en compte quatre dimensions :

  • Les matériaux : l’entreprise indique suivre l’ensemble de sa chaîne d’approvisionnement afin de sélectionner les matériaux les moins coûteux d’un point de vue environnemental.
  • Les conditions de travail : concernant le lieu d’assemblage, Fairphone ne se distingue pas des géants du secteur et a opté pour un partenaire chinois. Cependant, l’entreprise assure la représentation des salariés, met en place un fonds social visant à garantir un salaire décent* et applique des règles sanitaires strictes. Cette démarche, bien qu’imparfaite, est plus attentive que celles de la majorité des concurrents, comme l’a noté Reporterre. Le principal fournisseur du Fairphone 5 est labellisé SA 8000 (pour les conditions de travail) et ISO 45001 (pour la santé et la sécurité).
  • La longévité : les appareils sont conçus pour durer dans le temps. Les pièces peuvent être remplacées facilement (10/10 de score ifixit) et le smartphone bénéficie de mises à jour logicielles sur le long terme. Pour le Fairphone 5, les mises à jour du système d’exploitation, du logiciel et de la sécurité sont garanties jusqu’en 2031.
  • La réutilisation et le recyclage : sur son site, l’entreprise liste les matériaux utilisés pour chaque modèle, ainsi que le pourcentage de matière recyclée qui atteint, pour le Fairphone 5 : 94 % pour l’aluminium, 82 % pour le magnésium, 77 % pour l’indium et 69 % pour le plastique.

* Pour la construction du Fairphone 4, une prime de subsistance a été accordée aux ouvriers du fournisseur direct. Avec le Fairphone 5, ce bonus a été étendu aux sous-traitants de composants (circuit imprimé, batterie, moteur vibrant, etc.).

Production Fairphone
Confection du Fairphone 2 dans l’usine Hi-P, en 2015. © Fairphone

 Un modèle à contre-courant de la course à l’innovation

Garder son smartphone pendant 10 ans

Sur son site, Fairphone présente une section Pièces détachées qui permet aux utilisateurs d’acheter différents éléments : écran, module caméra, batterie, modules inférieur et supérieur, haut-parleur, etc. Et ce, jusqu’au Fairphone 2, pourtant paru au début de l’année 2015. La promesse de l’entreprise est de proposer l’ensemble des pièces détachées au moins 5 ans après la sortie de l’appareil, mais généralement bien plus longtemps. Une pratique conforme aux indications de l’ADEME qui recommande aux consommateurs d’opter pour « un appareil solide, démontable et évolutif, avec une batterie remplaçable, une connectique complète (port audio jack, port USB…) et un chargeur universel« . Mais si, sur le papier, cette promesse constitue un argument de taille, la mise en pratique peut s’avérer plus compliquée.

Damien Alexandre est développeur web. En 2019, il a troqué son OnePlus 2 en fin de vie pour un Fairphone 3+. À la recherche d’un nouvel écran, il constate que la pièce détachée est en rupture sur le site depuis plusieurs semaines* : « D’après le compte Twitter officiel, ça va revenir. J’espère que c’est pas du pipeau, sinon la promesse de pouvoir réparer le téléphone sur le long terme serait bafouée », signale l’utilisateur.  Autre désagrément : les tarifs. L’écran du Fairphone 3+ est proposé au prix de 89,95 €, une somme conséquente pour un modèle vieux de 4 ans.

Pieces detachees Fairphone
Sur le site de Fairphone, il est possible d’acheter les pièces détachées des anciens modèles. © Capture BDM

*Au moment de la publication de cet article, le produit était de retour en stock.

Pour les consommateurs, un choix engagé

Pour Damien Alexandre, le choix du Fairphone est clairement engagé. Le modèle est vendu à un prix élevé (699 € pour la Fairphone 5) au regard de ses performances. Ce sont les « facteurs éthiques comme la provenance des matériaux, l’assemblage, le recyclage », ainsi que la réparabilité, qui ont l’ont convaincu.

Avec Fairphone, j’ai plutôt confiance sur le support long terme. En revanche, en termes de performances, bien sûr qu’il fait de la peine, mais c’est totalement acceptable […] Lorsqu’on achète un Fairphone, on ne le fait pas pour les performances ou la qualité. On paye cher un produit moyen, mais on sait que ce produit détruit moins la planète et exploite moins d’humains que les autres.

De son côté, Miquel Ballester se montre réaliste : « Nous ne pourrons probablement pas surpasser nos énormes concurrents de sitôt. Mais nous devons devenir une source d’inspiration. Plus nous vendons de téléphones, plus nous montrons qu’il existe une demande pour des téléphones éthiques », indique le responsable de la gestion des produits. Il estime, par ailleurs, que la course à l’innovation opérée par les grands noms de l’industrie atteint ses limites.

Cette « évolution constante » est un peu une astuce marketing : les entreprises veulent vous faire croire que la prochaine grande nouveauté est toujours à nos portes, mais en réalité, les smartphones se ressemblent de plus en plus et les dernières fonctionnalités changent rarement la vie.

Modeles Frairphone evolution
Les 6 modèles de Fairphone, par ordre chronologique. © Fairphone

Une option plus radicale que le reconditionné

Le Fairphone n’est pas l’unique option pour ceux qui recherchent une alternative durable dans le monde de la téléphonie. Au cours de la dernière décennie, le marché des appareils reconditionnés a connu une forte expansion. Son leader, Back Market, créé la même année que Fairphone, a atteint une valorisation de 5,1 milliards d’euros lors de sa dernière levée de fonds en janvier 2022.

Mais pour Miquel Ballester, si le reconditionné représente une option plus viable que le neuf, il ne répond pas à l’ensemble des problématiques éthiques posées par la production de smartphones : « Comme l’objectif de la plupart des fabricants de smartphones est de vendre les appareils les plus récents et ceux sur lesquels les marges sont les plus élevées, les gens sont toujours incités à choisir la dernière version d’un téléphone reconditionné, ce qui ne répond pas au problème général de l’industrie. L’achat d’un téléphone reconditionné n’incite généralement pas non plus les fabricants à améliorer les conditions de travail dans leur chaîne d’approvisionnement. »

Par ailleurs, si la durabilité matérielle est, dans une certaine mesure, favorisée par cette seconde vie donnée aux appareils, l’obsolescence logicielle demeure. Un constat qui a convaincu Damien Alexandre de préférer le Fairphone au reconditionné.

Fairphone promet des mises à jour logicielles, ce qui en théorie permet de garder un téléphone fonctionnel plus longtemps. Le Fairphone 3, par exemple, était sous Android 9 quand il est sorti. Il est sous Android 13 maintenant. Les autres marques ne font pas ça à ma connaissance.

Un paradoxe dans le modèle économique

Dans son principe même, l’entreprise fait face à une contradiction. Sa pérennité est principalement assurée par la vente d’appareils ; pour autant, le discours de la marque encourage les utilisateurs à conserver leur smartphone le plus longtemps possible. Le caractère réparable de ses produits représente également un frein à la fidélisation de la clientèle. Miquel Ballester a conscience de cette dualité, que l’entreprise se doit de concilier : « Chaque Fairphone que nous vendons contribue à nos ambitions de créer une industrie électronique plus éthique. Pourtant, cela révèle également le dilemme au cœur de notre entreprise : accroître notre impact dépend de la vente de plus de téléphones, mais nous voulons UNIQUEMENT vendre des téléphones aux personnes qui en ont réellement besoin. »

Ainsi, l’entreprise considère que « la durabilité des revenus et la mission sociale sont tout aussi importantes ». Un principe qui peut représenter un obstacle à la croissance continue, processus fondamental en économie de marché. De là à dire que Fairphone est une entreprise anticapitaliste, il n’y a qu’un pas, que Miquel Ballester ne franchira pas.

Nous créons une demande du marché pour des produits éthiques. Bien que nous reconnaissions que certains aspects du capitalisme peuvent être considérés comme la cause fondamentale de nombreux problèmes dans notre industrie, le Fairphone est un outil qui vise à prouver qu’il est possible de faire les choses différemment et d’être rentable en même temps.

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