Community management : retour sur 10 ans d’évolution
À la fin des années 2000, quand les réseaux sociaux ont commencé à attirer les entreprises, un nouveau métier est né : community manager. 10 ans plus tard, la profession s’est profondément transformée.

Pour comprendre l’évolution du rôle des community managers, nous avons rencontré trois consultants spécialisés qui forment des étudiants et salariés au sein d’IFOCOP Expériences : Sébastien Pujade, Julien Couvrand et Karima Benamer. Ils mettent en lumière les compétences qui font aujourd’hui la différence auprès des recruteurs.
De l’exécutant au décideur
Le destin du community manager rappelle celui du webmaster. À l’origine, le CM était le seul à appréhender la communication sur les réseaux sociaux. De la conception des messages à leur publication en passant par l’analyse des résultats, il n’avait pas de confrère dans l’entreprise et travaillait en relative autonomie. L’importance croissante des réseaux sociaux a poussé les entreprises à s’y intéresser de plus près. Les plateformes représentent aujourd’hui des opportunités trop stratégiques pour que la responsabilité des actions qui y sont menées ne soient pas partagées.
Les entreprises d’une certaine taille ont donc commencé à structurer leurs équipes dédiées au community management. Certains community managers se sont spécialisés. D’autres, recrutés à l’origine pour des tâches d’exécution, ont été promus à des postes à plus haute responsabilité. “Le métier s’est professionnalisé, cette tendance a nécessité une montée en compétences, observe Julien Couvrand. Il ne s’agit plus simplement d’animer une communauté mais de bâtir une image digitale, une réelle identité, de développer des interactions avec les différents publics et de mettre en place de vraies stratégies marketing et de communication”.
Cette nouvelle donne pousse les recruteurs à concentrer leur attention sur d’autres compétences. “Ils se focalisent sur des profils polyvalents, ayant à la fois une vision stratégique et une très forte dimension opérationnelle”, selon Sébastien Pujade. Il précise également qu’au-delà de cette tendance, il est difficile de dresser la liste précise des compétences requises pour postuler à une offre d’emploi de community manager, car les propriétés des structures qui les accueillent varient beaucoup. Une chose est sûre : le community manager est beaucoup moins seul qu’avant. “Les organisations structurées recherchent des profils spécialistes de l’engagement et de la stratégie sur les réseaux sociaux, en mesure de travailler de concert avec les équipes acquisition et performance”.
De l’intuition à l’analyse
La diversification des objectifs social media conduit également les community managers à mieux analyser leurs actions. Ils accèdent à de très nombreux chiffres et indicateurs sur les plateformes et via des outils tiers. C’est à la fois une opportunité et un risque, car on peut rapidement être noyé dans toutes ces données. Pour être efficace, les CM doivent cibler précisément les KPI à surveiller. Et surtout, ils doivent mettre un point d’honneur à évaluer l’incidence de leur stratégie et leurs actions sur les indicateurs business de l’entreprise.
“L’analyse ne doit pas se baser uniquement sur du quantitatif, rappelle Karima Benamer. L’appréciation qualitative de sa communauté et de ses prises de parole est également importante. Concernant les actions, il est possible de mettre en place des audits quantitatifs et qualitatifs, pour évaluer l’efficacité des actions de communication et pouvoir ainsi adapter sa stratégie.”
Sébastien Pujade conseille de procéder étape par étape :
- Définir les informations à collecter en pensant aux KPI de l’entreprise
- Mesurer précisément les informations et les associer aux objectifs visés
- Analyser les résultats et les objectifs pour évaluer l’efficacité des actions
- Tester des hypothèses régulièrement et évaluer l’incidence sur les résultats
- Optimiser la stratégie en intégrant les tests qui se sont avérés concluants
Cette appétence pour “faire parler les chiffres” et prendre des décisions stratégiques s’inscrit parfaitement dans l’évolution hiérarchique observée chez les community managers.

De l’organique au payant
Les compétences des community managers se transforment aussi avec l’évolution des plateformes. Selon notre étude publiée en juin 2018, Facebook est considéré comme important par 91% des community managers – plus que toutes les autres plateformes. Et depuis plusieurs années, le réseau social réduit la visibilité gratuite des publications.
“Indéniablement, le reach organique sur les réseaux sociaux a diminué, remarque Julien Couvrand ; il est de plus en plus difficile d’engager une communauté, de la faire réagir. Les résultats organiques sur Facebook sont les plus difficiles à avoir. Il faut investir en sponsoring pour avoir de l’engagement. Facebook est passé d’une logique de réseau social à une logique de média. Plus on paye, plus on obtient de la visibilité.”
Bien qu’il soit encore possible d’obtenir de la visibilité sur certaines thématiques (le sport, les personnalités publiques, les causes qui rassemblent…), beaucoup de CM passent à la caisse en achetant des publicités sur les réseaux sociaux pour atteindre leurs objectifs. Il s’agit d’une réelle opportunité – à condition d’avoir un budget consacré – mais ces leviers nécessitent des compétences qui ne sont pas innées. Les community managers doivent se former pour être en mesure de mener des campagnes publicitaires efficaces. Ils sont également amenés à travailler avec des spécialistes de l’acquisition, en interne ou en agence. Les métiers du CM et du SEA se sont de facto rapprochés mais les exemples de reconversion d’une profession à l’autre restent rares du fait de leur forte technicité.
De la conception à la co-conception
Les réseaux sociaux ont créé un nouveau pont entre les marques et leurs publics. Ils ont également permis à de nouveaux médias d’émerger : les influenceurs. Et de plus en plus d’entreprises s’appuient désormais sur ces relais. Pour Sébastien Pujade, l’intérêt du marketing d’influence est double :
- Accroître l’écho de la marque auprès d’un public de façon détournée
- Minimiser les coûts d’acquisition comparés à une campagne de communication classique
Le travail sur l’influence n’est pas nouveau, comme le rappelle très justement Karima Benamer (lobbying, stratégie de communication…). En revanche, c’est une compétence nouvelle pour les community managers. Il convient d’être attentif à quelques points pour obtenir de bons résultats :
- Analyser l’image de l’influenceur par rapport à la marque
- Évaluer l’intérêt des collaborations réalisées par le passé
- Mesurer l’engagement de la communauté
- Estimer son appétence pour la marque
- Identifier les risques de dérapages
Bien que les CM puissent identifier les influenceurs, grâce à leur connaissance des plateformes, le fait de co-construire une campagne avec un tiers nécessite des compétences précises. Sébastien Pujade conseille aux professionnels de bien travailler en amont avec les influenceurs, d’expliquer clairement leur démarche. Le travail d’analyse et d’estimation de chaque opportunité – et des risques associés – doit être effectué avec minutie pour que les résultats obtenus soient à la hauteur des attentes des marques.
Un métier d’avenir
Vision stratégique, capacité d’analyse, gestion de campagnes publicitaires, co-conception avec des influenceurs : le métier de community manager s’est profondément transformé en quelques années. Les compétences requises pour exercer ce métier sont bien plus vastes et diffuses qu’auparavant. Julien Couvrand rappelle qu’il est également nécessaire de “savoir engager la conversation, organiser ses prises de paroles, avoir une bonne capacité rédactionnelle, une curiosité certaine et surtout, ne pas se limiter à de l’animation de communauté mais avoir une vision stratégique globale”. Pour convaincre les recruteurs, Sébastien Pujade conseille de se former en continu, activer régulièrement son réseau, rencontrer d’autres community managers et s’inspirer de leurs bonnes idées, s’impliquer dans des projets digitaux et surtout croire en soi, en se donnant les moyens de se différencier par rapport aux autres candidats.
Il y a 10 ans, certains se demandaient si les entreprises avaient vraiment besoin de quelqu’un pour “s’occuper” des réseaux sociaux. En 2019, force est de constater que les community managers ont encore de beaux jours devant eux.