État des lieux de la blockchain en France : acteurs, régulation, formation…
Dans le cadre de notre dossier sur le blockchain, et à quelques jours de la Digital Tech Conférence, qui abordera grandement le sujet et dont nous sommes partenaires, nous vous proposons aujourd’hui un panorama des acteurs français du secteur, mais aussi de la vitalité de ce sujet dans l’hexagone. Pouvoirs publics, porteurs de projets, grandes entreprises ou encore formation, où en est la France sur cette technologie d’avenir ? Nous vous proposons une interview d’Alexandre Stachtchenko, co-fondateur de Blockchain Partner, mais aussi Président de la Chaintech, qui est l’association des acteurs francophones de la blockchain. Merci à lui pour ses réponses éclairantes !
Pouvez-vous commencer par présenter Blockchain Partner et votre rôle au sein de cette structure ?
Blockchain Partner est le résultat d’une fusion entre deux start-ups, Blockchain France et Labo Blockchain. Cela fait deux ans que nous existions. Nous sommes une quinzaine, nous faisons du conseil et de l’accompagnement sur les technologies Blockchain. Nous avons 4 pôles d’activité :
- Un pôle stratégie, acculturation et formation : le but est de former les entreprises et de les aider à trouver des cas d’usages pertinents de la blockchain dans leur secteur, à travers des ateliers, des formations ou du conseil.
- Un pôle technique : du développement pour de l’expérimentation et de la mise en production chez nos clients. Nous sommes agnostiques technologiquement, et avons par conséquent une expertise sur une multitude de technologies : Bitcoin, Ethereum, Nxt, Corda, Quorum, Hyperledger etc.
- Un pôle juridique : accompagnement aux professions et directions juridiques sur des cas d’usages spécifiques, par exemple sur la certification et la preuve. Il est également transversal sur les autres projets pour assurer le développement de solutions compliant by design.
- Un pôle ICO : accompagnement sur les levées de fonds, aussi bien au niveau technique que site Internet ou encore white paper. Nous tenons par ailleurs un site dédié aux ICO, ICO Mentor.
De son côté, la Chaintech a pour but de cartographier l’écosystème français mais aussi de fédérer la communauté et les porteurs de projets autour de la blockchain, tout en restant le plus agnostique possible sur les technologies choisies. Nous souhaitons être la voix de l’écosystème auprès des pouvoirs publics et des régulateurs sur les revendications, le positionnement ou pour fournir un interlocuteur de qualité. Nous fournissons régulièrement des avis et des conseils à ces interlocuteurs, par exemple récemment dans le cadre des dernières consultations de la DG Trésor ou encore de l’AMF.
Quelle est la typologie des acteurs français de la blockchain ?
La Chaintech comprend entre 20 et 30 start-ups, dont 5 à 10 vraiment installées qui génèrent des revenus et bénéficient d’une vraie visibilité. D’autres sont en phase de lancement, sont à la recherche de fonds, ou finalisent leur démonstrateur. Si on devait faire une cartographie de ce qui se passe en France, il y a tout d’abord un certain nombre d’acteurs qui font du conseil ou de la prestation généraliste. C’est lié à l’état du marché, l’argent se trouve actuellement chez les grands groupes qui veulent expérimenter, et qui ont besoin d‘expertise pour avancer. Beaucoup d’acteurs sont spécialisés sur le secteur financier, avec les banques ou les assureurs. La supply chain et la traçabilité attirent également un certain nombre de projets et de start-ups, comme Ownest.
L’état des lieux du marché reste difficile à définir, car de nombreux projets en sont encore au stade des idées. On ne sait pas s’ils seront encore là dans un an… La notion d’écosystème peut être prise dans un sens plus ou moins large. Au départ, la blockchain est issue d’un mouvement plutôt libertarien. De facto, la plupart des gens qui font partie de l’écosystème sont très indépendants, et ne vont pas ou peu se regrouper pour travailler en groupe. Cette volonté de rester libre peut être un frein pour faire avancer les projets.
On parle de plus en plus de la blockchain… Est-elle en train de devenir mainstream ?
Il est important de comprendre que le terme Blockchain est extrêmement vaste. Selon les interlocuteurs, elle peut se limiter au Bitcoin ou au contraire comprendre les grands groupes comme IBM. Si on prend ce deuxième postulat, alors on peut dire que la blockchain s’institutionnalise. La plupart des grands cabinets ont leur practice dédié (EY, Deloitte, Accenture…). Les appels d’offres de la part de grandes entreprises, notamment bancaires, reçoivent de nombreuses réponses. Mais si on zoome et que l’on se limite à ceux qui viennent de l’écosystème, qui ont commencé techniquement et philosophiquement par la blockchain et ont essayé de monter des projets autour, il y en a beaucoup moins. Ledgys, Paymium, Ledger, Stratumn, nous… Entre 5 et 10 acteurs importants que l’on retrouve régulièrement, le reste étant encore à l’état de projet non abouti.
Il est important également de se méfier de la hype autour de la blockchain. De nombreux projets utilisent ce terme sans véritablement utiliser son potentiel et lancent des projets vides ou creux. L’anecdote de l’entreprise dont le cours a bondi de près de 400% quand elle a ajouté blockchain à son nom est très parlante… Une des raisons à l’origine de la création de la Chaintech est justement de lutter contre cela. Quand une technologie est à la mode, il y a toujours un certain nombre de consultants qui viennent par opportunisme et qui réussissent à faire parler d’eux par réseautage, sans avoir ni expertise ni réel projet. Il faut faire attention à ce type de personnage.
On parle aussi beaucoup de fraudes potentielles, notamment autour des cryptomonnaies et d’ICO très importantes sur des projets impossibles à réaliser…
Les acteurs « sérieux » de l’écosystème sont conscients de ce type de dérives, savent que la bulle peut éclater à un moment et qu’il faudra faire avec. La consultation de l’AMF sur les ICO est d’ailleurs intéressante. Elle réalise actuellement une consultation publique et ouverte qui présente 4 possibilités de régulation et demande celles que les acteurs de l’écosystème préfèrent ou décrient, et pourquoi. La première : on ne régule pas, on fait simplement un guide des bonnes pratiques. Une vision plutôt libertarienne finalement. La deuxième : une règlementation dans le cadre juridique existant en matière de prospectus, donc la même régulation qu’avec les actions et les levées de fonds, avec un cadre très strict. Et enfin une troisième divisée en deux : soit avoir besoin de bénéficier d’une autorisation de l’AMF pour pouvoir lancer une ICO, soit avoir une autorisation optionnelle de l’AMF. Dans ce cas, si on ne l’obtient pas, il faut par contre indiquer dans son white paper que le label de l’AMF n’a pas été obtenu. On aurait pu s’attendre à ce que l’option 1 soit plébiscitée, pourtant, au sein de la Chaintech, c’est la 3B qui a recueilli la majorité des avis positifs. Le pragmatisme est de mise, les acteurs sérieux savent qu’il faut un minimum de régulation pour lutter contre certaines arnaques et ponzis qui décrédibilisent les projets sérieux. Néanmoins, nous sommes tous d’accord pour dire que la méthode de l’ICO pour lever des fonds est vraiment innovante et pertinente, et qu’elle va rester sur le long terme.
La blockchain est une technologie globale, connait-elle des frontières ?
La question des frontières n’est pas aussi évidente. Il faut distinguer les blockchains privées des blockchains publiques. Les premières sont limitées à un ou plusieurs acteurs et connaissent donc de fait des frontières. L’aspect « révolution » est plus présente sur les deuxièmes, notamment dans certains cas, comme avec les pays en développement. Si vous donnez Bitcoin a quelqu’un qui n’a jamais connu de système financier, le saut technologique qu’il fait sera beaucoup plus important que si vous utilisez une blockchain privée pour faire de la compensation dans une grande banque. D’un côté, on s’ouvre de nouvelles possibilités qui révolutionnent notre quotidien, de l’autre, on optimise une pratique existante.
Où en est la France au niveau international ?
En matière de régulation, nous sommes plutôt en avance. Nous sommes un des seuls pays qui a commencé à adapter son droit commun à la technologie blockchain, à créer un droit spécifique aux blockchains, et ce il y a déjà plus d’un an avec l’ordonnance Macron sur les minibons. Il y a des consultations publiques, nous sommes en contact en permanence avec l’AMF et les différents régulateurs, il y a une vraie ouverture. Ils cherchent à être pragmatiques, à confronter les points de vue, à avoir une pertinence technique et à être focus sur les cas d’usage et pas sur les technos en tant que telles. En comparaison, la Chine et les Etats-Unis ont été beaucoup plus stricts pour les ICO, avec des régulations très fortes voire des interdictions. Il manque toutefois selon moi d’une réelle volonté politique en France. On parle par exemple beaucoup d’intelligence artificielle ou de chatbots dans le discours politique, mais il n’y a pas d’appropriation sur la technologie blockchain.C’est d’autant plus dommageable que c’est une technologie encore très jeune où tout est encore possible. C’est justement maintenant qu’il faut faire les efforts pour prendre l’avance qu’il faut. On ne l’a pas fait sur l’IA et on voit maintenant à quel point c’est difficile de combler notre retard.
Et au niveau des acteurs Français ? Où se placent-ils en comparaison des acteurs internationaux ?
Nous avons une reconnaissance très forte sur tous les sujets techniques en France. Nous sommes reconnus notamment sur la cryptographie, la sécurité, l’ingénierie. Une start-up comme Ledger, qui fait des wallets (portefeuilles) physiques, est reconnue comme étant la meilleure dans son domaine dans le monde. Mais comme dans toutes le technos, la concurrence est un peu déloyale avec les Etats-Unis, les levées de fonds étant beaucoup plus simple et rapides là-bas, avec des montants supérieurs. Cela complique forcément les choses. Au niveau Européen, différents travaux ont été entamés, mais cela ne va pas très vite. Il y a tout de même une volonté de travailler ensemble et un rapprochement de diverses associations et structures. Il y a une ébauche d’écosystème européen, nous en sommes vraiment au tout début. Mais que ce soit au niveau européen ou français, nous n’avons pas à rougir.
Au niveau de la formation et des talents, où en sommes-nous ? Existe-t-il des cursus, ou bien apprend-on encore sur le tas ?
De par la nature de la communauté, on apprend encore beaucoup sur le tas, en s’informant en ligne. Mais les écoles s’intéressent de plus en plus au sujet, notamment les écoles d’ingénieurs, qui sont de plus en plus nombreuses à délivrer des cours sur la blockchain. Il y a des formations qui se mettent en place, cela se démocratise. Si on s’intéresse aux hard skills, la communauté francophone est vraiment active. Il y a peut-être moins de personnes sur les espaces en ligne (Slack, forums, etc.), mais ils participent beaucoup plus que dans d’autres pays. Côté juridique, cela se démocratise également beaucoup, nous faisons beaucoup d’interventions en écoles spécialisées. Et côté business, l’intérêt est plus timide, par exemple dans les écoles de commerce. Leurs élèves sont plus attirés par les banques et la carrière qui va avec plus que par la blockchain ou les crypto-monnaies, qui sont encore vues souvent comme des produits financiers douteux et spéculatifs, peu institutionnalisés. Mais cela arrive !