Entre performance et indépendance : les PME à l’épreuve de la souveraineté numérique

Face aux risques créés par les plateformes américaines, Victor Douek souligne l’urgence pour les PME de reprendre la main sur leurs données et de miser sur un écosystème européen fiable.

Victor Douek – souveraineté
Le recours aux solutions étrangères « est une perte directe de maîtrise », avertit Victor Douek. © Montage BDM

Les solutions américaines occupent une place centrale dans le quotidien professionnel des Français. Longtemps considérées comme plus performantes (parfois à tort) et mieux intégrées, elles ont été adoptées presque par réflexe par de nombreuses entreprises. Mais cette confiance est aujourd’hui questionnée, à mesure que grandissent les préoccupations autour des pratiques des grands acteurs de la tech et du traitement des données.

La volonté de se tourner vers des solutions souveraines progresse, mais elle se heurte encore à plusieurs obstacles : un écosystème moins mature, des coûts souvent plus élevés et des intégrations parfois complexes. Autant de défis auxquels les éditeurs français et européens doivent répondre pour proposer de véritables alternatives. Victor Douek, CEO de Sellsy, analyse pour BDM les enjeux et les opportunités d’un marché en quête d’indépendance technologique.

Les PME au coeur de la dépendance numérique

« Récemment, la guerre commerciale imposée par Donald Trump nous a fait prendre davantage conscience de notre dépendance au numérique américain », explique Victor Douek. Le quotidien des professionnels du digital le montre clairement : SEO, médias sociaux, développement web ou e-commerce restent étroitement liés aux grandes plateformes américaines. « C’est souvent dans les moments de crise que l’on mesure notre dépendance technologique, notamment vis-à-vis des États-Unis », rappelle-t-il.

Pour le CEO de Sellsy, cette dépendance s’exprime à deux niveaux. D’abord, celui de l’infrastructure cloud, dominée par Google, Microsoft et Amazon Web Services. Ensuite, celui des outils utilisés chaque jour : CRM, logiciels de productivité, messageries, suites bureautiques ou encore plateformes marketing.

L’émergence de l’intelligence artificielle accentue encore cette dépendance. Parmi les modèles les plus puissants figurent aujourd’hui plusieurs acteurs américains, et beaucoup d’entreprises européennes contribuent, sans le savoir, à les enrichir en leur confiant leurs données.

Souveraineté numérique : un enjeu de sécurité

Concrètement, que risquent les PME françaises lorsqu’elles s’appuient sur des solutions américaines ? Pour Victor Douek, trois principaux dangers se dessinent.

Le premier concerne le cadre légal. Les données confiées à ces outils restent soumises à des lois extraterritoriales. « C’est une perte directe de maîtrise, prévient-il. Des informations stratégiques comme les données commerciales, financières ou clients peuvent être consultées ou transférées sans que l’entreprise en soit informée. »

Au-delà des questions juridiques, cette dépendance crée également un risque technologique. « C’est une perte directe de maîtrise », rappelle Victor Douek. Une PME qui organise ses processus autour d’une solution non européenne peut être confrontée à des situations difficiles : rupture de contrat, hausse tarifaire ou modification des conditions d’accès aux données. Autant d’événements susceptibles de fragiliser son activité.

L’entrepreneur souligne enfin l’importance de la confiance dans les relations B2B. « De plus en plus d’entreprises demandent où sont hébergées leurs données et comment elles sont protégées », explique-t-il. Il rappelle à ce titre que les données clients de Sellsy sont hébergées chez Scaleway, « dans un cadre juridique européen strict et maîtrisé ».

Et qu’en est-il des solutions étrangères compatibles RGPD ou hébergées en Europe ? Pour Victor Douek, cette réponse reste « partielle, parfois trompeuse », et n’apporte aucune garantie réelle en matière de souveraineté.

Beaucoup d’acteurs américains communiquent sur leur « hébergement en Europe » ou leur « conformité RGPD ». En réalité, leurs maisons mères restent soumises à des lois extraterritoriales comme le Cloud Act, qui peuvent les contraindre à fournir des données aux autorités américaines, même lorsque ces données sont stockées en Europe.

Des solutions en quête de crédibilité

Même pour les entreprises attentives à la protection de leurs données, le choix d’une solution se confronte à deux critères déterminants : le prix et, surtout, les performances. Une problématique qui se résume en une question : les acteurs français et européens peuvent-ils se hisser au niveau des géants américains ? Sellsy illustre bien cet enjeu. La plateforme évolue dans un environnement dominé par des mastodontes comme Salesforce ou HubSpot. Mais pour Victor Douek, les solutions souveraines disposent aujourd’hui d’arguments solides. « Les éditeurs français ont atteint une réelle maturité technologique. Les solutions locales offrent la même richesse fonctionnelle, la même fiabilité et la même expérience utilisateur que de nombreux géants américains », résume le dirigeant.

L’idée qu’une solution française serait plus chère ou moins performante est un mythe. Les solutions européennes sont souvent plus modulaires, plus accessibles et mieux adaptées aux réalités des PME.

Avec, en prime, un alignement naturel avec les réglementations locales. L’entrepreneur précise : « Les entreprises qui choisissent un acteur local bénéficient d’une solution pensée pour leur environnement réglementaire, ce qui leur permet de gérer leurs transitions sans surcoût ni complexité inutile. La souveraineté devient un atout de simplicité. »

Construire un écosystème innovant en Europe

Les solutions souveraines ne peuvent pas se limiter à mettre en avant leurs atouts en matière de sécurité des données, ni à se définir en réaction face à leurs concurrents américains. « La souveraineté, parce qu’elle est nécessaire, doit pousser les entrepreneurs à innover, à créer des technologies capables de rivaliser avec les solutions américaines plutôt qu’à s’en protéger », convient Victor Douek.

Les acteurs français et européens disposent de nombreux atouts : une compréhension fine des usages locaux, un haut niveau d’exigence en matière de sécurité et de conformité, et une culture de la qualité logicielle. C’est sur ces forces qu’il faut bâtir notre différence.

Pour autant, les obstacles restent nombreux pour les entreprises européennes. Selon le CEO de Sellsy, la construction de champions continentaux n’est possible qu’à trois conditions :

  • Apprendre à financer plus vite et plus fort les innovations.
  • Construire un marché « réellement intégré », qui permette aux startups françaises « de devenir naturellement européennes avant d’être mondiales ».
  • Retenir les talents :« L’Europe ne manque pas de chercheurs ni d’entrepreneurs brillants : beaucoup participent à des succès américains. Le défi n’est pas le talent, mais la capacité à le garder et à le faire grandir. »

Les pouvoirs publics ont un rôle clé à jouer, notamment via une commande publique exemplaire qui soutienne l’écosystème européen. Mais la responsabilité incombe aussi aux entreprises : chaque choix technologique contribue à construire ou affaiblir la souveraineté du continent.

IA : une opportunité pour l’Europe ?

Dans cette compétition internationale, Victor Douek voit dans l’essor de l’IA une nouvelle fenêtre d’opportunité. « Nous sommes au début d’une nouvelle vague, probablement encore plus structurante que les précédentes », explique-t-il. Là encore, les entreprises américaines semblent avoir une longueur d’avance : « Les acteurs américains avancent très vite, portés par des moyens considérables et un écosystème qui favorise la création de géants. » Mais l’Europe conserve, selon lui, une véritable carte à jouer.

Des entreprises comme Mistral AI prouvent qu’il est possible d’innover et de développer des modèles performants en Europe. Ces réussites montrent qu’une IA compétitive et souveraine est à portée de main si nous savons mutualiser nos forces.

Pour le dirigeant, l’IA européenne peut contribuer à réduire la dépendance technologique du continent, à condition de fédérer la recherche, les financements, les infrastructures et les talents. Victor Douek en est convaincu : « L’Europe doit croire en sa capacité à bâtir ses propres technologies et à créer les conditions pour que ses experts réussissent ici. »

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Victor Douek, CEO

Victor Douek est directeur général du logiciel Sellsy, qu’il a intégé en 2016. Il encadre les activités opérationnelles et pilote l’évolution du logiciel CRM destiné aux PME.

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