Dans un marché pénurique, comment les devs réagissent aux sollicitations des recruteurs ?
Dans une société où le numérique est en pleine expansion, les compétences d’un développeur sont énormément appréciées au sein de l’entreprise. Le marché de l’emploi pour les devs est quelque peu particulier : aujourd’hui encore, ce ne sont pas eux qui cherchent du boulot, mais le boulot qui les trouve. Dans le marasme des propositions de job, beaucoup passent à la trappe. Comment expliquer ces réactions ?
Les recruteurs qui ne lisent pas les CV sont très vite repérés
Au même titre que certains candidats tentent leur chance en répondant à une annonce sans que leur expérience corresponde franchement aux compétences demandées, les chasseurs de tête n’hésitent pas à solliciter des développeurs sur des compétences qu’ils n’ont pas. « Je suis souvent confrontée aux recruteurs qui se sont juste arrêtés sur des mots clés de mon CV et n’ont pas pris la peine de le lire entièrement, explique la développeuse Mima Chan. C’est très simple à détecter : ce sont ceux qui me proposent un poste à Lyon alors que mon profil indique clairement que je suis en région parisienne ou qui me contact alors même que mon CV en ligne indique que je suis en poste et que je ne recherche pas d’emploi. »
Pire encore, le ciblage des profils chez certains recruteurs est plus qu’approximatif, la tâche étant confiée à une personne peu versée dans le domaine de la technique : « Bien souvent on sent aussi que la personne qui a écrit le texte ne s’y connait absolument pas. Par exemple aujourd’hui j’ai reçu une offre cherchant un développeur Java pour un développement ReactJS, Javascript, HTML5 et les bases de données PostgreSQL. », raconte Matthew P. Charlton, programmeur.
Dans ces cas de figure, la sentence est irrévocable : « lorsque le recruteur se comporte comme un bot, c’est un « report as spam » instantané » prévient Mima Chan.
Quels projets intéressent les développeurs ?
Pour Camille Khalaghi, le principal élément déterminant pour une annonce est d’être en capacité de se projeter dans son futur travail. « 98% des propositions que je reçois ne parlent ni du projet, ni de l’entreprise qu’il y a au bout : elles ne permettent absolument pas de se projeter », indique-t-il.
L’ingénieur détermine plusieurs points qui peuvent intéresser un développeur :
- L’utilité réelle du projet (une utilité sociale ou technique pour l’utilisateur final)
- La rémunération
- Les process « par exemple un projet bien mené, avec des specs, du scrum, sans pression inutile de la direction », précise Camille Khalaghi
- Le confort ou certaines facilités comme par exemple un bon manager, une entreprise bienveillante, la souplesse des horaires, télétravail, salle de sport, terrasse, services, etc.
- La sécurité de l’emploi : intéressement, mutuelle, carrière, formation, etc.
- La confiance et la cohésion de groupe dans l’équipe avec laquelle ils vont devoir s’insérer.
Pour qu’un développeur puisse rapidement déterminer si son profil correspond au projet demandé, il faut dans un premier temps avoir conscience qu’il existe plusieurs types de développeurs pour plusieurs types de projets. Par exemple, le POC (Proof of Concept) code vite, permettant à un business de démarrer rapidement. Toutefois, ces projets demandent une maintenance exponentielle et ne tiennent pas une grande charge.
Le travail de l’architecte est basé sur le long terme, il est plus lent mais une fois le projet terminé il ne requiert quasiment aucune maintenance. Enfin, le debugger s’occupe principalement de la maintenance. « Un architecte peut faire de la maintenance, mais pas à plus de 30% de son temps et ne fera jamais de POC. Un debugger peut faire du POC (max 30%), mais pas d’architecture. Un POC peut faire du debug (max 30%), mais pas d’architecture. » détaille Camille Khalaghi.
De l’importance de valoriser son entreprise et veiller à sa réputation
Une franche partie des développeurs accordent également un intérêt particulier à la réputation ou à l’activité d’une entreprise. Dans un marché où les candidats ont l’embarras du choix du recruteur, beaucoup se permettent de travailler pour des groupes en accord avec leurs principes. « Il m’est déjà arrivé d’accepter de travailler à prix réduit pour un projet particulièrement intéressant, initié par une marque que j’affectionne. Il m’est aussi déjà arrivé de refuser des sollicitations pour incompatibilité éthique. » raconte Julian Vogin, développeur Full Stack.
Les développeurs ont aussi leur préférence pour certains types d’entreprises. Dans ce cas, il faudra redoubler d’effort pour les convaincre efficacement de se tourner vers des groupes qui ne répondent pas à ces caractéristiques. C’est par exemple le cas de Damien Thery, développeur PHP / MySQL : « Je privilégie les petites sociétés / startups et le contact humain, c’est mon premier critère. Je vais être très attentif à la compréhension de mon métier et aux attentes de la mission que je vais effectuer. La lourdeur du process de recrutement sera aussi impactant. J’ai déjà refusé un premier entretien pour une marque que je n’apprécie pas malgré une offre qui pouvait paraître intéressante. »
Pour Mima Chan, la réputation en ligne est également importante. Les développeurs savent pertinemment que leur profil Facebook ou Twitter sera analysé par les entreprises et par des éventuels collaborateurs. « Les engagements affichés sur les réseaux sociaux vont parfois compter, surtout s’ils ne sont pas compatibles avec les miens », complète-t-elle. Le sujet est par ailleurs régulièrement abordé dans les communautés de développeurs, et les nouvelles vont vite !
Les bonnes pratiques pour piquer la curiosité d’un dev
Il n’y a pas réellement de recette miracle pour qu’une annonce suscite de l’intérêt chez un développeur. La meilleure façon d’aborder un développeur est de parler sa langue, ou de reprendre ses codes. « Si les offres étaient plus sérieuses et ressemblaient moins à de la pub pour un site de rencontre ça serait mieux », ironise Matthew P. Charlton.
Les développeurs regardent en premier le rôle de la personne qui les contacte dans l’entreprise, et de quel groupe il s’agit. « Il faudrait aussi que l’offre soit plus précisément décrite (type de poste exact, technologie exact, type de projet, lieu géographique de l’entreprise…). Une réelle durée de la prise de poste aussi serait intéressante (“courte” et “longue” ne veulent rien dire pour les gens qui n’ont pas une formation de RH). J’aimerais aussi qu’ils me précisent comment ils ont eu mon adresse et que les informations qu’ils donnent sur moi soient à jour. La promesse que les entretiens d’embauche se feront en compagnie d’un responsable de l’entreprise cherchant à embaucher me ferait répondre à coup sûr », détaille le programmeur.
Camille Khalaghi préconise de son côté d’engager le développeur en lui permettant de se projeter dans le projet proposé. En lui donnant des éléments sur le poste et sur l’entreprise, par exemple. « Je regarde en premier la réputation de l’entreprise, puis l’intérêt du projet, puis les conditions de travail. Après un premier contact avec le recruteur, j’appelle ensuite les anciens employés pour me faire une meilleure idée. Si jamais cela va plus loin, je me renseigne sur mon futur manager. » précise-t-il.
Devant des sollicitations quotidiennes pour, très souvent, des offres qui ne leur correspondent pas, les développeurs savent se montrer exigeants devant les recruteurs. Cela ne veut pas pour autant dire qu’ils sont inaccessibles, le tout étant de faire preuve de plus de minutie dans la prise de contact et savoir vendre son projet.