« Nous entrons dans l’ère de l’IA et du CM augmenté » : le décryptage de Jean-Yves Lemesle, directeur social media
Nous avons échangé avec Jean-Yves Lemesle, directeur social media et influence chez CCF Banque, pour décrypter les 20 ans du community management, et connaître sa vision sur les 20 prochaines années.
Quel bilan tirer de ces 20 premières années du community management ? Quelle évolution technologique a le plus transformé le secteur, et quel virage pourrait-il prendre dans les deux prochaines décennies ? Autant de questions que nous avons voulu poser à Jean-Yves Lemesle, qui organise l’événement Les 20 ans du CM, le 15 mai dans les locaux d’ESP Paris, en partenariat avec BDM.
Jean-Yves Lemesle, directeur social media et influence chez CCF Banque
Diplômé de l’ESCP Business School, Jean-Yves Lemesle est un expert en marketing des réseaux sociaux, e-réputation et expérience client. Il a démarré en tant que social media et community manager (Groupe La Centrale, Doctissimo, Houzz, HSBC…), avant de rejoindre CCF Banque où il a lancé la marque CCF sur le marché français.
Quel regard portez-vous sur ces 20 ans du community management ?
Nous avons traversé plusieurs ères du community management — qui suivent les grandes évolutions des réseaux sociaux et des technologies — et qui coexistent parfois encore aujourd’hui. Il y a eu l’ère des forums et des blogs, l’ère des réseaux sociaux massifs, la mobilité, l’ère de la vidéo, l’ère de l’influence… Nous entrons aujourd’hui dans l’ère de l’IA et du community manager augmenté.
Chaque période a amené son lot d’opportunités, de contraintes, de nouveaux formats à apprivoiser et parfois de stress. Mais aussi de l’étonnement toujours renouvelé et un véritable enthousiasme pour l’innovation et la créativité.
J’avoue que je pense parfois « si seulement j’avais eu l’IA à l’époque… » pour modérer ou pour produire plus vite, analyser des centaines de commentaires en temps réel ou résumer une conversation complexe entre plusieurs membres.
Mais au fond, ce qui me frappe le plus en regardant ces 20 ans, c’est la résilience et l’humanité que les community managers, puis les social media strategists, ont réussi à préserver dans un métier souvent technique, exposé et exigeant. Derrière les dashboards et les algorithmes, les meilleures campagnes et conversations gardent toujours l’humain au centre.
Quel compte ou quelle campagne vous a le plus marqué ces 20 dernières années, et pourquoi ?
Franchement, il y en a trop pour en faire un palmarès définitif. D’ailleurs, ce ne sont pas toujours des « campagnes » au sens classique du terme. Parfois, c’est juste un run exceptionnel sur un compte, un ton juste, un lien qui se crée au quotidien.
En 2024, je retiens particulièrement les CM de Leclerc Pont-L’Abbé, parce que c’est l’illustration parfaite d’un community management local, incarné, où une équipe sur le terrain peut faire la différence et embarquer tout le monde. C’est exactement l’esprit DIY que nous voulons mettre en valeur avec l’événement des 20 ans du CM.
Et du côté de la communauté du passé, au sens pur du terme, je garde aussi un souvenir très fort de celle de Wanted sur Facebook, dont l’un des fondateurs sera présent. C’est un très bel exemple de communauté organique, solidaire, qui a su dépasser les logiques purement sociales pour avoir un vrai impact dans la vie des gens. Et si on remonte un peu plus loin… comment ne pas citer Doctissimo ? Véritable matrice des communautés en ligne en France.
Quelle est l’évolution qui a le plus transformé le métier de CM d’après vous ?
Pour moi, jusqu’ici, c’est clairement la vidéo qui a donné le tempo des changements. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai situé la naissance « officielle » du community management il y a 20 ans. À l’époque, les premiers formats vidéo se cherchaient encore sur les plateformes.
Aujourd’hui, la vidéo est partout, tout le temps, et surtout accessible à tous : filmer, monter, publier peut se faire en quelques minutes, directement depuis son téléphone… Ce changement a bouleversé les codes du métier : le CM est parfois devenu monteur, acteur et concepteur de format.
L’explosion des formats courts et carrés à la Brut, puis des trends, des montages ultra dynamiques ont décuplé la viralité… mais aussi la pression créative au quotidien. L’IA est aussi arrivée, bien sûr, et elle transforme le métier sur d’autres aspects, mais ce n’est que le début de la vague.
La notion de « communauté » est-elle encore pertinente en 2025 ?
Oui, elle est pertinente, et sans doute plus que jamais. Ce qui est intéressant, c’est que la définition de la communauté n’a pas vraiment changé : ce sont toujours des personnes qui se retrouvent autour d’un intérêt commun, d’un sujet, d’une cause, et qui interagissent entre elles. En revanche, la façon dont ces communautés se structurent évolue énormément.
Nous observons un vrai retour en force des plateformes communautaires « historiques » : forums spécialisés, groupes privés, Discord, Slack, Reddit… Surtout dans les moments où les grandes plateformes sociales deviennent plus fermées, plus complexes à modérer, ou moins propices à l’échange authentique.
Et au-delà du grand public, c’est sans doute dans le B2B que les communautés ont le plus de potentiel aujourd’hui. L’essor de LinkedIn comme plateforme conversationnelle et les nouveaux outils communautaires dédiés (Guilds, Circle, des espaces Slack ou Teams privés) facilitent la création de communautés professionnelles actives, utiles et engagées.
De plus en plus d’initiatives émergent aussi : des clubs métiers, des espaces d’entraide entre pairs, des groupes d’experts animés par des marques… Ce sont des formats qui redonnent du sens au mot « communauté » : moins d’audience, plus de lien.
Et ce qui me semble encore plus prometteur, c’est la montée des « communautés for good » : des collectifs animés par l’envie d’avoir un impact positif, que ce soit sur leur secteur, leur territoire ou leur environnement.
On l’a vu avec Wanted Community, qui a montré dès 2013 qu’un groupe Facebook pouvait avoir un vrai rôle social et solidaire dans la vie des gens. On le voit aussi avec des plateformes comme Ulule, qui mêlent crowdfunding et dynamique communautaire autour de projets porteurs de sens.
Ce sont souvent des espaces hybrides, animés par des valeurs fortes, et qui redonnent tout son sens au métier de CM : faire du lien, oui, mais aussi faire du bien.
À quoi ressemblera le métier de community manager dans les deux prochaines décennies selon vous ?
Le métier a déjà explosé en plusieurs expertises. Aujourd’hui, beaucoup de CM sont à même d’évoluer vers des rôles plus stratégiques : que ce soit dans la gestion de communauté dans la durée — selon les principes du growth marketing — ou dans l’animation de réseaux internes et locaux, au sein des entreprises ou des boutiques de proximité.
Nous sortons du modèle unique du « CM qui fait tout » pour aller vers des métiers plus spécialisés, plus ancrés dans des écosystèmes précis : relation avec les créateurs de contenu, animation d’espaces communautaires, stratégie éditoriale, brand content…
Et il y a une autre évolution majeure : les attentes en matière de personnalisation ont explosé. Nous sommes en train de voir apparaître les premiers mèmes générés par IA à grande échelle, des visuels viraux remixés façon Ghibli ou Starter Pack, des contenus ultra-adaptés aux codes des réseaux. Le CM de demain devra composer avec des internautes de plus en plus experts, autonomes, créatifs, qui sont capables de détourner, personnaliser, et réinventer les contenus à leur manière.
Au fond, c’est cela le plus grand défi du community manager : continuer à créer du lien sincère et durable dans un monde où tout est modifiable, remixable, et parfois éphémère.
Vous organisez les 20 ans du community management le 15 mai à l’ESP Paris. Qu’attendez-vous de cet événement ?
J’aimerais que ce soit un moment simple, sympa, et ouvert à tous les profils : étudiants, enseignants, community managers, social media managers, de tous âges et de tous horizons. En dehors des agences, beaucoup de CM ou de social media managers travaillent souvent en équipes très réduites, parfois même seuls dans leur structure. Le métier reste parfois perçu comme un poste junior ou un rôle de freelance que l’on occupe en début de carrière, contrairement à ce que nous pouvons observer dans les pays anglo-saxons où il existe des parcours de CM très valorisés et installés dans la durée. Or, en France aussi, nous avons des parcours inspirants, des expériences riches, des réussites locales ou internationales qui méritent d’être partagées.
J’aimerais que cet événement soit un peu une « boîte à idées » pour toutes celles et ceux qui se demandent à quoi peut ressembler leur futur dans le métier.
Et puis surtout, j’espère que nous allons passer un bon moment ensemble. Généralement, quand nous réunissons des personnes qui animent des communautés au quotidien, cela donne des événements très chaleureux, très vivants — et souvent très drôles.
Je remercie d’ailleurs Pierre-Édouard et l’ESP – ESD de m’avoir laissé carte blanche pour organiser quelque chose à la fois libre et bienveillant dans leurs locaux. C’est un vrai plaisir de voir à quel point les étudiants sont passionnés, curieux, et déjà très investis dans les nouvelles pratiques du community management. Cela donne franchement envie de construire des ponts entre les générations et les expériences.
Ne manquez pas l’événement Les 20 ans du community management, qui se tiendra le 15 mai à partir de 17h dans les locaux d’ESP Paris, en partenariat avec BDM. L’inscription est gratuite.
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