Comment les entreprises peuvent réduire l’exclusion numérique : les pistes d’Emmaüs Connect
De l’accessibilité au mécénat, Victor Baysang-Michelin nous explique comment les entreprises peuvent agir pour limiter l’exclusion numérique.
Alors que le numérique s’impose dans toutes les démarches du quotidien, une partie de la population reste encore en difficulté pour accéder, comprendre et maîtriser ces outils. L’exclusion numérique ne se limite plus à une question d’équipement : elle touche désormais les compétences, la culture numérique et la capacité à évoluer dans un environnement technologique en constante mutation. Nous avons rencontré Victor Baysang-Michelin, responsable plaidoyer chez Emmaüs Connect, pour comprendre comment les entreprises peuvent agir au quotidien pour tenter de réduire cette fracture.
Agir au quotidien pour réduire l’exclusion numérique
Pour Victor Baysang-Michelin, le premier levier d’action pour les professionnels du digital consiste d’abord à respecter les normes existantes, en particulier le Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA), souvent ignoré ou appliqué partiellement.
Selon lui, seule une faible part des sites est réellement accessible, alors même que l’accessibilité constitue un socle commun : lorsqu’un service est conçu pour être utilisable par une personne en situation de handicap, il devient simultanément plus inclusif pour d’autres publics, comme les personnes maîtrisant mal le français ou celles peu à l’aise avec le langage administratif.
La conception inclusive peut également passer par la méthode FALC (facile à lire et à comprendre), une approche encore trop marginale mais efficace pour rendre des contenus plus accessibles à un large public.
Généralement, si vous respectez les règles d’accessibilité, vous avancez également sur les questions d’inclusivité.
Autre point essentiel : les tests utilisateurs. Ils doivent être réalisés non pas avec des profils proches de ceux qui conçoivent les outils, mais avec des personnes éloignées du numérique, capables de révéler des obstacles invisibles dans les environnements habituels de production. Emmaüs Connect travaille d’ailleurs actuellement avec la direction interministérielle du numérique (DINUM) pour créer un guide de bonnes pratiques et une méthodologie de tests adaptée à ces publics.
Enfin, Victor insiste sur une question que le secteur oublie souvent : la pertinence même de la dématérialisation. Tout ne nécessite pas obligatoirement une interface numérique. Un service peut être efficace pour certains publics, mais devenir excluant pour d’autres. Avant de concevoir ou de moderniser une démarche, se demander « est-ce vraiment utile de dématérialiser ce service ? » est un réflexe essentiel pour éviter de remplacer un guichet indispensable par un outil inaccessible.
Des initiatives concrètes du secteur numérique pour réduire l’exclusion
Si les professionnels du digital peuvent agir sur la conception des services, certaines entreprises s’impliquent déjà de manière directe pour réduire l’exclusion numérique. Victor Baysang-Michelin cite deux acteurs en exemple : Docaposte et Sopra Steria. Ces entreprises financent notamment le Collectif Citoyenneté & Numérique, une initiative portée par Emmaüs Connect visant à documenter le vécu des personnes dans un contexte de dématérialisation croissante. L’objectif : recueillir la parole des usagers, comprendre les effets du tout-numérique sur leur quotidien et produire des recommandations à destination des pouvoirs publics.
Docaposte finance également la conception de guides de bonnes pratiques élaborés en collaboration avec la DINUM, ainsi que des tests utilisateurs sur des démarches administratives en cours de refonte. Certaines administrations revoient désormais leurs parcours d’accès aux droits sur la base de ces retours, avec une meilleure prise en compte de l’UX, un progrès notable par rapport à des démarches historiquement conçues sans véritable réflexion sur les usages.
Sopra Steria, de son côté, contribue par du mécénat de compétences, en mettant à disposition des salariés pour aider sur des projets techniques, comme la refonte de sites ou l’accompagnement des publics. Cet engagement humain ne se limite pas à des interventions ponctuelles : pour Victor Baysang-Michelin, ce sont des contributions régulières et structurées qui ont de l’impact, plus que des opérations limitées à une journée de mobilisation interne de temps en temps.
Pour faciliter ces engagements, des plateformes comme Komeet permettent aux organisations de proposer du mécénat de compétences. Emmaüs Connect y publie des missions plus longues et plus techniques, comme la refonte d’un site internet ou le renfort sur un projet numérique.
Certaines innovations technologiques peuvent également être utiles, souligne Victor, même si elles ne constituent pas une solution universelle. Par exemple, les outils d’IA capables de générer ou de traduire un CV peuvent lever certains obstacles. Mais le problème se déplace : il ne s’agit plus de maîtriser Word, mais de savoir formuler une requête pertinente.
Les actions d’Emmaüs Connect pour accompagner les publics éloignés du numérique
Des services de première ligne au plus près des besoins
Emmaüs Connect agit au plus près des besoins, grâce à ses lieux d’accueil physiques, les espaces de solidarité numérique. Ces structures reçoivent des personnes orientées par des acteurs sociaux et proposent trois types de services essentiels : une connexion à tarif solidaire, des équipements reconditionnés à bas prix, et un accompagnement aux usages. Les formats vont de séances individuelles de 1h30 à des parcours complets de 90 heures destinés à favoriser l’entrée dans l’emploi.

L’association a également développé une filière de reconditionnement solidaire. Les équipements proviennent de dons d’entreprises ou de collectivités lors des renouvellements de parcs informatiques. Le matériel, encore fonctionnel, est confié à des structures d’insertion locales qui assurent le reconditionnement avant redistribution. Cette boucle locale réduit le coût des équipements pour les publics précaires tout en soutenant l’économie sociale et solidaire.
Emmaüs Connect mène aussi un travail d’essaimage, en formant d’autres structures comme les Restos du Cœur à proposer équipement, connexion et accompagnement aux usages. L’association intervient ponctuellement auprès de CAF, CPAM ou départements pour des formations internes.
Un moyen simple de réduire l’exclusion numérique, c’est de nous donner vos équipements quand vous renouvelez votre parc. Ce matériel professionnel, encore fonctionnel après deux ans, peut repartir pour dix ans et être remis à des personnes qui en ont besoin. C’est un geste très important.
Une enquête participative pour mieux mesurer l’exclusion numérique
Victor Baysang-Michelin met également en avant un projet majeur mené avec le Medialab de Sciences Po : une recherche participative destinée à documenter le vécu des personnes éloignées du numérique. Le dispositif repose d’abord sur une série d’entretiens individuels, puis sur un mois complet durant lequel les participants tiennent « des « carnets de bord » numériques. Ils enregistrent des notes vocales, envoient des SMS, partagent des extraits d’agenda et consignent chaque situation où le numérique les aide ou, au contraire, les met en difficulté. Cette méthodologie permet de capter la réalité fine de l’exclusion numérique au quotidien.
À l’issue de cette phase, trois ateliers collectifs sont organisés. Le premier vise à transformer les expériences individuelles en récit collectif : identifier les problèmes récurrents, repérer les situations partagées et établir une liste de difficultés. Le deuxième atelier se concentre sur les solutions imaginées par les participants eux-mêmes, à partir de leurs besoins concrets. Le troisième est un atelier d’expression, destiné à produire un matériau brut (podcasts, vidéos, dessins ou tout autre format) illustrant ces vécus. Ces contenus serviront à accompagner les recommandations plus institutionnelles destinées aux décideurs, avec l’ambition de créer également une exposition. Le projet prévoit deux cohortes, en 2026 et 2027, afin de produire un livrable structurant à l’approche de l’élection présidentielle. Emmaüs Connect recherche actuellement un financement de 150 000 euros pour lancer cette initiative.
En conclusion, l’action contre l’exclusion numérique ne repose pas uniquement sur l’État ou les structures de médiation. Une partie de la réponse dépend aussi des entreprises du numérique, des designers, des équipes produit et de celles et ceux qui conçoivent les services du quotidien. Financements, mécénat de compétences, tests utilisateurs ou encore reconditionnement : les initiatives citées par Victor Baysang-Michelin montrent que des solutions existent déjà et peuvent être renforcées.
Pour Emmaüs Connect, la priorité est de poursuivre ce travail avec les utilisateurs et de soutenir les démarches qui s’appuient sur leurs besoins réels. Le secteur numérique dispose de leviers concrets pour y contribuer : l’enjeu est de les mobiliser de manière durable.
Victor Baysang-Michelin, Responsable plaidoyer
Victor Baysang-Michelin est chargé de plaidoyer chez Emmaüs Connect, où il travaille sur les enjeux d’inclusion numérique et d’accès aux droits. Titulaire d’un master en relations internationales, il a auparavant évolué dans le secteur de l’aide au développement, notamment au Kosovo puis au Nigeria dans le cadre de missions liées à l’AFD.
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