Comment le DMA va impacter le monde de la tech : décryptage de Mozilla
Quel impact aura le DMA sur les géants de la tech, sur les plus petites entreprises mais aussi sur les utilisateurs européens ? Toutes les réponses avec Owen Bennett, Senior policy manager chez Mozilla.
En mars dernier, l’Europe a conclu un accord provisoire concernant le DMA, une nouvelle législation pour mieux réguler l’économie du numérique et notamment limiter l’abus de position dominante des grands acteurs de la tech. Ainsi, le DMA est une étape importante pour le secteur technologique et pourrait bien bouleverser le marché du numérique.
Owen Bennett, Senior policy manager chez Mozilla
Avec 10 ans d’expérience professionnelle dans le domaine de la politique publique, Owen Bennett est un spécialiste du droit et de la réglementation d’Internet, et plus particulièrement des questions liées à la réglementation des contenus illégaux et préjudiciables en ligne. Au quotidien, il travaille sur un large éventail de thématiques telles que la cybersécurité, la concurrence et la vie privée. Owenn Bennett est diplômé en Droit des technologies de l’Information de l’université d’Édimbourg.
Le DMA devrait être adopté officiellement en automne 2022. En quoi est-ce une étape importante pour le secteur technologique ?
Ces dernières années, les marchés numériques sont devenus de plus en plus centralisés et de grandes entreprises technologiques, les gatekeepers, ont pris le contrôle de la vie en ligne. Les décideurs politiques et les consommateurs du monde entier s’en inquiètent, à juste titre.
Le DMA est un projet important, car il s’agit de l’une des premières tentatives systématiques d’établir des règles de conduite sur la manière dont ces grands acteurs traitent leurs concurrents, les développeurs indépendants ainsi que les consommateurs.
Bien que le texte final n’ait pas encore été publié, ses règles sont susceptibles de s’appliquer aux plus grandes plateformes de plusieurs secteurs, notamment celles du e-commerce, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les plateformes de partage de vidéos, les services de messagerie, les systèmes d’exploitation, l’informatique cloud, les navigateurs web, les assistants virtuels et les services de publicité en ligne.
S’il est mis en œuvre et appliqué efficacement, il pourrait contribuer à faire d’Internet la plateforme universelle où les entreprises de toute taille peuvent se faire concurrence et où les consommateurs ont la possibilité d’utiliser des logiciels autres que ceux des grandes entreprises.
Avec ces nouvelles règles numériques, quelles seront les principales obligations imposées aux géants de la tech ?
Les gatekeepers devront se conformer à un ensemble d’obligations quant à la manière dont ils traitent les consommateurs, les entreprises indépendantes et les développeurs qui utilisent leurs plateformes pour atteindre ces consommateurs finaux. Ces règles visent à maintenir la concurrence et à faire en sorte que les gatekeepers n’exploitent pas leur pouvoir pour donner un avantage déloyal à leurs propres produits par rapport aux concurrents et développeurs indépendants.
Par exemple, les plateformes de médias sociaux seront soumises à des restrictions quant à la manière dont elles combinent les données entre les produits ; les vendeurs en ligne ne pourront pas privilégier leurs propres produits au détriment de ceux des vendeurs tiers ; et les systèmes d’exploitation seront obligés de donner aux consommateurs plus de contrôle sur les applications qu’ils utilisent.
En quoi le DMA est une bonne nouvelle pour les petites entreprises (développeurs et e-commerçants) ?
Le DMA contribuera à réduire les mauvaises pratiques des gatekeepers qui empêchent les entreprises et les développeurs indépendants d’être compétitifs et d’offrir aux consommateurs des alternatives aux « Big Tech ».
Par exemple, il sera plus difficile pour les systèmes d’exploitation et les magasins d’applications des gatekeepers d’exercer une discrimination à l’encontre des applications tierces qui sont en concurrence avec leurs propres produits.
En outre, les dark patterns et autres techniques de conception manipulatrices seront interdites. C’est une excellente nouvelle pour les entreprises et les développeurs indépendants, car elles sont souvent déployées par les gatekeepers pour empêcher les consommateurs de s’affranchir des Big Tech.
Comment les utilisateurs européens des principales plateformes américaines seront-ils finalement impactés par le DMA ?
Nous pensons que les consommateurs méritent d’avoir accès à une variété de produits qui soient personnalisés en fonction de leurs préférences. Lorsqu’il s’agit de logiciels, les consommateurs devraient pouvoir essayer simplement et facilement de nouvelles applications, supprimer celles non désirées, passer de l’une à l’autre, en modifier les valeurs par défaut et s’attendre à des fonctionnalités et une utilisation similaires. Et lorsque les consommateurs prennent des décisions sur les logiciels qu’ils veulent utiliser, celles-ci doivent être respectées dans le temps. Le DMA vise à rendre cela possible et plus encore. Il peut redonner les commandes aux utilisateurs.
Est-ce que les géants de la tech pourraient se résoudre à retirer certains de leurs services en Europe ?
Il faudra attendre un certain temps avant que le DMA n’entre en vigueur et, au cours des six prochains mois, les régulateurs, les gatekeepers et les entreprises indépendantes s’efforceront de déterminer comment ces règles se traduiront en changements pratiques sur le marché. L’UE doit impérativement veiller à la bonne application du DMA. Les lois ne sont bonnes que si elles sont appliquées, et nous devons veiller à ce qu’elles mettent fin aux pratiques et aux politiques d’entreprise des gatekeepers qui ont sapé la concurrence sur les marchés numériques.
Mozilla soutient les autorités européennes sur ce projet DMA. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre vision à ce sujet ?
Nous avons été un fervent partisan du DMA depuis que l’idée de cette loi est apparue. Nous pensons qu’un Internet dynamique et ouvert dépend de conditions équitables, de normes ouvertes et d’opportunités pour une diversité d’acteurs du marché. Des lois comme le DMA peuvent nous aider à y parvenir.
Nous pensons que s’il est mis en œuvre et appliqué de manière efficace, le DMA peut aider à restaurer Internet pour en faire une plateforme universelle où les entreprises de toute taille peuvent se faire concurrence et où les consommateurs peuvent utiliser des logiciels autres que ceux des grandes entreprises.
Avec l’adoption du DMA, nous avons fait un pas de plus vers la réalisation de cette vision en Europe. Nous devons maintenant veiller à ce que ces nouvelles règles soient mises en pratique, qu’elles soient à la hauteur et que les responsables politiques des autres territoires fassent de même.