Chief Marketing Officer : décryptage d’un métier en pleine évolution
Nous avons interviewé Tifenn Dano Kwan, Chief Marketing Officer chez la licorne belge Collibra, et anciennement CMO chez Dropbox.
Grande passionnée de marketing avec « Dream Big » comme credo, Tifenn Dano Kwan s’est installée aux États-Unis, où elle a pu travailler pour de grands groupes tech de la Sillicon Valley. Aujourd’hui, elle a fait le choix de mettre à profit son expertise américaine pour accompagner les entreprises technologiques européennes. Dans cette interview, elle partage avec nous son expérience en tant que CMO et délivre les bonnes pratiques à adopter dans le domaine du marketing pour mieux accompagner les entreprises en croissance rapide.
Vous êtes CMO chez Collibra. Qu’est-ce que le métier de CMO, et plus particulièrement dans un environnement de startup en hypercroissance ? Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle et vos missions ?
J’ai rejoint Collibra en tant que CMO en mars 2021. Ma mission est claire, surtout dans cette mouvance d’hypercroissance : faire du marketing un levier de développement pour Collibra. Aller au-delà de la « fonction support » pour être un moteur stratégique de croissance. Mais également de rallier les ressources humaines à l’expertise technique pour mener des stratégies intégrées, fondées sur les données, en offrant des expériences client et un essor inégalés.
Concrètement, cela se traduit au quotidien par des actions menées autour du développement du pipeline commercial, d’une refonte de la narration basée sur les solutions et la valeur, d’une transformation globale en créant des expériences web et numériques intégrées, et en automatisant les flux Lead to Revenue (L2R). Il est important aussi de se recentrer sur la valeur client et défendre ses intérêts : en améliorant la valeur vie client et son coût d’acquisition, indispensables pour toute stratégie marketing réussie.
Comment le métier de CMO s’est-il transformé au cours des dernières années ? Quelles nouvelles missions avez-vous vu apparaître au cours de votre carrière professionnelle ?
Le mot d’ordre qui caractérise la transformation de notre métier est indéniablement la digitalisation. Même si elle a été amorcée depuis plusieurs années, la crise sanitaire l’a largement accélérée.
Notre quotidien a été complètement bouleversé : il ne s’agit plus d’un changement de missions mais plutôt de l’apparition d’un nouveau mode de travail.
De toute évidence, chaque entreprise technologique – et par extension toute entreprise – cherche à résoudre les défis auxquels sont confrontés ses clients. Mais aujourd’hui, les enjeux et challenges ne sont plus les mêmes. Il devient alors impératif de s’adresser aux prospects et clients là où ils se trouvent, peu importe le canal, et de les soutenir dans cet environnement en perpétuelle évolution.
Notre rôle en tant que marketeurs est de piloter ce changement, et de garder le cap sur les perspectives de croissance malgré les évolutions au sein de nos écosystèmes.
Vous étiez CMO chez Dropbox pendant la pandémie. Quel impact a eu la crise Covid-19 sur votre métier ? Quels ont été les bouleversements majeurs pour le secteur du marketing ? Comment l’avez-vous vécu ?
La crise sanitaire a eu un impact considérable sur la nature de notre activité : il faut savoir que Dropbox était initialement destiné à un marché B2C, mais de par le télétravail imposé par la pandémie, nous avons vu notre cible s’élargir pour atteindre un marché B2B. Nous avons peut-être été plus chanceux, ce développement nous a offert de plus larges perspectives sur la façon dont le marketing peut soutenir la croissance d’une entreprise.
Pour un marketeur, cette expérience ne peut être que transformatrice et passionnante.
Sur la nature de notre métier, il n’y a pas eu de véritable pivot, mais plutôt une accélération des discussions sur le futur du travail que Dropbox avait déjà entamées. Car avant même la crise du Covid-19, l’entreprise était déjà axée sur les données, avait une approche numérique et pensait à réinventer la façon dont les gens travaillaient. Il nous a fallu bien sûr nous adapter rapidement et repenser nos priorités. Il fallait se montrer flexible et agile, répondre à la demande en temps réel des clients. Nous devions veiller à ce que nos clients soient bien accompagnés : oublier toutes les feuilles de route et les planifications stratégiques qui n’étaient plus pertinentes, pour nous concentrer sur les besoins réels des clients à ce moment-là. C’était fascinant d’observer et de vivre cette adaptation !
Côté expérience internationale, vous avez travaillé pour plusieurs entreprises américaines : SAP Ariba, SAP Fieldglass, Dropbox… Qu’avez-vous retenu de cette expérience ? Leur approche et leur vision marketing diffèrent-elles beaucoup de celles des entreprises européennes ?
J’ai bien évidemment appris beaucoup de choses de ces expériences, qui ont été bénéfiques tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel. J’ai grandi avec ces entreprises, tout appris d’elles. En début de carrière, ces sociétés m’ont permis d’atteindre mes aspirations personnelles, à savoir vivre et travailler à San Francisco, où nous sommes en plein milieu des tendances et des évolutions de la transformation marketing. Ces expériences ont également forgé mon esprit de progression, qui au fil des années m’a incité à me diversifier et à tout simplement voir d’autres environnements.
Ce n’est pas tant l’approche qui est différente, mais il existe une dynamique particulière dans les entreprises américaines, que l’on ne retrouve pas ailleurs. C’est un véritable vivier et stimulus pour les personnes opérant dans la tech et le marketing.
Quelles sont les « best practices marketing » pour mieux accompagner les entreprises en croissance rapide telles que Collibra ?
Il est important – et encore plus dans les entreprises en croissance rapide à l’instar de Collibra – d’avoir une approche d’audit pour mesurer la performance des unités marketing. En général, il faut penser aux 6 axes suivants :
- Le Total Addressable Market (TAM) ou le marché total disponible : pour mieux comprendre le marché dans lequel on évolue et connaître les opportunités qu’il offre.
- Le budget marketing : pour vérifier que le budget est bien calibré et associé aux ambitions de l’entreprise.
- Les offres produits : pour analyser les offres dont on dispose, voir si elles sont innovantes et différenciantes par rapport aux concurrents, mais aussi pour mesurer les systèmes opérationnels internes permettant des lancements effectifs de nouveaux produits dans le marché.
- La narration : pour mettre en place des messages forts qui se différencient de la concurrence, expliquent de manière limpide les offres et attirent les partenaires, clients et talents.
- L’infrastructure digitale : pour renforcer la croissance et le développement de l’entreprise, dans le but de faciliter l’automatisation, l’accès aux données et de maximiser l’expérience client.
- L’humain : pour s’entourer des meilleurs profils et placer les bonnes personnes aux bons postes.
Il est aussi indispensable de s’élever de son rôle de pur marketeur pour devenir un réel « business partner« , qui se sert du marketing comme un conduit pour intensifier la valeur et soutenir la croissance.
Si on se penche sur les tendances marketing, quels sont les canaux ou leviers qui sont en train d’émerger ? Lesquels peuvent offrir de belles perspectives en termes de performances ?
À mon sens, deux leviers majeurs sont en train d’émerger pour soutenir les performances marketing :
- Tout d’abord : disposer d’un bon chef de produit – surtout dans les entreprises tech – capable d’assimiler la stratégie du marché, de créer et de porter des messages et contenus alimentant tous les canaux de croissance.
- Et ensuite : basculer d’un Account-Based Marketing (ABM) vers une Account-Based Experience (ABX), afin que l’entreprise entière s’intéresse au marché. Il faudra segmenter toutes les activités pour cibler de façon très précise et personnalisée les comptes et groupes d’achat sur le marché.
Selon vous, quels sont les points clés pour réussir en tant que CMO en 2022 ? Quels conseils pourriez-vous donner à des futurs CMO ?
Il est important d’établir des « BHAGs » (Big Hairy Audacious Goals) : en clair, avoir des ambitions stratégiques à étaler sur plusieurs années, et en accord avec l’équipe financière. Il ne faut pas hésiter à planifier des objectifs à long terme tout en étudiant les tendances car elles peuvent changer rapidement.
Ensuite, investir dans l’infrastructure de la performance digitale. La clé de la croissance est dans la capacité de produire à grande échelle au meilleur coût. Les outils de la performance digitale sont indispensables et requièrent une stratégie intégrée, surtout entre les équipes vente, marketing et informatique. En somme, plus tôt on s’y met, plus tôt on y gagne compétitivement.
La personnalisation, l’expérimentation et la localisation sont également essentielles pour mieux cibler la demande client.
Il faut aussi embaucher les « meilleurs », en proposant des avantages pour attirer et retenir les meilleurs profils sur le marché. Enfin, il s’agit aussi de privilégier les rencontres clients et partenaires, et dédier une grande partie de son agenda à ces rencontres externes.