Quel avenir pour les agences digitales ?
Grégory Pascal dresse un état des lieux du marché des agences digitales et de leur place auprès des annonceurs.
Alors que le panorama des acteurs gravitant autour de la communication digitale est fortement mouvant depuis ses débuts, nous avons rencontré Grégory Pascal pour comprendre les forces en équilibre. Président de l’AACC Digital (Association des Agences-Conseil en Communication), co-fondateur et CEO de l’agence Sensio Grey, Grégory Pascal porte un regard éclairé sur le marché des agences digitales. Il nous explique leur évolution depuis 20 ans, le rôle qu’elles jouent auprès des annonceurs et le futur qui les attend.
Pouvez-vous commencer par présenter le fonctionnement de l’AACC et votre rôle au sein de cette dernière ?
L’AACC est le syndicat des agences de communication et de marketing en France. Elle est structurée autour de délégations dont l’objectif est de réunir et faire converger les différentes problématiques liées au secteur. Je suis pour ma part président de la délégation digitale de l’AACC, qui est la plus grande délégation, avec 55 agences représentées.
D’une manière générale, le rôle de l’AACC est de défendre les intérêts des agences, de travailler sur un ensemble de sujets stratégiques qui vont des conventions collectives à la formation professionnelle, mais également sur les grands sujets de notre profession comme les compétitions ou la valorisation du travail des agences au profit des marques. Nous organisons également des évènements comme French Camp.
Au sein de la délégation digitale, deux grands sujets nous animent. Le premier est l’échange entre pairs. Nous nous retrouvons au moins une fois par mois entre présidents ou patrons d’agences pour échanger sur notre perception du marché, de son évolution, des grandes tendances, et aussi d’un certain nombre de sujets opérationnels. Le deuxième concerne les actions collectives, comme les compétitions, l’accompagnement des acteurs à mieux acheter des prestations dans le domaine digital, des actions auprès des grandes écoles de commerce et de publicité pour attirer des talents et susciter des vocations ou encore assurer des relations avec d’autres organismes professionnels comme le MEDEF ou France Digitale.
Comment le digital a-t-il impacté le paysage des agences en France ?
Cela a été un immense bouleversement qui a connu plusieurs phases. Je situerais la première entre 1996 et 2006. C’est une phase de pionniers qui a vu l’émergence de nouvelles agences, plutôt tournées tech, qui expérimentaient sur ce nouveau média. A partir de 2005-2006, il y a eu un basculement, du fait, notamment, de l’adoption massive de l’ADSL qui a permis de passer beaucoup plus de flux. On a alors connu un renforcement très fort de l’intérêt des agences d’une manière générale, et notamment des Directions Marketing, pour le sujet du digital. Deux phénomènes ont alors eu lieu : tout d’abord, une accélération très forte de la croissance des agences digitales, notamment des pure-players. De très belles agences se sont développées de manière importante et ont porté le secteur en France. Au niveau international, de très gros réseaux se sont constitués. Dans le même temps, un certain nombre d’agences digitales ont été rachetées par des grands groupes de publicité qui n’avaient pas réellement investi sur ce média et qui avaient besoin de ces acquisitions pour se développer.
Où en sommes-nous actuellement ? Comment est constitué le marché ?
Le sujet actuel est celui de la convergence. Le marché mondial est devenu colossal. De nombreux acteurs de types très différents sont arrivés pour tenter d’en prendre une part, chacun avec des clés d’entrée différentes. Dans la publicité et les agences de publicité, cela s’est fait soit par acquisitions successives soit par acquisition de compétences, avec un positionnement très ancré sur la marque digitale. Des acteurs du conseil comme Accenture mais aussi les ESN ont pris une place de plus en plus importante. Les plateformes et logiciels, comme Google et Facebook pour les plus connus, sont évidemment présents, de même que les médias, avec des groupes comme Webedia qui disposent d’offres intégrées.
Tous ces acteurs se côtoient et se partagent un énorme gâteau, en l’abordant de manière spécifique. Les agences publicité misent beaucoup sur la créativité. Les ESN attaquent par la dimension technologique. Les plateformes fournissent un mix de techno et d’activation. Les sociétés de conseils arrivent par le top management sur des sujets de transformation digitale. Et au milieu de tout cela, les agences digitales travaillent de manière hybride, en jouant à la fois sur la créativité, le contenu, la tech et la data. Nous jouons un rôle de one stop shop qui permet de déployer des stratégies en étant relativement généraliste dans l’approche. Dans ce marché global, chacun des acteurs cherche sa position et sa légitimité.
Les annonceurs internalisent dans le même temps de nombreuses compétences…
Effectivement, ce phénomène d’internalisation avance, qu’elle soit opérée directement par l’annonceur ou coopérée par l’agence et l’annonceur, comme nous le faisons parfois à SensioGrey. Mais ce flux n’est pas nouveau, il touche régulièrement les entreprises sur de nombreux sujets. C’est le cas en matière d’informatique depuis des années, par exemple. Par moment, les entreprises ont besoin de maitrise, ont trop confié de sujets à l’externe et souhaitent réinternaliser. Puis à d’autres moments, les problèmes d’attraction des talents ou d’animation des équipes poussent au chemin inverse. Il y a un mouvement permanent sur ces sujets, qui finit par s’équilibrer.
Globalement, un certain nombre d’annonceurs considèrent que le digital est absolument central et capital dans leur stratégie, cela explique ce besoin de maitrise et de compréhension, et donc le besoin de disposer de compétences fortes en interne. Mais dans le même temps, il y a une volonté de travailler avec des agences leads pour une meilleure coordination, pour appréhender tous les pans de stratégies aux dimensions multiples. Cette place d’agence lead est désormais donnée également aux agences digitales, plus seulement aux agences de publicité. C’est par exemple un choix qui a été fait au sein de WPP : nous avons décidé de rapprocher les réseaux digitaux et les réseaux publicitaires, avec une direction qui a été plutôt donnée au réseau digital.
Entre maker et créatif, quelle est la réelle place de ces agences aujourd’hui auprès des annonceurs ?
Pendant longtemps, les agences digitales avaient de fortes capacités à « faire », à produire des écosystèmes digitaux à l’aide de petites unités agiles. Mais de plus en plus, le sujet de la créativité devient central. Elles doivent donc renforcer leurs pôles créatifs, et faire émerger de fortes cultures digitales. Les agences digitales se caractérisent selon moi par trois piliers : la créativité, la tech et la data. Nous devons avoir une approche relativement équilibrée entre ces trois éléments, en cultivant notre culture, qui nous est propre et nous démarque des agences de publicité.
Quel futur voyez-vous pour les agences digitales ?
Je pense que l’une des grandes forces de ce secteur d’activité a toujours été d’apporter des idées qui vont permettre à des marques d’exister, de marquer les esprits des consommateurs, et d’accompagner ces consommateurs dans un parcours d’achat. Tout cela pour aider nos clients à trouver des positionnements uniques sur leur marché pour développer leur chiffre d’affaires et vendre leurs produits. C’est là que se trouve notre valeur ajoutée, quand les éditeurs de logiciels ou les cabinets conseils vont plutôt être dans des approches de process qui visent à optimiser la capacité de production. Leur métier est plutôt de transférer des savoir-faire d’une industrie à une autre ou d’un client à un autre. C’est tout simplement différent.
Aujourd’hui, on sait que les entreprises les plus valorisées sont celles capables de créer de la croissance. Donc, d’une manière générale, je reste confiant dans notre marché, parce que nos actions permettent de construire de belles marques, qui, à un moment donné, peuvent toucher les consommateurs et finalement faciliter la croissance des entreprises. D’ailleurs, même les plateformes comme Google ou Amazon investissent le marché publicitaire pour trouver des relais de croissance. Même s’ils ont leurs propres tuyaux, leurs propres outils, ils décident d’investir dans ces marchés-là. C’est un signe fort.
Je pense que les agences digitales sont les mieux placées pour répondre à cette problématique, si et seulement si elles conservent une légitimité sur ces trois piliers que j’ai mentionné tout à l’heure : la créativité, la tech et la data. Et je pense que l’un des grands enjeux va être, pour les agences digitales, de continuer à investir sur ces trois piliers, parce que je pense que la créativité seule ne pourra fonctionner que si on est capables de la déployer à travers la médiatisation et à travers l’utilisation des plateformes technologiques.
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