L’aube du créateur « centaure » : pourquoi l’IA ne vous remplacera pas (mais reconfigurera votre réalité)
Nous avons donné la parole à l’expert Patrick Bellair, qui nous partage sa vision du futur de la création digitale. Son message : l’IA ne va pas remplacer les professionnels du numérique, mais celles et ceux qui ne voudront pas la maîtriser.
Patrick Bellair, CEO
Patrick Bellair dirige La Dictature du Beau, une agence de communication digitale, dont l’objectif est de faire briller ses clients sur le digital, à travers du branding, des sites web, des campagnes marketing, de la communication… En marge de cette activité, il est photographe professionnel dans la beauté. Sa 3e casquette consiste à animer des conférences et des formations sur l’IA. « Ce qui est intéressant, c’est que, dans ces 3 aspects de ma carrière, l’IA a complètement changé la manière dont j’exerce ces métiers. »
Je me souviens parfaitement de la première fois où j’ai vu une intelligence artificielle générer une image complexe à partir d’une simple phrase. C’était un mélange de fascination absolue et de terreur sourde. Ce frisson, je sais que vous l’avez ressenti aussi. C’est le vertige de la page blanche qui disparaît subitement, remplacé par le clignotement frénétique d’un curseur qui semble, à cet instant précis, en savoir plus que nous.
Aujourd’hui, en écrivant ces lignes pour vous, professionnels du numérique, je ne suis pas ici pour nier ce vertige, mais pour le recadrer. Les rapports que j’analyse parlent d’un « tsunami ». Le mot n’est pas trop fort. Mais l’histoire des systèmes complexes nous enseigne que les tsunamis technologiques ne rasent pas tout sur leur passage ; ils reconfigurent le paysage. Ils détruisent le superflu pour laisser place à l’essentiel.
Ma thèse est simple mais radicale : l’IA ne va pas vous remplacer.
C’est un créateur utilisant l’IA qui remplacera celui qui refuse de le faire. Nous passons d’une ère de création « manuelle » et solitaire à une ère de création « symbiotique ».
Le miroir de l’histoire : de la peinture à la pixelisation
Pour calmer notre système nerveux collectif, regardons un instant dans le rétroviseur. Notre angoisse actuelle n’est pas inédite ; elle est un écho des peurs que chaque saut technologique a réveillées.
En 1839, lorsque le daguerréotype a été révélé, le peintre Paul Delaroche s’est exclamé : « À partir d’aujourd’hui, la peinture est morte ! » Pour lui, la capture du réel était l’unique but de l’art. Si une machine pouvait le faire chimiquement, à quoi bon mélanger des pigments ? Pourtant, la photographie n’a pas tué la peinture. Elle l’a libérée. Débarrassés de l’obligation utilitaire de représenter le réel (portraits de famille, documentation), les peintres ont pu explorer ce que la caméra ne pouvait pas voir : l’impression, l’émotion brute. Sans la photographie, nous n’aurions jamais eu l’impressionnisme.
Aujourd’hui, l’IA générative est notre photographie : elle nous libère de la production de l’image « moyenne », du texte « standard », du code « boilerplate ». Elle nous force à nous poser la question qui fâche : si la machine peut gérer le « comment », il nous reste la responsabilité du « pourquoi ».
Il en va de même pour la révolution de la PAO dans les années 80. On craignait que l’accès démocratisé aux outils de design via le Macintosh ne tue les typographes. Ce fut l’inverse. En rendant la création plus rapide, la PAO a explosé les barrières et démultiplié la demande pour le design graphique. Le métier ne s’est pas éteint ; il s’est complexifié.
Anatomie du centaure : les nouveaux workflows
Si l’histoire nous rassure, le présent nous oblige à l’action. Comment nos métiers changent-ils concrètement ? Ce qui émerge des agences les plus avant-gardistes, c’est la figure du « centaure » : une tête humaine pour la stratégie et l’émotion, greffée sur un corps de machine pour la puissance d’exécution.
Le graphiste : de l’exécutant au « curateur en chef »
Le métier de graphiste a longtemps été un mélange de créativité pure et de tâches techniques laborieuses. L’IA prend en charge la seconde partie avec une efficacité redoutable. Le directeur artistique de 2025 ne passe plus quatre heures à chercher des images ou monter une maquette. Il commence par une session de « prompting » intensif pour générer 50 variations d’un concept en 45 minutes.
Son rôle n’est plus de « faire » l’image pixel par pixel, mais de « choisir » la bonne image, de repérer l’accident heureux, l’angle inédit que la machine a proposé.
Il devient un « curateur en chef ». Il reprend ensuite la main pour injecter l’ADN de la marque et corriger les imperfections, là où l’œil humain reste souverain. Les créatifs, qui adoptent ce workflow, passent 80 % de leur temps sur la conception et l’idée, contre 20 % auparavant.
Ils ne vendent plus des heures de production, ils vendent une vision.
Le rédacteur et le SEO : la fin du « blabla »
C’est peut-être ici que la peur est la plus palpable. Si ChatGPT écrit un article correct en 10 secondes, est-ce la fin du rédacteur ? Oui, si ce rédacteur se contente de paraphraser ce qui existe déjà. Mais la réalité du SEO en 2025 change la donne : les moteurs de recherche deviennent des moteurs de réponse. Si votre contenu n’apporte rien de plus que la synthèse de l’IA, vous êtes invisible.
Le rédacteur de demain est un stratège. Il utilise l’IA pour structurer, mais rédige la couche finale avec une « densité humaine » maximale : humour, opinion tranchée, expérience vécue. C’est le retour de la voix et de la personnalité. De plus, une demande explose pour des experts capables de « tuner » des modèles d’IA pour qu’ils respectent le ton spécifique d’une marque.
Le rédacteur devient un entraîneur de modèles linguistiques.
Le développeur : architecte plutôt que maçon
La barrière de la syntaxe s’effondre. L’IA écrit du code plus vite que n’importe quel junior. Mais un développeur qui copie-colle du code IA sans le comprendre crée une dette technique massive.
Le développeur évolue donc vers un rôle de superviseur, d’auditeur et d’architecte.
Il doit avoir une vision systémique pour assembler les briques générées par l’IA de manière sécurisée.
La forteresse humaine : ce que la machine ne peut pas changer (pour le moment)
Dans cette reconfiguration, il existe des zones franches, des « douves » que l’IA ne peut franchir. Ce sont vos avantages compétitifs inaliénables :
- L’empathie et la connexion : même techniquement parfaite, une œuvre est moins valorisée si l’on sait qu’elle vient d’une machine. Nous cherchons l’intention d’un autre être humain. Dans la relation client, l’IA peut générer un email, mais elle ne peut pas sentir le moment exact où il faut décrocher son téléphone pour désamorcer une crise.
- La pensée critique et l’éthique : l’IA est une machine à consensus, entraînée sur la moyenne. Elle reproduit les stéréotypes. La vraie créativité humaine consiste souvent à aller contre le consensus, à être subversif. C’est nous qui devons apporter cette étincelle de rébellion. De plus, savoir si l’on doit faire quelque chose (éthique), et pas seulement si on peut le faire, reste une prérogative humaine cruciale.
- L’expérience du monde physique : l’IA n’a pas de corps. Elle n’a jamais senti la pluie, jamais eu le cœur brisé. Elle simule, mais ne connaît pas. Dans un monde saturé de synthétique, le récit d’une expérience réelle, incarnée (« je l’ai vécu »), prend une valeur immense.
Votre feuille de route : agir dès lundi
L’attentisme est la seule erreur fatale. Voici une feuille de route pragmatique pour naviguer dans cette transition.
1. Auditez votre « exposition à l’IA »
Prenez vos tâches de la semaine dernière. Surlignez en rouge ce qui est répétitif et technique (le « comment »). Surlignez en vert ce qui demande de l’empathie, du jugement complexe et de la créativité (le « pourquoi »). Votre objectif est d’automatiser le rouge pour passer 80 % de votre temps dans le vert. C’est là que réside votre sécurité de l’emploi.
2. Cultivez votre « culture du prompt »
Apprendre à prompter est la nouvelle alphabétisation. Mais attention, ne vous limitez pas à la technique. Ce qu’il faut développer, c’est la culture du prompt : savoir référencer des styles artistiques précis, des concepts philosophiques, des structures narratives. Plus votre culture générale est riche, plus vous tirerez de jus de la machine.
Votre culture est le carburant de l’IA.
3. Investissez dans votre marque personnelle
Dans un monde de contenu infini, la seule chose rare, c’est vous. Votre histoire, votre visage, votre voix. N’ayez pas peur d’être subjectif. L’IA est lisse ; soyez rugueux. C’est cette « rugosité » humaine qui créera l’attachement avec votre audience.
4. Apprenez à apprendre (la règle des 5 heures)
Consacrez cinq heures par semaine à tester un nouvel outil ou à apprendre une compétence adjacente. Les profils « T-Shaped » (une expertise forte + une large culture technologique) sont ceux qui prospéreront.
Saisissez correctement l’opportunité
Je ne vais pas vous mentir : il y aura de la casse. Le modèle économique de l’agence qui vend du volume, ou du freelance qui vend de l’exécution pure, est révolu. Mais je refuse le pessimisme passif. Nous avons la chance inouïe de vivre l’une des transformations les plus excitantes de l’histoire.
Nous allons voir émerger des formes d’art inimaginables et réaliser des projets ambitieux avec des équipes réduites. Nous pouvons nous débarrasser des tâches aliénantes pour nous concentrer sur ce qui nous rend humains : la connexion, l’émotion, le rêve.
Aux lecteurs du BDM, je dis ceci : ne soyez pas les spectateurs de cette révolution. Ne soyez pas les victimes qui attendent d’être remplacées. Soyez les pilotes. L’IA n’a pas d’imagination, elle n’a que de la mémoire. L’imagination, c’est vous. L’avenir, c’est nous.
Alors, on s’y met ?
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