Après les abus des influenceurs, les mesures prises sont-elles à la hauteur des enjeux ?

En quoi consistent les mesures adoptées afin de réguler le monde de l’influence, en particulier depuis le scandale « influvoleurs » ? Et sont-elles vraiment suffisantes ?

Influence Responsable Dubai
Plusieurs initiatives ont été mises en place pour encadrer le métier : nouvelle législation, certification "influence responsable", guide à destination des influenceurs. © EdNurg - stock.adobe.com

Au début du mois de juin, l’Assemblée nationale puis le Sénat ont adopté la loi visant à encadrer les pratiques des influenceurs. La nouvelle législation résulte de nombreuses discussions initiées par le ministère de l’Économie et fait suite aux différentes dérives qui ont entaché le monde de l’influence, en particulier l’affaire influvoleurs. Mais les mesures sont-elles adaptées aux défis de ce métier émergeant ? Peut-on parvenir à une influence responsable, notion adoptée par l’ARPP (autorité de régulation professionnelle de la publicité) ?

Pour réfléchir à cette problématique, nous avons échangé avec Quentin Bordage, fondateur de Kolsquare, une plateforme de mise en relation entre marques et influenceurs, et auteur d’une newsletter consacrée à l’influence responsable. L’entrepreneur a participé à la totalité des consultations à Bercy.

Influvoleurs : le monde de l’influence secoué par de nombreuses mises en cause

Booba, « lanceur d’alerte »

Les dérives des influenceurs, en particulier de ceux issus de la téléréalité ou basés à Dubai, étaient un phénomène communément admis. Depuis plusieurs années, de nombreuses pratiques douteuses – voire illégales – ont été pointées du doigt : publicité déguisée ou mensongère, dropshipping, promotion de la chirurgie esthétique, de produits de contrefaçon ou dangereux pour la santé, etc. Pour autant, les créateurs de contenu ont rarement été inquiétés pour ces excès.

Au début de l’année 2022, le rappeur Booba décide – en raison de querelles personnelles l’opposant à l’influenceur Marc Blata – de s’intéresser à cet univers. Élie Yaffa (de son vrai nom) se donne alors pour mission de dénoncer ce système, en ciblant une de ses figures de proue : Magali Berdah, directrice de l’agence d’influenceurs Shauna Events. Au journal Libération, Booba explique les raisons de cette démarche : « Au-delà de n’avoir aucun talent, de faire la promotion de la culture du vide, de la débilité et de ne pas payer leurs impôts en France, ils entubent [sic] des citoyens (notamment des adolescents) en leur vendant des saloperies. »

La forte visibilité du rappeur contribue à mettre le sujet à l’agenda médiatique, et la classe politique s’en empare progressivement. Interrogé par France Info, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, réagit : « [Booba] a raison de rappeler qu’il y a des dérives, qu’elles sont inacceptables, et nous y mettrons fin. »

Dérives de l’influence : un sujet très médiatique

Les dénonciations de Booba se couplent donc à une forte couverture médiatique qui amplifie la visibilité du débat relatif aux influvoleurs. En juillet 2022, Libération consacre sa Une au rappeur, ainsi qu’un sujet de quatre pages sur les dérives des influenceurs. Symbole de l’effervescence autour de cette thématique : le reportage de Complément d’Enquête, intitulé Arnaques, Fric et Politique : le vrai business des influenceurs et diffusé en septembre 2022, atteint les 372 000 visionnages en streaming en 24 heures, un record tout programme confondu pour France Télévision.

Sur les réseaux sociaux, le sujet prend également de l’ampleur et Magali Berdah se retrouve ciblée par un cyberharcèlement continu, caractérisé par des messages d’appel au suicide et par la divulgation d’informations privées en ligne.

Des outils pour réguler le monde de l’influence

Une loi portée par le ministère de l’Économie

Si le Gouvernement avait pour projet d’encadrer le métier d’influenceur, la forte médiatisation du scandale influvoleurs, ainsi que les différentes initiatives parlementaires, ont participé à accélérer le calendrier. Le ministère de l’Économie s’est donc impliqué dans une proposition de loi transpartisane déposée par les députés Stéphane Vojetta (Renaissance) et Arthur Delaporte (Parti Socialiste). Selon Quentin Bordage, l’enjeu des discussions était de proposer un cadre légal visant à limiter les dérives, tout en préservant la liberté de création des influenceurs.

Le discours a toujours été un peu le même de la part de Bruno Le Maire et de ses équipes : c’est un marché qui est conséquent, qui est en train de grossir, qui prend de l’ampleur. Il ne faut pas le brider […] Aujourd’hui, il y a 150 000 influenceurs au-dessus de 5 000 followers, donc il y a une activité économique et créative qui se développe autour de ça.

La proposition de loi, adoptée a l’unanimité, établit plusieurs règles, dont l’interdiction de promouvoir certains biens et services comme la chirurgie esthétique – de ce point de vue, la loi va plus loin que la loi régulant la publicité -, l’obligation de mentionner les retouches sur les photos à visée publicitaire ou la création d’une assurance civile pour les influenceurs installés à l’étranger. Une brigade de l’influence responsable constituée de 15 agents et abritée par la DGCCRF a également été créée. Si l’activité d’influenceur était déjà soumise aux lois relatives à la publicité, Quentin Bordage estime que cette nouvelle législation a pour intérêt de dissiper le flou sur l’univers de l’influence.

L’avantage de cette loi, c’est qu’elle a permis de définir ce qu’était un influenceur et un agent. Cela a établi les rôles et responsabilités de chacun. Le guide de bonne conduite a aussi permis de clarifier les choses.

Le 2 juin 2023, dans la foulée de l’adoption de la loi, 6 influenceurs ont été sanctionnés pour pratiques commerciales trompeuses et contraints d’épingler sur leur compte Instagram une publication de la répression des fraudes durant un mois. Le 20 juillet, trois nouveaux influenceurs ont reçu une mise en demeure de la DGCCRF, pour le même motif.

Capucine Anav Influence Responsable
La DGCCRF reproche notamment à l’influenceuse Capucine Anav d’avoir fait la promotion des bienfaits d’un patch anti-ondes sur la santé, sans preuve scientifique. © Capture BDM

Un guide des droits et des devoirs

Parallèlement à la loi, le ministère de l’Intérieur a publié un document intitulé Guide de bonne conduite, Influenceurs et créateurs de contenus : L’essentiel de vos droits et devoirs, qui répertorie l’ensemble des règles qui s’appliquent aux créateurs de contenus, ainsi que des informations de nature administrative (déclaration de l’activité, obligations fiscales et sociales, relation contractuelle liant l’influenceur avec l’agence, etc.). Pour Quentin Bordage, le guide représente une occasion de communiquer auprès des influenceurs, dont certains ignorent les règles qui régissent leur activité.

Les règles sont parfois méconnues par les marques, et surtout par les influenceurs. Ils sont souvent très jeunes, n’ont pas de formation spécifique et viennent également d’autres activités : ils peuvent être sportifs, créateurs ou écrivains […] Le guide de bonne conduite est aussi là pour informer sur ces règles qui ne sont pas toujours nouvelles, mais qui étaient méconnues.

Si le guide se veut pédagogique, il s’avère également dissuasif : en fin de document, un rappel des sanctions encourues est présenté.

Un certificat de l’Influence responsable

La certification « Influence responsable », éditée par l’ARPP, n’est pas nouvelle. À destination des influenceurs, elle a été créée en 2021 afin de « promouvoir un marketing d’influence éthique et responsable, respectueux des publics ». Concrètement, pour obtenir la certification, les influenceurs doivent suivre un parcours de préparation d’environ 3h30 répertoriant les principales règles éthiques et juridiques, avant de passer le certificat pour lequel ils doivent obtenir au moins 75 % de bonnes réponses.

Cette certification ne peut assurer aux annonceurs que l’influenceur respecte les règles, mais elle offre toutefois une indication quant à la démarche du créateur, comme le rappelle Quentin Bordage : « Elle n’est pas une garantie que ces influenceurs font tout parfaitement. En revanche, c’est une assurance qu’ils ont fait une formation, qu’ils savent ce qu’il faut faire pour avoir une pratique qui respecte la loi. » L’entrepreneur, dont la plateforme fait le lien entre marques et créateurs, a constaté un réel intérêt des entreprises pour cette certification, même si celle-ci ne concerne que peu d’influenceurs à ce jour.

Les marques sont très intéressées par le fait de se tourner vers des influenceurs certifiés, parce que ça leur permet de limiter le risque et de travailler aussi de manière plus sereine. Mais il y a encore peu d’influenceurs certifiés : 800 sur les 150 000 que j’évoquais. Mais ça va augmenter et c’est une bonne chose.

Influence responsable : comment aller plus loin ?

La loi représente-t-elle un changement majeur ?

Comme l’explique Quentin Bordage, la nouvelle loi permet de clarifier les règles du monde de l’influence, sans toutefois bouleverser le cadre. Si ce choix permet de protéger la liberté créative des influenceurs, l’UFC Que Choisir regrette que la loi n’aille pas assez loin. Dans un article publié sur son site et intitulé Encadrement des influenceurs – Un grand débat pour pas grand-chose, la première association de consommateurs en France rappelle, par la plume du journaliste Cyril Brosset, qu’un grand nombre de mesures étaient déjà applicables auparavant :

La loi du 19 octobre 2020, entrée en vigueur il y a quelques semaines, protège déjà les jeunes influenceurs […] Quant à l’encadrement des messages des influenceurs sur certains produits, il est logique, dans la mesure où les interventions rémunérées sont considérées comme de la publicité, que les dispositions en vigueur à la télévision s’appliquent aussi sur les réseaux sociaux.

Au sujet des nouveautés introduites, comme la brigade de l’influence commerciale ou le guide des droits et devoirs, l’UFC Que Choisir exprime à nouveau des doutes sur l’efficacité réelle des différentes actions : « Pas sûr que ce document, dont la consultation sera facultative, servira à quelque chose. »

Une responsabilité limitée pour les plateformes

La loi établit ainsi clairement le rôle des influenceurs et des agences, qui ont la responsabilité de leurs activités. Mais quelle est celle imputable aux réseaux sociaux ? Sur ce point la loi reste timide : les plateformes devront simplement mettre en place « des mécanismes de signalements des arnaques facilement accessibles » et produire un rapport annuel sur les signalements reçus.

Selon Quentin Bordage, les représentants des réseaux sociaux se sont montrés réticents durant les consultations à l’idée de modérer eux-mêmes les contenus problématiques : « Il y a eu aussi un accord qui a été signé avec les réseaux sociaux, mais ce n’est pas allé beaucoup plus loin. Le gouvernement demandait aux plateformes si elles étaient en mesure de faire remonter les contenus qui ne respectaient pas la loi, voire de les supprimer, mais les plateformes ont considéré que ce n’était pas leur rôle. »

Notons toutefois que, en application du Digital Services Act (DSA), la responsabilité des grandes plateformes pourrait être engagée en cas de contenus nuisibles.

Qu’en est-il de l’environnement ?

La question écologique est au cœur du paradoxe qui entoure les influenceurs : comment avoir un impact positif sur l’environnement quand la nature même de l’activité consiste à encourager la consommation ? Au mois d’avril 2023, le Youtubeur Sebastien Frit (SEB sur YouTube), diffusait un reportage relatant son voyage au Kirghizistan, afin de mettre en exergue le désastre environnemental que représente la fonte des glaciers dans la région. Si l’engagement du créateur est manifestement sincère, celui-ci se montre conscient des limites de sa position :

Je ne veux pas que les gens me voient comme un porte étendard. Je ne suis pas en train de greenwasher mon image […] De toute façon, c’est très contradictoire, parce que vous allez me voir vendre des trucs, j’ai un métier de consommation, explique SEB à Konbini.

Pour autant, le pouvoir des influenceurs est réel pour enclencher une dynamique de consommation plus responsable. Dans son troisième rapport, publié en avril 2022, le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) écrivait notamment :« Les influenceurs sociaux et les leaders d’opinion peuvent favoriser l’adoption de technologies, de comportements et de modes de vie à faible émission de carbone. » De son côté, l’ARPP a récemment renforcé son certificat de l’influence responsable, en y intégrant un module sur le développement durable.

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