Apprentissage des langues : « L’IA doit amplifier l’expertise humaine, jamais la remplacer »

Linguiste et cheffe de la production de contenu d’apprentissage chez Babbel, Sophie Vignoles nous explique comment l’IA transforme l’apprentissage des langues, tout en restant guidée par la pédagogie et la dimension humaine.

April 9, 2022, Brazil. In this photo illustration the Babbel logo seen displayed on a smartphone.
Chez Babbel, l’expertise humaine reste essentielle pour accompagner les apprenants dans leur apprentissage des langues. © Rafael Henrique - stock.adobe.com

L’apprentissage des langues connaît une profonde mutation avec l’essor de l’IA. En tant que linguiste, quel regard portez-vous sur cette évolution récente ?

L’IA transforme fondamentalement l’apprentissage des langues en le rendant plus adaptable, plus accessible et plus valorisant. Chez Babbel, l’IA n’est pas envisagée comme un substitut à l’expertise humaine, mais comme un outil puissant qui amplifie une pédagogie déjà éprouvée. Le paysage des produits numériques est en pleine mutation : les apprenants attendent désormais une maîtrise réelle de la langue dans la vie quotidienne, et non plus seulement des exercices de vocabulaire ou de traduction.

La véritable transformation ne consiste pas simplement à rendre la technologie plus intelligente, mais à résoudre des difficultés d’apprentissage réelles, persistantes depuis des décennies.

Notre approche repose davantage sur les questions que sur les réponses. Après 18 ans d’expérience et plus de 25 millions d’apprenants, nous savons que le principal obstacle à l’apprentissage n’est ni la grammaire ni le vocabulaire, mais la confiance et l’anxiété à l’idée de parler. C’est précisément là que l’IA peut faire une réelle différence. Elle permet d’aborder ces défis en offrant une pratique sûre, sans jugement, accompagnée d’un retour immédiat. L’enjeu est de faire en sorte que l’IA serve les objectifs réels de maîtrise linguistique, en répondant à des besoins concrets plutôt qu’en créant des fonctionnalités spectaculaires. Les solutions les plus efficaces allient toujours technologie et savoir humain.

Notre philosophie consiste à faire de l’IA un levier au service des besoins réels des apprenants : favoriser la connexion authentique, la fluidité culturelle et la communication sincère, et non un usage purement transactionnel de la langue.

Qu’est-ce que l’IA apporte concrètement aux utilisateurs souhaitant apprendre une nouvelle langue ? Avez-vous des exemples précis ?

L’IA permet de proposer un retour personnalisé et en temps réel, ainsi qu’un parcours d’apprentissage adapté aux besoins de chaque utilisateur. Par exemple, Babbel Speak utilise la reconnaissance vocale alimentée par l’IA pour guider les apprenants à travers des conversations réalistes, comme commander un café, saluer ses voisins ou parler de ses centres d’intérêt, en fonction de leur niveau et de leurs objectifs.

L’expérience est à la fois structurée et flexible : les utilisateurs commencent par des scripts guidés, puis évoluent progressivement vers un dialogue plus libre et plus naturel, tout en recevant des retours bienveillants axés sur la confiance plutôt que sur la simple correction.

Notre IA aide également à réduire la charge cognitive et l’anxiété grâce à des visuels apaisants, des consignes claires et une progression conçue par des experts linguistiques.

Dans le cadre de projets B2B, comme avec l’équipe Inter Miami CF, nous avons même créé des scénarios sur mesure pour des environnements professionnels, démontrant comment l’IA peut soutenir une communication authentique dans des contextes variés.

L’IA peut-elle vraiment comprendre les subtilités culturelles et linguistiques nécessaires à un apprentissage de qualité ?

C’est précisément sur ce point que l’expertise humaine devient essentielle. Chez Babbel, chaque conversation alimentée par l’IA est conçue, encadrée et continuellement revue par nos équipes d’experts linguistiques. Ce sont les humains qui décident des scénarios pertinents, de leur structure, des éléments culturels à mettre en avant et de la manière de maintenir une conversation vivante lorsque l’apprenant bloque. L’IA apporte adaptabilité et variété, mais elle agit dans un cadre pédagogique garantissant authenticité et pertinence.

Nos experts ne sont pas seulement des locuteurs natifs : ce sont des professionnels qui conçoivent nos contenus depuis 2007 et possèdent une compréhension approfondie des modes de communication propres à chaque culture.

Par exemple, nos scénarios en français reflètent les véritables schémas conversationnels et les codes sociaux français, et non de simples traductions de dialogues anglophones.

Quelles sont ses limites actuelles et comment y remédier, selon vous ?

Des limites subsistent : l’IA peut passer à côté de nuances ou produire des réponses génériques sans supervision humaine. Pour y remédier, nous avons mis en place un contrôle qualité rigoureux, des révisions continues par nos experts et des boucles de retour permanentes avec les utilisateurs.

Notre philosophie est claire : l’IA doit renforcer et amplifier l’expertise humaine, jamais la remplacer.

Certes, elle peut vous aider à commander un café crème à Paris, mais elle ne saura pas reproduire la chaleur humaine ni ce sentiment d’appartenance lorsque le barista vous salue comme un habitué.

Comment parvenez-vous à gérer la qualité et la vérification des contenus générés par IA ? Quelle est l’approche adoptée par Babbel à ce sujet ?

L’assurance qualité est intégrée à chaque étape de notre processus. Nos experts linguistiques interviennent dès la conception de l’architecture des contenus, puis tout au long des phases de test et d’amélioration. Concrètement, la qualité est garantie par un processus de « human-in-the-loop » : les experts conçoivent les scénarios, définissent les objectifs d’apprentissage et testent régulièrement les résultats produits par l’IA. L’équipe de contenu, composée de linguistes et d’enseignants expérimentés, fixe les standards culturels et pédagogiques, tandis que l’IA génère des interactions dynamiques à l’intérieur de ces paramètres.

Nos spécialistes passent des mois à élaborer des prompts destinés à guider l’IA pour qu’elle réponde non seulement avec une grammaire correcte, mais aussi avec le bon équilibre entre encouragement et défi.

Chaque scénario de Babbel Speak est conçu et relu par des linguistes, puis testé et affiné selon les retours utilisateurs. Un contrôle qualité continu garantit des conversations précises, culturellement adaptées et pédagogiquement solides.

Notre IA ne crée jamais de contenu d’apprentissage de manière autonome : elle agit toujours comme un assistant au sein d’un système gouverné par l’expertise humaine.

Concrètement, quels outils ou processus avez-vous mis en place pour intégrer l’IA dans votre chaîne de production de contenus pédagogiques ?

Nous avons développé un flux de travail collaboratif où linguistes et spécialistes de l’IA travaillent main dans la main. Les experts humains conçoivent les schémas conversationnels, le contexte culturel et les objectifs pédagogiques, puis entraînent l’IA à l’aide de prompts et d’exemples soigneusement élaborés. L’IA est utilisée pour générer un flux de conversation naturel et adapter les réponses en temps réel, mais toujours à l’intérieur de scénarios conçus par des humains.

Notre processus inclut une expérimentation poussée avec les modèles de langage (LLM, pour Large Language Models, ndlr) pour trouver le juste équilibre en matière d’expérience utilisateur. Nous avons développé notre propre technologie de reconnaissance vocale et un moteur d’apprentissage adaptatif basé sur le filtrage collaboratif pour la personnalisation. Des tests utilisateurs réguliers, des analyses de données et de retours assurent que l’intégration de l’IA améliore réellement les résultats d’apprentissage, et pas seulement l’efficacité du processus.

L’innovation clé réside dans notre processus de conception de prompts au cours duquel les experts enseignent à l’IA des techniques subtiles, comme le maintien du flux de conversation ou la détection d’une perte de confiance chez l’utilisateur. L’IA apprend ainsi à adapter la difficulté en temps réel, dans le cadre pédagogique établi par nos experts.

Quels gains de productivité ou d’efficacité avez-vous mesurés depuis l’intégration de l’IA au sein de l’application Babbel ?

L’intégration de l’IA nous a permis d’offrir des expériences d’apprentissage personnalisées à grande échelle, ce qui serait impossible avec des tuteurs humains seuls. Cela a accéléré la création de nouveaux scénarios, la mise à jour des contenus et la réponse aux besoins des utilisateurs. L’IA permet également d’itérer rapidement sur des fonctionnalités, comme Babbel Speak, en fonction des retours des apprenants, garantissant une amélioration continue.

Pour les utilisateurs, cela se traduit par une progression plus rapide, des exercices plus pertinents et une transition plus fluide entre la théorie et la conversation réelle.

Comment Babbel se différencie face aux autres acteurs du marché (concurrents, mais aussi ChatGPT, Google Translate…) ?

La différence fondamentale réside dans la finalité et la profondeur. Des outils comme Google Translate répondent à une urgence, quand on est perdu à Paris et qu’il faut demander son chemin sur-le-champ. Babbel, elle, s’occupe de la relation, quand on veut vraiment échanger avec sa belle-famille britannique. Les traducteurs automatiques apportent des solutions instantanées, mais ne développent pas de compétences durables.

Les autres éléments différenciateurs de Babbel sont sa pédagogie centrée sur l’humain, son accent sur la communication réelle et son engagement envers la pertinence culturelle.

Contrairement aux outils d’IA généralistes, excellents pour la traduction instantanée ou la conversation libre, Babbel est conçue pour aider les utilisateurs à apprendre, à retenir et à utiliser une langue avec confiance dans la vie réelle. La maîtrise culturelle et la confiance ne peuvent pas être automatisées : elles doivent se développer.

Notre curriculum est élaboré par des experts, et non généré ou crowdsourcé sans supervision. Des fonctionnalités comme Babbel Speak sont spécifiquement pensées pour réduire l’anxiété à l’oral et renforcer la compétence communicative, pas seulement pour donner la bonne réponse. Nous privilégions aussi l’apprentissage fondé sur des preuves, en collaborant avec des chercheurs indépendants pour valider notre efficacité et en ajustant en permanence notre approche selon les résultats obtenus.

Ce qui rend Babbel Speak unique, c’est son socle : 18 ans de méthodologie éprouvée, plus de 25 millions d’apprenants et 60 000 leçons créées par des professionnels.

Contrairement aux applications qui s’arrêtent à la pratique du vocabulaire, chaque scénario s’appuie sur notre curriculum existant. Ce n’est pas une fonctionnalité isolée, mais l’évolution naturelle de notre parcours d’apprentissage.

Chez Babbel, c’est la pédagogie qui guide, et l’IA qui s’adapte, pas l’inverse.

Comment voyez-vous l’évolution du marché de l’apprentissage des langues dans les années à venir ?

L’avenir de l’apprentissage des langues repose sur une combinaison réfléchie de technologie avancée et d’expertise humaine, une philosophie que Babbel défend depuis 2007. Le marché évolue vers des expériences hyperpersonnalisées et multimodales, où l’IA soutient sans jamais remplacer la force transformatrice de l’accompagnement humain.

Quels seront les prochains défis à relever pour les professionnels de ce secteur d’après vous ?

Le plus grand défi à venir sera de trouver l’équilibre entre innovation technologique et authenticité humaine et culturelle. À mesure que l’IA devient plus sophistiquée, la tentation d’automatiser chaque aspect de l’apprentissage augmente. Or, la véritable maîtrise linguistique est une transformation, pas une transaction : elle développe la flexibilité cognitive et la connexion humaine d’une manière que la traduction ne pourra jamais reproduire.

Un autre défi majeur sera la préservation de la confiance. Face à la multiplication des nouveaux outils, les utilisateurs exigeront de plus en plus de transparence scientifique, de preuves d’efficacité et de résultats concrets.

Chez Babbel, la vision est claire : un avenir où l’IA aide chaque apprenant à trouver son propre chemin vers la fluidité, toujours guidé par la sagesse et l’expérience de professeurs passionnés.

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Sophie Vignoles, Linguiste et cheffe de la production de contenu d'apprentissage

Sophie Vignoles est linguiste et cheffe de la production de contenu d’apprentissage chez Babbel, où elle pilote la stratégie éducative depuis 2017. Basée à Berlin, elle supervise les projets pédagogiques et coordonne les équipes linguistiques. Polyglotte diplômée en France et en Irlande, elle s’intéresse aux liens entre langue et culture.

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