Apprendre, transmettre, questionner : le quotidien d’un ingénieur de recherche en cybersécurité à l’Inria
Plongez dans le quotidien d’Alexandre Sanchez, qui exerce ce métier au Centre Inria de l’Université de Rennes.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis un facilitateur. J’ai une expertise technique qui me conduit à faciliter les choses, à les mutualiser pour ne pas perdre trop de temps, et se concentrer sur les travaux de recherche. Je suis ingénieur de recherche à l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique, ndlr) à Rennes, dans le service expérimentation et développement, qu’on appelle le CED.
En quoi consiste votre métier précisément ?
Mon métier est une fonction de support à la recherche. On peut même dire que c’est une fonction support « ++ » parce que l’on est quand même très impliqué dans la recherche. Cela consiste à aider les chercheurs, les doctorants, à avancer dans leurs recherches de la meilleure façon possible, de la manière la plus efficace, sans avoir à se soucier des soucis techniques.
Quelle est votre journée type ?
Je n’ai pas vraiment de journée type, parce que les demandes sont quand même très diverses et variées. Je travaille avec trois équipes qui font de la cybersécurité. Dans une seule équipe, il peut y avoir une douzaine de doctorants facilement, et chaque doctorant a son sujet. Parfois, ils ont des difficultés sur des choses comme de la compilation de codes, parfois ils ont des difficultés sur la façon d’exploiter les données, et parfois il y a des sujets de long terme.
En cybersécurité, on va être sur du cloisonnement, des expérimentations, pour ne pas mettre en danger le système d’information de l’Inria.
Chaque jour, je vais avoir des demandes différentes. Même si mon rôle consiste à structurer mon travail et d’avoir une roadmap, chaque journée est un peu différente. Le matin, j’arrive en me demandant ce qu’il va me « tomber dessus aujourd’hui ».
Quel a été votre parcours pour en arriver là ?
J’ai suivi un parcours universitaire à Paris, à Jussieu. À l’époque, on appelait cela un DEUG, puis j’ai fait une licence, ensuite une maîtrise et un DESS, jusqu’à un niveau bac+5. Mais cela ne me donnait pas le statut d’ingénieur. J’ai commencé en allant travailler dans des départements de R&D dans le privé, pendant 12 ans.
Je me suis rendu compte que cette expérience manquait cruellement de sens pour moi, notamment le fait de ne penser qu’en termes de productivité et de rentabilité.
J’ai donc voulu rejoindre le service public, où j’ai eu des opportunités en tant que contractuel. J’ai commencé par des CDD, avant de rejoindre un laboratoire de recherche, puis l’Inria, où je me suis complètement épanoui. Même si les écoles d’ingénieurs représentent la « voie royale », en passant par l’université, je n’ai pas rencontré de difficultés.
Qu’est-ce que vous préférez dans votre métier ?
Ce que j’adore dans mon métier, c’est le fait d’apprendre de nouvelles choses tout le temps. Pratiquement chaque mois, il y a de nouvelles technologies, de nouveaux challenges technico-scientifiques, et je trouve cela super ! Par contre, ce qui me fatigue dans mon métier, c’est que chaque mois à peu près, il y a des choses nouvelles à apprendre. Voilà, c’est un peu le revers de la médaille (rires).
C’est cool parce que c’est tout le temps challengeant, mais c’est aussi difficile de pouvoir consolider des bases de connaissances sur la durée.
Quelles compétences faut-il avoir pour devenir ingénieur de recherche en cybersécurité ?
En tant qu’ingénieur de recherche, il faut de la patience. Je n’en avais pas forcément beaucoup avant. C’est important parce que l’on va travailler sur du temps long, ce qui peut être parfois un peu frustrant. Il faut aussi beaucoup de pédagogie parce que, comme je disais, on est facilitateur. On doit donc comprendre ce que veut un chercheur, ce que veut son doctorant, et ce qu’il est possible de faire dans le contexte du système d’information d’Inria.
Mais si je devais ressortir une compétence encore plus importante, ce serait la curiosité.
Il faut vraiment être curieux, avoir envie de pousser les sujets, faire des choses que l’on n’a pas l’habitude de faire, essayer de voir ce qu’est l’état de l’art, scientifique ou technologique, et comment on peut le pousser un peu plus loin.
Qu’est-ce qui vous a aidé à évoluer dans votre métier (ressources, livres, podcasts, mentors…) ?
Ce qui m’a le plus aidé au début de ma carrière, alors que je n’étais pas encore ingénieur de recherche, c’est le travail en équipe. J’ai eu la chance d’avoir été entouré par des gens qui étaient seniors, qui ont été bienveillants avec moi, qui ont pris le temps de m’encadrer, de me faire grandir, de me faire progresser. C’est quelque chose que j’essaie de faire maintenant.
C’est vrai qu’aujourd’hui, sur Internet, on trouve une multitude de choses. C’est plus facile d’obtenir des infos. Je conseille de poser des questions, de ne pas avoir peur d’aller demander de l’aide, parce que c’est comme cela que l’on progresse.
Comment voyez-vous l’évolution de votre métier dans les prochaines années ?
Disons que j’ai l’avantage d’être vieux, donc j’ai vu passer quelques révolutions technologiques. C’est vrai que là, on est un peu au bord d’un gouffre. Mais même d’un point de vue pédagogique, on voit bien que les jeunes générations qui arrivent ne sont pas moins compétentes que nous, mais souvent elles s’appuient beaucoup sur les IA telles que ChatGPT. Déjà, quand j’ai commencé, on était tout le temps sur Google et sur Stack Overflow. Les générations précédentes disaient à ce sujet qu’on était des assistés. Disons que c’est un problème générationnel.
Ce qui peut nous donner l’impression qu’il n’y a pas de futur à nos métiers, qu’on va être remplacé par la machine… je n’y crois pas.
On voit bien que l’IA permet de prototyper rapidement des choses, de défricher beaucoup plus rapidement un certain nombre de sujets. Ensuite, quand on veut vraiment passer à l’échelle, il y a vraiment besoin de réfléchir, de se mettre à plusieurs, de challenger notre besoin. Pour le moment, en tout cas, je n’imagine pas l’IA répondre à cela de façon robuste. Autre remarque : même si c’est très bluffant ce que font les IA aujourd’hui, je ne suis pas sûr que les ressources de la planète nous permettent de les exploiter, car ce n’est quand même pas raisonnable.
Je pense que l’on doit apprendre à se débrouiller par nous-mêmes.
Avez-vous un conseil à donner à celles et ceux qui voudraient se lancer dans ce métier ?
Je ne travaille pas avec un sweat à capuche, mais bon, je suis un peu geek sur les bords. J’aime la technologie. Mais elle nous oblige à nous questionner. Nous sommes un certain nombre à nous poser des questions : ce que l’on fait mérite-t-il le prix qu’on en paye d’un point de vue des ressources que l’on utilise ? Le fait de faire de gros calculs sur des gros serveurs pour une recherche qui avance très lentement, est-ce que cela a vraiment tout le temps du sens ?
Ce n’est pas facile parce que l’on a aussi des obligations de publication de résultats pertinents, et on vise l’excellence scientifique. Mais ce sont des choses que l’on questionne de plus en plus. C’est peut-être un peu caricatural, mais nous sommes le reflet de la société avec toute sa diversité.
J’encourage justement les personnes qui ne se sentent pas tout à fait dans les cases de venir pour diversifier un peu plus ce monde-là.
Alexandre Sanchez, ingénieur de recherche en cybersécurité à l’Inria
Alexandre Sanchez occupe le poste d’ingénieur de recherche au Centre Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) de l’Université de Rennes. Il s’agit d’une fonction de support à la recherche, qu’il exerce au sein du service expérimentation et développement.