Abandonware France, la caverne d’Ali Baba du jeu vidéo

Créé en 2000 par Olivier et sa « bande de potes », le site Abandonware France regroupe quantité d’informations sur le jeu vidéo d’avant 2005. Une véritable encyclopédie et un travail de préservation du patrimoine vidéoludique fascinant.

Abandonware-France
Des jeux aux magazines, en passant par les scans de disques et de manuels, on trouve absolument tout dans la grande bibliothèque d'Abandonware France. © Abandonware France/Montage BDM

Comment conserver, faire vivre et mettre en valeur le patrimoine vidéoludique ? Comment redonner leurs heures de noblesse à des jeux vidéo oubliés ? C’est avec cette démarche d’archiviste qu’une « bande de potes » a posé la première pierre, en 2000, d’une grande bibliothèque numérique, appelée désormais Abandonware France. Avec près de 3300 jeux micro, PC et Mac d’avant 2005 identifiés et référencés, le site créé par Olivier et ses amis il y a bientôt 24 ans offre une véritable cartographie d’un paysage vidéoludique qu’il a souvent fallu dépoussiérer.

« Des pirates pas comme les autres »

Les jeux oubliés sont dans une zone grise

La particularité d’Abandonware France tient dans son nom : l’abandonware. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Olivier – dit Wokie – et son équipe le définissent ainsi :

L’abandonware consiste à proposer en libre téléchargement d’anciens jeux qui ne sont plus disponibles dans le commerce à ce jour, et ce, depuis longtemps, et dont le service après-vente a été lui aussi abandonné.

En libre téléchargement ? « Une pratique illégale », qui n’est « que tolérée actuellement », prévient le site. Mais Olivier nous éclaire et nous rassure : « On est très clair là-dessus. On est dans une zone grise : on ne met en ligne que des jeux qui ne sont plus commercialisés. S’ils le sont à nouveau, nous les retirons immédiatement. Si un auteur vient nous voir en nous disant qu’il ne veut pas voir son jeu chez nous, on respecte bien sûr cela. Depuis presque 24 ans, on s’organise autour d’une base de données avec énormément d’informations, dont le téléchargement fait partie. »

Du téléchargement, mais pas que

Olivier est très clair : « On est des pirates un peu particuliers ! On ne fait pas d’argent, on est accessible, mon numéro de téléphone doit traîner quelque part sur le site… On n’est pas des pirates comme les autres. On est une association loi 1901, mais pas du tout une entreprise. On respecte la commercialisation des jeux », continue-t-il. « Il y a plus de 20 ans, LucasArts nous avait envoyé un email via leur avocat, nous disant qu’ils allaient nous attaquer, qu’il fallait retirer tous les jeux. On leur a répondu et enlevé les jeux dans l’heure. Ils étaient d’abord surpris d’avoir une réponse, les pirates ont tendance à ne pas le faire ! Et on a pu discuter avec eux, de manière tout à fait cordiale, sans suite. »

On ne voulait pas faire un site de téléchargement basique. Ça serait devenu du pur piratage.

Sur Abandonware, « on s’interdit de ne faire que du téléchargement ». La « mission » première, c’est « la sauvegarde du patrimoine vidéoludique ». Pour cela, la plateforme propose des jeux vidéo « avec une fiche d’identité complète » : descriptif, liste des personnalités et des sociétés qui ont travaillé sur le jeu, recensement des articles et des magazines d’époque qui en ont parlé, numérisation de la documentation, des manuels, des boîtes, ajout des bandes originales… Un « vrai travail d’archiviste ».

Abandonware France – fiche identité
La fiche d’identité comporte toutes les informations liées aux jeux et y compris des ressources, comme les scans des manuels, des articles de presse et même des publicités d’époque. © Abandonware France/Montage BDM

Quels critères pour faire entrer un jeu dans les archives ?

Pour choisir quels jeux feront partie de la base de données, les critères sont définis de la manière suivante : « Pour que le jeu soit sur le site, la première base est qu’il ne doit plus être commercialisé depuis longtemps. Si on voit qu’il n’a pas été téléchargé depuis 20 ans, il peut rentrer dans le critère abandonware. » Bien sûr, cela suscite des débats au sein de l’équipe, « par exemple avec Tomb Raider, à une époque où le jeu n’était pas téléchargeable. Mais on sait que c’est une licence forte, que l’éditeur va le surprotéger, donc on ne l’utilise pas ». 

La décision est collégiale, mais « complètement subjective. Nous, déjà, on s’arrête à 2005. On avance petit à petit parce qu’on veut traiter un maximum de jeux avant cette date. D’autres sites ont d’autres critères ». Mais c’est bien la préservation et non la notoriété du jeu qui est la raison première de sa présence sur le site. « Il y a énormément de jeux qui ne reviendront pas, car invendables, complètement dépassés. Il y a des jeux sur PC en 4 couleurs – magenta, bleu, noir, blanc -, c’est injouable et pourtant, cela fait partie du patrimoine. Il y avait de bonnes idées à l’époque, qui sont intéressantes à revoir et qu’on peut proposer sur notre site. »

Abandonware France – PC 4 couleurs
Iznogoud (1987), La Quête de l’oiseau du temps (1989), des jeux PC en 4 couleurs plutôt flashy ! © Abandonware France/Montage BDM

« Sa place est dans un musée ! »

Les archivistes des trésors perdus

« Pour nous, à l’origine, le but était vraiment de créer une base de données importante. On s’est spécialisé dans les jeux PC, car cela se faisait peu à l’époque et que nous aimions ça », se souvient Olivier. « On souhaite que le jeu – jouable – soit un élément d’illustration. Ce qui est important, c’est d’identifier, de collectionner, de numériser pour la sauvegarde, puis de faire en sorte que la mémoire soit réactivée, de pouvoir faire découvrir aux plus jeunes. » D’une équipe de 5 à l’origine, Abandonware regroupe maintenant 12 personnes. Et ce, sans compter les aides extérieures : « De nombreux internautes nous disent « j’ai tel jeu, telles informations » et participent de cette manière. »

Mais pas seulement, des acteurs reconnus du milieu apportent aussi leur pierre à l’édifice. « Laurant Weill (fondateur de Loriciel, premier éditeur français de jeux vidéo, ndlr) nous avait invités chez lui. On était dans sa cave à 4 pattes en train d’ouvrir des cartons. À chaque fois qu’il sortait une boîte de jeu, il nous racontait une anecdote. Et il nous disait « voilà la boîte, scannez-la, prenez le jeu ». On a des créateurs qui nous offrent leurs propres créations, donc on a ce genre de relations. Inversement, on a des créateurs qui peuvent nous dire « le jeu va ressortir dans une compilation, est-ce que vous pouvez le retirer ? », mais sans nous envoyer d’avocat. Nous, bien sûr, on le fait et ça se passe hyper bien. »

Templates images de une – Abandonware – Laurant Weill
La rencontre avec Laurant Weill est racontée dans un article sur le site. © Abandonware France/Montage BDM

Un travail discrètement reconnu

L’implication de certains des acteurs du monde vidéoludique prouve que le site a acquis, au fil des années, une certaine légitimité pour son travail de compilation. « On est reconnu, mais ce n’est pas une forme de légitimité », tempère Olivier. « Notre travail est apprécié, mais on ne nous le dira pas officiellement. Il y a toujours une crainte d’être dépossédé de ses créations. Oui, les fans et les passionnés sont ravis qu’on le fasse, les ayants droit un peu moins. »

Il y a une grande tolérance. On est encore là 24 ans plus tard et cela se passe bien.

Néanmoins, Olivier a été invité à la BnF à plusieurs reprises pour participer à des tables rondes, il était encore au Forum des images début décembre 2023 pour un colloque organisé par le Conservatoire national du jeu vidéo (CNJV). Il y rencontre des auteurs, explique la démarche du site, se voit confirmer par des avocats du milieu qu’au niveau des droits, « rien n’est clair ». Résultat : le site regroupe près de 3300 fiches, dont environ 2700 jeux téléchargeables. « On sait qu’on est dans cette illégalité. Mais les chercheurs disent qu’on est une sorte de dissident, de mal pour un bien. »

On répond à beaucoup de questions, à des étudiants qui rédigent des thèses.

Un patrimoine de mieux en mieux mis en avant, mais toujours en danger

Il faut dire que la mode du retrogaming, mais également le regard que les éditeurs portent sur leur propre catalogue, ont évolué ces dernières années. « Au début des années 2000, Infogrames nous disait de ne pas trop mettre en avant Alone in the Dark, parce qu’un nouvel épisode de la saga allait sortir et quand les gens allaient voir les vieux, ils n’allaient pas comprendre, se souvient Olivier. Ils avaient donc tendance à plutôt les cacher, alors que maintenant, c’est un patrimoine qu’ils mettent en avant. Quand on voit les jeux qui reviennent sur le devant de la scène, ce sont des jeux emblématiques : les LucasArts, les Baldur’s Gate… »

Abandonware France – LucasArts
Les point’n’click de LucasArts ont marqué l’histoire du jeu vidéo : Day of the tentacle, Sam & Max, Monkey Island, Indiana Jones… © LucasArts/Abandonware France/Montage BDM

Seuls 13 % des jeux sortis avant 2010 sont encore commercialisés aux États-Unis, selon une étude.

Les choses ont effectivement changé, et ils sont nombreux à s’aligner sur la politique de Nintendo, qui tient à ses reliques comme à la prunelle de ses yeux, et qui a toujours permis d’accéder à ses anciens succès (moyennant finance). Néanmoins, le co-fondateur d’Abandonware France rappelle que, selon une étude de la Video Game History Foundation, « 87 % des jeux vidéo sortis avant 2010 ne sont plus accessibles légalement. Cela fait un gros travail d’archivage à faire ». D’ailleurs, « ce n’est pas parce qu’un jeu n’est pas téléchargeable qu’il n’est pas intéressant », et ce n’est pas parce qu’il n’est pas téléchargeable illégalement qu’Abandonware France fera l’impasse. Les fiches comportent en effet les redirections vers les plateformes proposant ces jeux légalement, quand cette possibilité existe.

Des pépites et des souvenirs d’enfance

La nostalgie comme moteur

Parmi les milliers de jeux disponibles sur la plateforme, certains bénéficient d’une grande popularité. « On a pas mal de monde qui passe chaque jour sur le site, se réjouit Olivier. Mais ce sont souvent les mêmes jeux qui sont téléchargés. On a les jeux de stratégie en temps réel, comme Command & Conquer, qui passionnent toujours autant. En ce moment, on a Adibou 2 qui fait partie des jeux les plus téléchargés. Là, on voit que c’est carrément la nostalgie qui parle, parce qu’il y a des versions meilleures, plus récentes et même des adaptations mobile. »

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Les jeux les plus téléchargés se placent entre popularité intemporelle et nostalgie. © Abandonware France/Montage BDM

Parfois, celui qui a commencé à jouer à cinq ans sur une « Atari 2600, puis sur ColecoVision, Atari ST, Super Nintendo », remarque des pics d’affluence. « Le Joueur du Grenier avait parlé des jeux en FMV (Full Motion Video, ndlr), il avait repris beaucoup d’informations chez nous, d’ailleurs il nous mentionnait dans sa vidéo. On a forcément vu un pic de visites sur notre site, en particulier sur les jeux qu’il avait abordés dans sa vidéo. Mais on voit également des pics quand d’autres plus petits youtubeurs parlent d’un jeu spécifique », note Olivier.

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L’attrait pour le retrogaming, caractérisé par le Joueur du Grenier (ici dans sa version FMV), a contribué à des pics d’audience sur le site. © Joueur du Grenier/Montage BDM

Des jeux qu’il faut parvenir à faire tourner sur des machines modernes

Proposer une riche encyclopédie de ces jeux parfois emblématiques n’est pas le seul enjeu d’Abandonware France. Il faut également réussir à les faire fonctionner. « On fait partie des rares à proposer plusieurs solutions pour faire fonctionner les vieux jeux sur les machines d’aujourd’hui », explique le cofondateur du site.

« On arrive à faire fonctionner les jeux avec des solutions faciles et rapides, notamment parce que les plus jeunes n’ont plus envie de bidouiller des heures. Ils peuvent ainsi se concentrer sur le jeu et non sur la manière de le faire tourner sur une machine d’aujourd’hui. Et maintenant, on propose même certains jeux directement dans le navigateur. »

Et parfois, l’équipe d’Abandonware France corrige même des soucis. « On a débogué certains jeux, comme Theme Hospital qui buggait au niveau 5 dans la version française à cause d’un problème d’accent. On l’avait corrigé et quelques années plus tard, on retrouve le jeu sur GOG.com (une plateforme de distribution légale, ndlr)« , s’amuse Olivier.

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Sorti en 1997, Theme Hospital a vu sa version française déboguée par l’équipe d’Abandonware France. © EA/Bullfrog/Abandonware France/Montage BDM

25 ans de travail bénévole… et après ?

En 2025, le site fêtera ses 25 ans. Un quart de siècle de travail, mais il reste de quoi faire. « On a autour de 3300 fiches ouvertes. Il y en a 5500 à faire en tout, donc il en reste plus de 2000. On en a encore pour 20 ans de travail ! » L’objectif est d’être exhaustif, « ça serait l’idéal », reconnaît Olivier. « Mais l’avenir est compliqué », tempère-t-il. « Il faut financer le site, le faire évoluer, on a tout créé nous-mêmes », précise celui qui travaille au service DSI d’un grand groupe média. « Ça fait 25 ans que je fais ça, j’ai déjà beaucoup d’amis qui ont abandonné. »

De nombreuses questions sur l’avenir de la plateforme existent, entre financement et bénévoles. « Est-ce que la publicité va continuer à nous permettre de financer le site ? On en met déjà un minimum. Il y a quelques dons aussi. Mais on aimerait idéalement être autonomes et demander le moins possible aux gens. » Peut-être en complétant le site avec d’autres canaux d’information ? « Un site, c’est compliqué, et ça n’a pas l’aura d’une chaîne YouTube ou d’un compte TikTok. On a fait des tentatives sur Twitch, mais c’est un métier, il faut du temps, être à l’aise devant une caméra… On avait tenté aussi un format podcast, où on avait eu trois beaux invités, Eric Chahi, Pierre Estève, Pierre Gilhodes. Malheureusement, c’est beaucoup de temps et on ne l’avait pas. Mais… on y réfléchit ! »

Et puis, il y a ce sujet des droits d’auteur, sur lequel Olivier et ses amis poussent à une réflexion commune. « Une chose est importante pour nous : on a toujours été joignable. On se défend d’être des pirates et je crois que maintenant, beaucoup ont compris. On peut ne pas être d’accord avec le fait de partager de vieux jeux vidéo. Mais il y a tellement de jeux hyper intéressants, c’est dommage… Il y a une vraie question qu’on essaye de poser : est-ce que les droits d’auteur ne sont pas à revoir ou n’y aurait-il pas une façon de faire en sorte qu’on puisse accéder aux jeux ? » En attendant la sortie du brouillard juridique, Olivier et Abandonware France continuent leur quête de trésors perdus.

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3 commentaires
Commentaires (3)
  • Cédric

    Article très intéressant mettant en lumière un site bien documenté, bien conçu et tenu par des passionnés. Merci!

  • Guildian74

    J’ai souvent fouiné sur ce site pour retrouver des perles de ma jeunesse. Site très bien fait et qui facilite grandement l’installation sur nos machines récentes.
    Merci a tous les gars qui s’investissent pour ce site

  • Cyborg Jeff

    Merci pour toute cette passion ! Je vous suis depuis 24 ans, c’est une mine d’or et j’aime à m’y replonger régulièrement. J’aimerais pouvoir partager des média avec vous pour le faire évoluer de manière plus « intuitive », ça aussi ça pourrait être un enjeu : )

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