Skype, la fin d’une liaison sans lendemain avec Microsoft

Relégué dans l’ombre de Teams, miné par des problèmes techniques et une refonte calamiteuse, Skype est devenu le spectateur de sa propre chute.

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Skype a été racheté par Microsoft en 2011. © AdriaVidal - stock.adobe.com

Difficile de ne pas y voir le signe d’une mort certaine, surtout en pleine pandémie, quand le verbe « skyper » devait enfin mériter sa place dans l’Oxford English Dictionnary. En septembre 2020, lors de sa conférence annuelle pour les développeurs, Microsoft consacre plus d’une centaine de sessions à Microsoft Teams, avec l’objectif de mettre en avant une dizaine de nouveautés dédiées à ses millions d’utilisateurs confinés malgré eux, dont l’enrichissement du Together Mode ou l’ajout de comptes-rendus de réunions. Lors de cet événement particulièrement suivi dans le cercle des power users, Skype, lui, n’a le droit qu’à une session, qui « portait sur la migration vers Teams », raconte CNBC. « Microsoft semble annoncer, de manière à peine voilée, la disparition progressive de Skype », pronostiquait, dès lors, le média américain.

Une lente agonie dans l’ombre de Teams

Et ce qui devait arriver, arriva : après cinq années à vivoter dans l’ombre de Teams, Skype tire sa révérence. Depuis ce lundi 5 mai 2025, le logiciel, aussi réputé pour sa mélodie d’appel lancinante que pour avoir démocratisé des technologies comme le VoIP ou le chiffrement de bout en bout auprès du grand public, n’est plus accessible. Un retrait justifié, selon Microsoft, par la volonté « de simplifier [ses] offres de communication grand public gratuites et de mieux [s]’adapter aux besoins des utilisateurs », pouvait-on lire dans un communiqué en février. Depuis l’annonce, les quelques millions de fidèles ont été progressivement invités vers Teams, sa solution alternative d’abord conçue pour les entreprises. Et qui n’avait pas vraiment prévu de les accueillir à l’origine, puisqu’elle ne permet de créer un compte personnel que depuis 2020 et n’a introduit une liaison entre les comptes professionnels et personnels que depuis très récemment.

La page d’accueil de Skype en 2004. © Capture d’écran BDM

Microsoft n’avait presque rien laissé transparaître, poursuivant même le déploiement de nouvelles versions. Mais certains signes, comme cette promotion excessive de Teams lors de sa conférence annuelle, ou l’absence de véritables innovations, ces dernières années, étaient assez révélateurs : dans l’esprit de l’entreprise, Skype n’a pas survécu à la pandémie. « S’il y avait un moment pour que Skype prenne son envol, c’était cette année », expliquait Jim Gaynor, vice-président de Microsoft, après l’avoir relégué sur le banc des remplaçants en septembre 2020. « La conjoncture était idéale, l’alignement était parfait pour n’importe quelle plateforme de communication en ligne. Si vous n’êtes pas capable de croître de manière significative et de faire prospérer votre produit dans un tel contexte, c’est trop tard, vous avez raté votre chance. »

La pandémie, un rendez-vous manqué

Difficile de lui donner tort. Au début de la pandémie, alors que le télétravail se généralisait et que le port du jogging devenait socialement toléré en pleine journée, Skype avait une véritable carte à jouer. Il avait même une occasion assez rare, dans un secteur où chacun redoute sa date de péremption, de reprendre du terrain sur des concurrents plus novateurs, plus agiles, qui l’avaient progressivement éclipsé au fil des années, de Zoom à WhatsApp en passant par l’éphémère HouseParty.

Mais au lieu de capitaliser sur ses atouts historiques – des appels audio et vidéo réputés pour leur fiabilité et leur qualité dès le milieu des années 2000 – et sa notoriété dûment acquise, « Skype a perdu sa couronne au profit de Zoom » en l’espace de quelques semaines, analysait le média spécialisé WIRED, miné par ses nombreuses défaillances techniques. « Zoom est devenu l’emblème de la visioconférence, aussi bien auprès du grand public que dans le monde de l’entreprise », soulignait une analyste interrogée par le média américain. « Beaucoup considèrent Skype comme un outil d’un autre temps ». En avril 2020, sans doute conscient de se faire distancer par Zoom, Skype avait tenté un dernier coup : déployer une option permettant de lancer un appel vidéo depuis sa version web, sans avoir besoin de créer un compte ou de télécharger l’application, à l’inverse de son concurrent lancé en 2011 qui imposait encore ces contraintes à l’hôte de la réunion. Ce qui ne l’a pas empêché d’atteindre 300 millions d’utilisateurs actifs en avril 2020, selon Statista, contre 40 millions pour Skype. Et ce, malgré des problèmes de sécurité régulièrement relayés dans les médias.

Ni eBay ni Microsoft n’ont su écrire l’histoire de Skype

En fermant définitivement les portes de Skype, Microsoft entérine l’échec d’une acquisition qui fut, jusqu’au rachat de LinkedIn en 2016, la plus onéreuse de son histoire. Dès l’annonce du deal en 2011, de nombreux observateurs s’interrogeaient sur la pertinence et le coût de l’opération, estimée à 8,5 milliards de dollars et incluant le rachat des millions de dettes de Skype, alors que Microsoft disposait déjà de Windows Live Messenger, qui comptait plusieurs centaines de millions d’utilisateurs actifs et intégrait la technologie VoIP depuis sa version 8.0, ainsi que du service Lync destiné aux entreprises. Pour justifier l’acquisition de ce nouveau jouet, Microsoft avait évoqué, dans un billet de blog, les nombreuses synergies possibles avec ses produits. Et il n’avait pas tardé à passer à l’action : en l’espace de quelques mois, Skype était successivement intégré à Windows, au Xbox Live, ou encore à la suite Office. Il a également pris la relève de Windows Live Messenger en 2013, puis de Lync en 2015.

En insistant sur les apports concrets de Skype à son écosystème, Microsoft cherchait sans doute à ne pas reproduire les erreurs d’eBay, qui avait, très tôt, identifié le potentiel de ce logiciel permettant de s’affranchir de coûteux appels internationaux, mais sans jamais parvenir à en tirer parti. Comme le rappelait Le Monde en 2009, eBay s’était offert Skype en 2005 pour la coquette somme de 3,1 milliards de dollars, avec l’idée d’intégrer ses technologies à un module de ventes aux enchères en direct, un projet qui n’a jamais vu le jour. Selon Les Échos, l’idée d’un chat vocal, pour remplacer les échanges par email, avait également été évoquée, avec un modèle où eBay aurait perçu une rémunération à chaque fois qu’un acheteur potentiel utilise Skype pour contacter un vendeur, des arguments qui avaient « moyennement convaincu les marchés », relatait le quotidien. Faute de synergies, et alors que son activité principale commençait à vaciller avec la montée en puissance d’Amazon, eBay s’était résolu à vendre Skype – qui n’avait pourtant rien d’un « poids mort » économiquement parlant, rappelle Le Monde – pour 1,9 milliard de dollars à un groupe d’investisseurs. À l’époque, les fondateurs de Skype, Niklas Zennström et Janus Friis, avaient même tenté de racheter leur propre entreprise pour une fraction de son prix initial, en levant des fonds auprès d’investisseurs. Et ils auraient eu le nez creux, quand on connaît la suite.

« On était en train de reconstruire l’avion pendant qu’on le faisait voler »

Microsoft a identifié des synergies, mais s’est rapidement heurté à des obstacles techniques. L’un des plus complexes : composer avec l’architecture peer-to-peer (P2P) du logiciel, dans laquelle chaque utilisateur joue le rôle de node, capable de recevoir et d’envoyer des données, et où certaines machines plus puissantes, les supernodes, font office de point relais pour faciliter les connexions. Un modèle révolutionnaire au moment de sa création, en 2003, mais qui l’était moins à l’ère du cloud et des applications mobiles. Tout en étant difficile à sécuriser ou à contrôler pleinement.

Dès 2012, Microsoft imagine donc une solution provisoire, sans bouleverser l’architecture : elle héberge ses propres supernodes dans des datacenters sécurisés pour améliorer la stabilité et les performances du logiciel. « Cela n’a pas modifié la nature fondamentale de l’architecture peer-to-peer (P2P) de Skype, dans laquelle les supernodes servent simplement à permettre aux utilisateurs de se trouver mutuellement », expliquait un porte-parole de Microsoft à ZDNet. Puis, à partir de 2013, la firme de Redmond entame une douloureuse transition vers le cloud, qui s’achève en 2016. Un virage nécessaire, mais à l’origine de nombreuses pannes ou défaillances techniques, qui entachent durablement l’image du logiciel. « On était en train de reconstruire l’avion pendant qu’on le faisait voler », résumait avec fatalisme Gurdeep Pall, vice-président en charge de Skype et de Skype Business.

Refonte calamiteuse et changement d’ambiance

Au moment de dresser le bilan et de rédiger la nécrologie de Skype, il est difficile d’ignorer les choix hasardeux opérés par la firme de Redmond, désormais plus douée pour capitaliser sur ses fructueux acquis que pour proposer la moindre innovation marquante. L’un des ratés les plus mémorables reste, sans doute, la refonte de l’interface en 2017 : plutôt que de se focaliser sur les problèmes techniques qui s’empilaient, Microsoft avait tenté de relancer la machine avec une mouture inspirée de Snapchat, intégrant des Stories ou des émojis réactions. La note de l’application s’était alors effondrée dans les magasins d’applications, ce qui l’avait contraint à déployer un énième redesign, un an plus tard.

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C’est beau. © Skype

On peut légitimement se demander quel aurait été le destin de ce logiciel conçu à Tallinn, en Estonie, s’il était resté entre les mains de ses créateurs. Ceux qui ont, d’une certaine manière, offert à l’Europe l’un de ses rares produits compétitifs et pérennes, capables de rivaliser avec les géants de la tech américaine. Lors d’une visite dans les anciens bureaux de Skype à Stockholm, début 2012, un journaliste de The Verge s’étonnait de voir à quel point l’ambiance tranchait avec celle du siège de Microsoft. « Il n’y a aucun code vestimentaire, les murs sont tapissés de panneaux acoustiques et les réunions sont organisées sur le réseau de Skype », écrivait-il, avant de parier que l’intégration de l’entreprise estonienne à la culture d’entreprise de son acquéreur « serait bien plus compliquée qu’une mise à jour logicielle ». Force est de constater qu’il avait vu juste.

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