12 milliards de dollars de pertes pour OpenAI, le revers du succès de ChatGPT
En trois mois au cœur de 2025, OpenAI a perdu 12 milliards de dollars. Un gouffre sondé par le journaliste Jérôme Marin, qui analyse pour BDM la situation financière de la maison mère de ChatGPT.
OpenAI traverse une période financière contrastée. Selon plusieurs estimations issues des résultats publiés par Microsoft, son principal investisseur, l’entreprise aurait enregistré des pertes avoisinant les 12 milliards de dollars sur le troisième trimestre de 2025. Un chiffre vertigineux, d’autant plus surprenant que la startup de Sam Altman est aujourd’hui considérée comme la locomotive mondiale de l’IA.
Cette situation interroge. Comment une entreprise au centre de la révolution de l’IA peut-elle accumuler de tels déficits ? D’où proviennent ces pertes ? Face à ces chiffres, OpenAI multiplie les initiatives, avec de nouveaux produits comme Sora et des pistes de monétisation via la publicité et le e-commerce, tout en continuant d’afficher des ambitions colossales.
Pour éclairer ces enjeux, nous avons interrogé Jérôme Marin, fondateur de la newsletter Cafétech, qui a été parmi les premiers à analyser ces pertes record et à décrypter ce qu’elles révèlent de la trajectoire d’OpenAI.
12 milliards de dollars de pertes au 3e trimestre 2025
Microsoft vend la mèche
Avant de chercher à comprendre comment de telles pertes comptables ont pu être engendrées, il faut d’abord savoir si l’on peut se fier au chiffre exorbitant de 12 milliards. OpenAI n’étant pas cotée en bourse, la société n’a aucune obligation de publier ses résultats financiers. « Cependant, comme Microsoft détient une grande partie du capital d’OpenAI, ils sont légalement obligés d’inclure les pertes ou les profits de la société, mais là, il n’y a pas de profits dans leurs comptes. »
Jusqu’en 2024, ces pertes restaient masquées dans une catégorie au nom vague. « Pendant des années, Microsoft a publié les pertes d’OpenAI dans une catégorie « Autre », un peu mélangée avec d’autres choses, donc personne ne pouvait savoir vraiment à quoi ça correspondait. » Mais en septembre 2025, Microsoft a précisé l’origine de ces montants. « Sur les 5 milliards de dollars de pertes entre juin et septembre (ou au troisième trimestre) dans la section « Autre », 4,1 milliards viennent d’OpenAI », indique Jérôme Marin. Ce qu’a confirmé Amy Hood, directrice financière de la firme de Redmond.
Des pertes estimées à 30 milliards de dollars pour 2025
Jérôme Marin a alors pu estimer l’ampleur des pertes. « Ces 4,1 milliards correspondent au pourcentage que Microsoft détient d’OpenAI. Le groupe a indiqué posséder 32,5 % de la société. Donc, grâce à un simple calcul, on arrive à une perte totale d’environ 12,5 milliards de dollars sur le trimestre », explique-t-il. Le journaliste a par ailleurs estimé, à partir des précédentes publications, que les pertes s’élevaient à « 5 milliards de dollars au deuxième trimestre 2025 et à un peu moins de 2 milliards au premier ».
À titre de comparaison, les pertes d’OpenAI en 2024 n’avaient grimpé qu’à environ 5 milliards de dollars, selon les chiffres relayés par plusieurs médias américains. « En 2025, on est déjà à près de 20 milliards de pertes, et on pourrait être à 30 milliards d’ici la fin de l’année », calcule Jérôme Marin.
Quand la croissance coûte plus cher que les revenus
OpenAI pénalisé par le succès de ChatGPT ?
L’ampleur des pertes d’OpenAI s’explique avant tout par un modèle économique où la croissance ne rime pas encore avec rentabilité. « Difficile de savoir pourquoi cela a autant grimpé, mais il y a une explication très simple : plus les gens utilisent ChatGPT, plus OpenAI perd de l’argent », résume Jérôme Marin. En cause, les coûts d’inférence, ces dépenses générées à chaque requête envoyée à un modèle. « La plupart des gens ne payent pas pour utiliser ChatGPT, et il n’y a pas de pub… C’est de l’argent perdu pour OpenAI. Et même quand ils payent 20 dollars par mois pour l’abonnement de base, ce n’est pas rentable. »
Cette équation s’est encore compliquée avec l’élargissement des usages. « Maintenant, il est possible de faire de l’image, ou de la vidéo avec Sora, ce qui coûte encore plus cher. » À cela s’ajoutent d’importants engagements financiers pris auprès de partenaires industriels. « OpenAI s’est engagé avec Oracle, avec Nvidia, et encore tout récemment avec AWS. Ont-ils dû payer en avance certaines parties de ces accords ? Ont-ils déjà entré dans leurs comptes certaines de ces dépenses ? C’est difficile à savoir, parce qu’on n’a pas accès à leurs chiffres… Personnellement, l’explosion des coûts me paraît énorme. »
Une stratégie paradoxale assumée
Au-delà des dépenses d’exploitation, la question du chiffre d’affaires reste centrale. « Les derniers chiffres publiés dans la presse américaine indiquent qu’OpenAI fait un peu plus de 1 milliard de dollars de revenus par mois, donc environ 13 milliards sur l’année. Sam Altman a dit que c’était plus que ça, mais ils ne sont pas à 50 milliards. Ils sont peut-être entre 15 et 17 milliards de dollars de revenus annuels, sachant qu’ils dépensent beaucoup plus. » Pour l’instant, la trajectoire est déséquilibrée. « Le chiffre d’affaires n’est pas assez grand pour compenser les dépenses », constate Jérôme Marin. Pourtant, la direction d’OpenAI assume cet horizon lointain de rentabilité. « Eux disent qu’ils ne seront pas rentables avant 2030. Et d’ici 2030, ils s’attendent à perdre 115 milliards de dollars. »
Un pari pleinement assumé par Sam Altman et sa société, qui continue d’afficher des ambitions colossales. « Il a évoqué un objectif de 100 milliards de chiffre d’affaires en 2027. Mais OpenAI s’est engagé à consacrer des sommes considérables à ses infrastructures, à acheter des puces… » Une dynamique paradoxale, résume Jérôme Marin : « Pour augmenter le chiffre d’affaires, il faut augmenter le nombre de gens qui utilisent ChatGPT, ce qui augmente les coûts d’OpenAI. Aujourd’hui, les marges sont négatives, donc plus le chiffre d’affaires progresse, plus les pertes se creusent. »
Miser sur le temps long : réduire les coûts, monétiser, rassurer
Face à ces pertes, OpenAI ne semble pas vouloir ralentir. L’entreprise continue de dérouler un plan de long terme, misant sur la baisse progressive des coûts et la diversification de ses sources de revenus.
Trois grands axes pour générer des revenus
« Il y a un premier levier : faire baisser les coûts », explique Jérôme Marin. « Pour ce faire, OpenAI mise sur des GPU plus puissants, et développe aussi une puce avec Broadcom pour faire tourner ses modèles. » Cette stratégie repose sur un double effet :« Les modèles vont être plus efficients, donc ils demanderont moins de puissance informatique, et les puces seront plus puissantes, donc ça coûtera moins cher. » À terme, poursuit-il, « les coûts d’inférence vont baisser ».
Mais OpenAI cherche aussi à élargir ses revenus, avec un « deuxième levier : générer du chiffre d’affaires via des sous-produits », note Jérôme Marin. Les abonnements constituent la première piste : « Ils ont déjà fait l’abonnement à 200 dollars par mois et on évoque des tarifs pour des agents IA qui pourraient atteindre plusieurs milliers de dollars par mois pour un agent. » Le partenariat avec le designer Jony Ive, ancien d’Apple, autour de la création d’un appareil mobile est une autre possibilité. La publicité viendra compléter ce modèle. « La pub sur ChatGPT, on sait que ça va arriver. On ne sait pas quand exactement, peut-être début 2026. Il y aura peut-être de la publicité sur Sora aussi, avec des vidéos sponsorisées comme sur TikTok. »
Autre chantier majeur, le e-commerce. Un domaine dans lequel OpenAI expérimente un modèle d’affiliation. « OpenAI a notamment signé avec Walmart, le géant américain de la distribution. Ils vont signer avec Shopify, et un jour peut-être avec Amazon. » Pour Jérôme Marin, « si l’IA change vraiment la façon dont on achète, le potentiel est énorme. Même en ne prenant qu’un tout petit pourcentage de ce volume, cela fait beaucoup d’argent ».
Sam Altman conserve la confiance des investisseurs
Ces initiatives ne sont pas improvisées. « Ce ne sont pas des choses faites en urgence, mais peut-être accélérées parce que les coûts augmentent plus rapidement que prévu. » D’autant qu’OpenAI dispose encore d’une importante réserve financière. « Ils vont lever encore 20 milliards d’ici la fin d’année et Nvidia va mettre 100 milliards de dollars en 5 ans. Ils ont encore du cash. »
Le soutien des investisseurs reste par ailleurs intact. « Je ne pense pas que ça refroidisse les investisseurs », juge Jérôme Marin. « Tous les gens qui sont au conseil d’administration sont des proches de Sam Altman. Le patron de SoftBank, Masayoshi Son, qui est aujourd’hui l’un des premiers actionnaires d’OpenAI, est un proche, il le soutient à fond. » Même constat du côté de Microsoft : « Satya Nadella (CEO de Microsoft, ndlr) a dit : « À chaque fois que Sam Altman m’a parlé d’objectifs, il les a dépassés. » Donc, pour l’instant, ça va ! »
En attendant, la société poursuit son expansion, tout en cherchant à ajuster ses offres. « Pour avoir un meilleur aperçu de la situation financière, il faut attendre les prochains résultats de Microsoft. » Sur les abonnements, le journaliste n’anticipe pas de hausse brutale. « Je ne pense pas qu’ils feront disparaître l’abonnement à 20 dollars. Ils ont même lancé des abonnements moins chers dans certains pays. Ils peuvent aussi envisager de réduire les avantages de certains plans. » Mais l’évolution devrait se faire plutôt par le haut : « Peut-être qu’ils proposeront des abonnements intermédiaires entre 20 et 200 dollars, ou au-delà de 200 selon les usages. Ce serait un signe clair que la monétisation s’accélère. »
Jérôme Marin, journaliste et auteur de la newsletter Cafétech
Journaliste, Jérome Marin a notamment été correspondant pour La Tribune à New York, puis pour Le Monde à San Francisco, avant de créer Cafétech en 2020, « la newsletter qui décrypte l’actu tech ».
Prenez la parole dans le dossier Tendances 2026
Associez votre expertise à l'un des contenus phares de BDM !
Je participe