Comment ARTE s’est démarqué sur Twitch en explorant de nouveaux formats

En 2021, de nombreux médias traditionnels décidaient de s’implanter sur Twitch pour explorer de nouveaux formats. Et certains, comme ARTE, sont parvenus à se distinguer en proposant des contenus innovants. Entretien.

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Comment ARTE s’est développé sur Twitch grâce à des contenus innovants. © ARTE

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Guillemette Trognon, responsable de l’éditorial pour les réseaux sociaux d’ARTE France

Guillemette Trognon est responsable de l’éditorial pour les réseaux sociaux d’ARTE France depuis octobre 2022, après avoir occupé le poste de chargée de diffusion et de communication des productions numériques. Elle accompagne les équipes éditoriales et de création de contenu et s’occupe de la présence éditoriale de la chaîne sur TikTok, Instagram, X (Twitter), Discord et Twitch.

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Pierre Le Damany, chef de projet Twitch chez ARTE France

Pierre Le Damany occupe le poste de chef de projet Twitch pour ARTE France depuis mai 2021. Son rôle consiste à élaborer et piloter la stratégie de communication autour des différents streams, accompagner les boîtes de production dans la création éditoriale et superviser l’équipe de modération.

Tout d’abord, pouvez-vous me retracer la genèse du projet de chaîne Twitch ?

ARTE avait réalisé une web série documentaire, baptisée «Streamers », qui s’intéressait à la vie de streamers canadiens et notamment québécois, en co-production avec l’ONF (Office national du film du Canada). Cette série documentaire nous a permis de découvrir Twitch. Puis de comprendre, en partie, comment le milieu du streaming fonctionnait, les relations que les streamers entretenaient avec leur communauté et ce qu’était leur quotidien. Twitch représentait une opportunité créative pour ARTE, parce que la plateforme a une grammaire assez particulière et il y avait la possibilité d’innover. Mais la question était : comment on y va ?

En 2021, on a diffusé en direct, sur YouTube et Twitch, l’atterrissage du robot Perserverance sur Mars, qui était un événement scientifique d’envergure internationale. L’Unité Découverte et Connaissance d’ARTE voulait créer quelque chose autour de ça, mais un programme met des années à être produit, et dans ce cas précis, il fallait être plus agile. Mais notre première véritable incursion sur Twitch, c’est la couverture de notre Game Jam. On avait produit une émission qui suivait l’événement, sur Twitch, avec plusieurs temps forts : le lancement, la restitution des projets, et plusieurs interviews des parrains et marraines des différentes équipes. L’événement était co-diffusé sur la chaîne d’ARTE et de Gamekult. Puis on a lancé le format Jour de Play, qui a débuté sur Twitch mais a également été adapté et réécrit pour YouTube.

Quelles sont les raisons qui ont incité ARTE à explorer Twitch comme nouvelle plateforme de diffusion ?

ARTE a la particularité de produire des contenus dédiés exclusivement à certains réseaux. Notre ligne de conduite est d’être là où les gens sont, et de produire le bon contenu pour la bonne plateforme. On ne pratique pas le duplicata, le copier-coller de concepts ou de fabrications d’assets, on étudie la plateforme sur laquelle on met les pieds et le public qui s’y trouve. Pour créer des formats dédiés spécifiquement aux réseaux sociaux, on travaille en collaboration avec l’Unité Créations Numériques, dirigée par Marianne Lévy-Leblond, qui réalise une variété de programmes et de contenus, allant de la série documentaire web aux jeux vidéo, en passant par la réalité virtuelle. C’est par exemple, avec cette équipe, qu’on a développé Jour de Play.

Comment a été perçue votre arrivée sur Twitch ?

On a la chance d’avoir une communauté investie, qui nous suit et nous fait confiance. On n’a pas été critiqué lors de notre arrivée sur la plateforme, mais on a aussi conscience que c’est une audience qui est très exigeante, qui a ses propres codes et usages, et qui se méfie de l’arrivée de la télévision sur Twitch. Mais on a bénéficié d’une certaine bienveillance.

Notre ligne de conduite est d’être là où les gens sont, et de produire le bon contenu pour la bonne plateforme.

Est-ce ARTE qui est à l’origine de la conception des programmes diffusés sur Twitch, ou bien ce sont des sociétés de production qui soumettent une proposition éditoriale ?

ARTE, en tant que diffuseur, a pour mission d’accompagner des boîtes de production indépendantes, très peu de programmes sont produits à 100 % par la chaîne. Donc, en l’occurrence, ce sont les producteurs qui nous proposent des formats. Typiquement, pour Jour de Play, on travaille donc avec l’Unité Créations Numériques qui est en contact permanent avec des boîtes de production. Nous, on les accompagne dans la création de contenu car on dispose d’une expertise sur les réseaux sociaux.

La décision de s’établir sur Twitch était davantage motivée par le fait qu’on y parle beaucoup de jeu vidéo, ou pour les spécificités propres à la plateforme ?

Les deux. Pour Jour de Play, par exemple, la proposition a émergé pour de multiples raisons. Il n’y a pas de point de départ décisif. Depuis 2013, ARTE édite et co-produit des jeux vidéo mais cette facette de son activité n’est pas toujours clairement mise en avant sur ses canaux principaux, où elle est davantage perçue comme une chaîne de télévision. Il y avait donc l’enjeu de trouver la plateforme la plus adaptée pour aborder ces productions et ces programmes. Twitch constituait également un nouveau terrain de jeu, qui correspond à l’ambition de l’Unité Créations Numériques : trouver de nouvelles manières de raconter des histoires, de faire récit. Et la première proposition de Jour de Play incluait Théo Le Du, alias Cosmographik, qui est le créateur de Type:Rider, le premier jeu co-produit par ARTE.

On a aussi beaucoup songé à notre manière d’intégrer la plateforme en tant que média traditionnel. On ne voulait pas tomber dans le piège de faire de la télé sur Twitch. Produire une émission centrée autour du jeu vidéo semblait donc pertinent pour faire nos premiers pas sur la plateforme.

Comment évite-t-on, justement, de tomber dans ce piège de « faire de la télévision sur Twitch » ? Comment définissez-vous la stratégie d’ARTE ?

On a testé plein de choses. On s’est posé la question de la place d’un média, une entité désincarnée, sur Twitch, qui est une plateforme individualisée et portée par les streamers. Au départ, on essayait de se caler sur la logique de Twitch, et d’être présent le plus possible. Avec le temps, on a compris que les attentes vis-à-vis d’un streamer ou d’un média comme ARTE ne sont pas les mêmes. Notre rôle, c’est de créer des rendez-vous, d’ajouter de la valeur éditoriale tout en respectant les codes de Twitch, ce qui implique de travailler avec des gens de la plateforme. L’idée c’est de faire exister notre voix à travers des figures du stream sans perdre l’identité d’ARTE. De proposer des streams événementiels, incarnés et interactifs.

Il faut se souvenir que Twitch a sa grammaire à part entière et que ça n’a rien à voir avec la télévision. La présence du chat change radicalement la donne. Tu ne peux pas tricher sur ce que tu transmets, l’émission se crée avec le chat. On souhaitait vraiment développer cet aspect interactif sur ARTE, venir à la rencontre du public et comprendre ses usages. Au départ, nos émissions étaient principalement tournées autour du jeu vidéo et de la culture. On a aussi réalisé quelques tests sur des sujets de société, avec l’émission FAQ, qui se destinait à un public d’adolescents et de jeunes adultes. On a complété le catalogue de rendez-vous avec Laser Disc, centrée autour de la musique, et Scope qui traite de l’actualité scientifique.

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ARTE a enrichi son catalogue d’émissions au fil des années. © ARTE

Qu’est-ce que Twitch apporte de différent par rapport à d’autres plateformes sociales ?

Il y a un aspect sur Twitch, qui fait beaucoup de bien : on renoue avec le temps long. Pour la réflexion, l’échange, pour creuser un sujet ou se permettre des digressions qu’on ne retrouve pas sur d’autres plateformes, davantage en quête de rythme. Et le deuxième bénéfice, c’est d’être en contact avec le public. Il n’y a pas de rapport vertical, unilatéral ou ascendant, c’est une co-production de contenu avec les viewers.

Quels étaient les défis auxquels vous avez été confrontés en vous investissant sur cette plateforme ?

Notre premier défi n’était pas de convaincre, mais d’élargir notre audience. Sur Jour de Play, par exemple, on touchait au départ une niche de passionnés. Mais notre format n’était pas nécessairement accessible, il était très écrit, avec de nombreuses chroniques. Mais quand on a lancé Laser Disc, une émission beaucoup plus ouverte et davantage tournée vers la conversation, j’ai l’impression que les formats se sont influencés entre eux. On s’est aperçu que le côté chronique et analyse du jeu vidéo prenait trop le pas sur ce que peut être Twitch, c’est-à-dire un moment de conversation, de détente, de véritable échange. Une fois que l’on s’est libéré de cet effet tunnel, on s’est davantage tourné vers de la conversation entre les personnes qui se trouvaient autour de la table, et avec le chat.

Est-ce que vous vous inspirez du contenu proposé par d’autres médias généralistes sur Twitch, ou plutôt par des émissions en plateau comme Pop Corn ou Backseat ?

On regarde ce qu’il se passe, c’est certain, et on s’inspire de ce qui fonctionne et porte la plateforme. En l’occurrence, sur Twitch, ce n’est pas nécessairement le contenu produit par des médias traditionnels. Et comme on veut s’appuyer sur des figures de Twitch, on a plutôt intérêt à observer ce qu’ils proposent. On n’oublie pas qu’on est, avant tout, des consommateurs de la plateforme.

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