Super applications : X peut-il suivre les traces de WeChat ?
Elon Musk souhaite faire de X une super application sur le modèle de WeChat. Peut-il réussir à importer ce modèle en Europe et en Amérique du Nord ?
À la fin de l’année 2022, Elon Musk achetait Twitter pour la somme considérable de 44 milliards de dollars. Le milliardaire affichait alors un objectif ambitieux : faire du réseau social de microblogging une super application : « L’achat de Twitter est un accélérateur pour créer X, l’application de tout (everything app en anglais, ndlr)« .
Encore méconnues en Europe, les super applications sont pourtant incontournables dans de nombreux pays. De par leur exhaustivité, certaines d’entre elles bénéficient d’un pouvoir considérable. Explications.
Super applications : tous vos besoins dans une seule plateforme
Une super application est un type d’application mobile qui offre une multitude de services et de fonctionnalités. Elle vise à devenir essentielle au quotidien des utilisateurs en intégrant plusieurs micro applications accessibles sans téléchargement : service de messagerie, plateforme d’achats, service bancaire, de streaming, de livraison de repas, de prise de rendez-vous médicaux, etc.
Les super apps sont particulièrement développées en Asie – avec AliPay ou WeChat en Chine, Tata Neu en Inde, ou encore Grab, très populaire en Asie du Sud-Est – mais sont également utilisées en Amérique du Sud, en Afrique et au Moyen-Orient.
Le succès des super applications, outre leur praticité, résulte souvent d’une forte adéquation avec les besoins et pratiques des territoires dans lesquels elles se développent. Dans certains pays d’Afrique par exemple, les super apps ont représenté une solution face au faible développement des systèmes bancaires.
WeChat, la super application par excellence
WeChat, Weixin en Chine, est souvent considéré comme l’archétype de la super application. Pour les Chinois, le service est désormais central au quotidien. Mais il représente également un outil de contrôle pour le pouvoir en place.
Du simple service de messagerie…
Créée en 2011 et détenue par le géant du web Tencent Holdings, WeChat était initialement un simple service de messagerie gratuit. Rapidement, l’application a relégué les SMS au second plan, notamment grâce à son système de messages vocaux et à son registre de contacts performant.
L’application s’est développée à une vitesse impressionnante, bénéficiant de la censure gouvernementale de Facebook et de WhatsApp. Fin 2013, WeChat revendiquait 355 millions d’utilisateurs actifs mensuellement dans le monde.
…à l’application à tout faire
Après seulement deux ans d’existence, Tencent lance WeChat Pay, marquant un tournant décisif pour l’application (le service compte à ce jour 1,1 milliard d’utilisateurs selon DemandSage). Les années suivantes voient WeChat enrichir considérablement ses fonctionnalités, incluant des services de transfert d’argent, de réservation de taxis et de prise de rendez-vous médicaux.
Ces ajouts transforment ainsi WeChat en une super application, devenue incontournable. En 2020, l’ONG Humans Right Watch expliquait la place prise par le service dans le pays : « WeChat est une super application qui combine les fonctions des médias sociaux, de la messagerie, des services financiers, des voyages, de la livraison de repas, du covoiturage et d’autres applications. Elle est si pratique que pour les Chinois, il est aussi inimaginable de ne pas avoir WeChat que de ne pas avoir de smartphone. »
WeChat : un arme de surveillance
Pour le gouvernement chinois, WeChat constitue un outil de surveillance majeur. La plateforme lui donne accès à l’ensemble des données personnelles, que le gouvernement s’autorise à consulter au nom de la sécurité d’État. Interrogé par Capital, le spécialiste du numérique chinois Antoine Peigner explique : « le gouvernement a accès à l’ensemble des données utilisateurs et cela est relativement accepté dans la société chinoise ».
Outre l’accession aux données personnelles, WeChat exerce une censure radicale sur son application. Certains termes, comme « Tien an Men » (ou toute expression s’y référant), sont proscrits, et la critique du gouvernement y est impossible sous peine de voir son compte supprimé sans avertissement. Pour Humans Right Watch, le succès de WeChat est constitutif de la censure du Parti communiste chinois :
La place prise par WeChat est en partie le résultat d’une bonne programmation et en partie d’une politique délibérée. Le gouvernement chinois exclut les entreprises technologiques étrangères, met en place un grand pare-feu pour bloquer les sites web qui ne se conforment pas à son régime de censure et pénalise les personnes qui tentent de le contourner.
En Amérique du Nord, les pratiques inquiètent également. En octobre 2023, le Canada a pris la décision d’interdire WeChat, ainsi que l’antivirus russe Kaspersky, sur les appareils des fonctionnaires, estimant que « les méthodes de collecte de données des applications WeChat et Kaspersky donnent un accès considérable au contenu de celui-ci ». Aux États-Unis, la Californie et le Montana sont également montés au créneau contre l’application.
Les super applications peuvent-elles s’implanter en Europe ?
Si WeChat est massivement utilisé par les Chinois expatriés, l’application et son modèle ne se sont jamais réellement implantés hors d’Asie. Un projet qu’aimerait accomplir Elon Musk, qui considère WeChat comme un exemple à suivre.
WeChat est génial, mais il n’y a pas d’équivalent en dehors de la Chine […] Il existe une réelle opportunité de créer cela, expliquait Elon Musk en 2022 lors d’une réunion avec les employés de Twitter.
Toutefois, dans son projet, le milliardaire pourrait se confronter à des obstacles financiers et législatifs.
X dispose-t-il des ressources nécessaires ?
Depuis sa reprise en main par Elon Musk, X a vu son nombre d’employés divisé par 5, entraînant de nombreux dysfonctionnements sur l’application : limite de caractères, problèmes de modération, bugs à répétition, etc. Il se retrouve désormais concurrencé par le réseau social décentralisé Blue Sky, et surtout par Threads, dont le lancement en Europe est imminent.
D’un point de vue financier, les résultats du réseau social sont également en berne. La valorisation de l’entreprise est tombée à 19 milliards en octobre 2023 (bien loin des 44 milliards dépensés par Elon Musk pour l’acquérir) et ses revenus publicitaires ont chuté de 50 % en un an. Dans ces conditions, il semble difficile d’imaginer le réseau social développer et héberger des dizaines de sous applications, capables de concurrencer des géants absents en Chine comme Meta ou Google.
Un projet à l’encontre de la réglementation européenne
Les normes européennes pourraient également constituer un frein considérable à l’émergence de super applications. Le DMA, entré en vigueur au mois de mai, vise explicitement à lutter contre les monopoles. Les grandes entreprises doivent, par exemple, éviter d’enfermer les utilisateurs dans leurs services, au nom de la concurrence non faussée. Pour ce motif, Microsoft a été contraint de dissocier Teams de la suite bureautique, suite à une plainte déposée par Slack.
Le DMA exerce également un contrôle sur les fusions et acquisitions entreprises – elles sont contraintes d’avertir la Commission européenne de tout projet allant dans ce sens – afin d’éviter qu’elles n’atteignent une position trop dominante sur le marché.
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